Cavalleria Rusticana et Pagliacci, le 14 Août à Vérone.

Cavalleria Rusticana - Pagliacci




Pietro Mascagni | Ruggero Leoncavallo

 

Séance du 14 Aout 2021, festival des Arènes de Vérone


Direction musicale : Marco Armiliato

Maestro del Coro Vito Lombardi

Mise en scène : Michele Olcese

Orchestra, Coro e tecnici dell’Arena di Verona

Santuzza Maria josé siri

Lola Clarissa Léonardi

Turiddu Roberto Alagna

Alfio Ambrogio Maestri

Lucia Agostina Smimmero

Nedda (nella commedia colombina) Valeria Sepe

Canio (nella commedia pagliaccio) Roberto Alagna

Peppe (nella commedia arlecchino) Matteo Mezzaro

Silvio Mario Cassi

Tonio Ambrogio Maestri

 


Si ces deux oeuvres sont souvent programmées l’une derrière l’autre, c’est essentiellement parce qu’elles sont courtes et que leur format est atypique. J’ai, pour ma part, vu d’autres « assemblages » et la tradition en la matière n’a pas force de loi. Il me parait encore moins évident de devoir absolument avoir le même ou la même interprète pour Turiddu et pour Canio, pour Alfio et pour Tonio ou encore pire pour Santuzza et pour Nedda qui ne font pas appel aux mêmes qualités vocales, la première étant généralement mieux servie par une mezzo ou au moins par une soprano à la voix ample et largement développée dans le medium.

Cela rend l’exercice difficile pour l’artiste et ne permet pas finalement aux interprètes d’entrer pleinement dans les deux personnages successifs, du fait de la nécessité de se préserver un peu pour la suite.

La quatrième représentation données pour ce diptyque aux Arènes de Vérone pour cette brillante reprise du festival en 2021, avait prévu une distribution assez différente de celle à laquelle nous avons eu droit hier soir. 

On comprend les difficultés pour la direction à garantir les distributions annoncées au moment de la vente des billets, on comprend moins l’absence totale d’information aux spectateurs qui auront du attendre quasiment l’annonce orale de la distribution quelques minutes avant le commencement du spectacle pour découvrir, par exemple, que Nedda ne serait pas Marina Rebeka mais Valeria Sepe.

L’affichage projeté en fond de scène, annonçait encore Piero Pretti en Turiddu et Vittorio Grigolo en Canio…

Entretemps, les deux interprètes avaient été remplacés par Yusif Eyvazov, puis par Roberto Alagna, le premier avait chanté lors de la Première de ce Cav/Pag à Vérone, le 25 juin (séance retransmise par la RAI) le deuxième lors de la séance du 31 juillet, celle qui, du dire de tous, a été la plus réussie et la plus impressionnante mais, hélas, non prévue à la retransmission.

Il est difficile de relier artificiellement ces deux œuvres en réalité très différentes, même si elles relèvent du « vérisme », courant artistique italien qui s’est développé à la toute fin du 19ème siècle, voire au début du 20ème, et s’est illustré notamment dans l’opéra. Il s’agissait de transposer en quelque sorte le naturalisme littéraire d’un Zola dans les œuvres lyriques. On citera évidemment Giordano, Ciléa, Leoncavallo et Mascagni et pour partie, Puccini lui-même. Récits de la « vie vraie », récits populaires, le plus « réaliste » possible.

La première, centrée sur une histoire sicilienne de trahison amoureuse, met en scène des villageois en très grand nombre qui entourent quatre solistes, protagonistes de ce drame de la jalousie. Les chœurs comme personnage à part entière y sont omniprésents et l’impossibilité de les faire jouer et chanter sur scène (pandémie oblige) créée un vrai déséquilibre dans l’œuvre telle qu’elle a été conçue. Cet inconvénient se rajoute au choix d’avoir regroupé le chœur dans les hauteurs côté jardin exclusivement, alors que la foule des figurants déamble fort souvent côté cour. La liaison ne se fait pas bien.

Pour finir, le choix d’une mise en scène minimaliste et très convenue, ne permet quasiment jamais de voir la tension monter entre les personnages (absents de la scène quand ils ne chantent pas alors que l’ensemble de l’histoire se noue aussi au travers de regards, de baisers furtifs). 

Il se dégage donc de cette première partie un certain ennui sur le plan scénique tandis qu’à l’inverse la mise en scène de Pagliacci, totalement différente et basée sur l’univers de Fellini (et en particulier de son film « les clowns ») est un enchantement visuel permanent. Le jeu des figurants qui endossent les costumes des personnages felliniens les plus emblématiques (sur fond d’affiches de ces films les plus connus) pendant le Prologue par exemple, est une vraie réussite visuelle pour introduire le drame. Leur transformation en tout ce que l’histoire compte de clowns dans l’œuvre fellinienne est également magnifique et le final, qui les rassemble touts, est, de ce point de vue, est sans doute l’un des plus époustouflants vus dans cette œuvre. 

Musicalement le chef Marco Armiliato est à son affaire, faisant sonner comme il faut cordes d’une part, cuivres et percussions d’autre part, ménageant la douceur des beaux intermezzos, très applaudis d’ailleurs en tant que tels, et valorisant chacun de ses groupes d’instruments (et les chœurs) dans un ensemble très étiré et parfois difficile à maitriser.

Placée dans les premiers rangs côté cour, alors que les chanteurs étaient le plus souvent côté jardin, j’ai du supporter souvent l’extrême sonorité des cuivres et des percussions juste devant moi qui couvraient tout le monde. L’acoustique est idéales lorsqu’on est à peu près bien centrée quand l’orchestre est installée au pied de la scène mais pas vraiment en fosse…

La soirée n’avait donc pas commencé très bien dans l’extrême chaleur de Vérone à peine atténuée en début de soirée avec un Roberto Alagna qui m’a paru en forme vocale assez moyenne pour son Turiddu. Si la voix est toujours belle et sonne bien, le ténor semble avoir des difficultés à nuancer comme il se doit, sa sérénade sicilienne qu’il chante un peu tout d’un bloc, assez monolithique qui cueille d’ailleurs la salle à froid avec ces grands silence de l’arène qui sont assez pesants mais pas rares. On le sent ensuite moins engagé qu’il ne le fut dans ce rôle, même s’il s’en tire avec les honneurs, l’émotion n'est pas toujours au rendez-vous et même son « vino generoso », pourtant très réussi, ne lui attire aucun applaudissement particulier. Il est probable que la chaleur extrême de cette soirée ne facilite pas le travail des artistes et semble avoir un peu engourdi la "salle" elle-même qui se manifeste assez peu.

Face à lui la Santuzza de Marie José Siri, déploie un chant magnifique, là où elle nuance en permanence, crescendo, dimunendo, pianis, dans un style qui n'épouse pas toujours celui de son partenaire. 

Il semble malgré tout que l'alchimie entre eux est très éloignée de celle qu'avait pu réaliser Roberto Alagna lors de sa première prestation aux Arènes, le 31 juillet, avec Aleksandra Kurzak, lors d'un duo salué tout à la fois par le public et par la critique.

Marie José Siri a l'avantage, comme Anna Pirozzi la veille en Abigaille, d'avoir de ces voix amples et larges, ne souffrent pas du tout de l’acoustique de Vérone au contraire, elles semblent y trouver une parfaite plénitude. 

Ce n’est pas, certes, la plus belle Santuzza de l’heure, qui reste pour moi Elina Garança, dont la profondeur du médium est confondante dans un rôle où le centre de gravité est un peu bas pour une soprano pure, mais elle se défend bien et m’a plutôt agréablement surprise cette fois.

Je connais depuis longtemps l’Alfio de Ambroglio Maestri, c’est l’un de ses meilleurs rôles, il le domine parfaitement, il n’y a rien à dire d’autre que « chapeau », il se promène littéralement dans toute cette première partie de soirée.

La Lola de Clarissa Leonardi a beaucoup de charme et de personnalité. Le rôle est court mais l’interprète marque les esprits en positif.

La Lucia d’Agostina Smimmero est inégale mais elle remporte un vif succès sur sa dernière tirade avec un « viva Agostina » crié depuis les gradins.

Mais vous l’avez compris, entre une mise en scène ennuyeuse et sans la moindre imagination, et des prestations qui restent non exceptionnelles, ce Cavalleria ne recueille que des applaudissements polis.

L’arène s’anime davantage avec le Pagliacci, introduit par un prologue assez émouvant chanté par Ambroglio Maestri, verra triompher à juste titre, outre le Tonio du baryton italien, un peu moins convainquant dans ce rôle qu’en Alfio, la très belle interprétation de Roberto Alagna et la jeunesse et la fougue impétueuse de notre Nedda, non prévue au programme, Valeria Sepe qui remporte tous les suffrages d’un public électrisé par une voix tout à la fois vigoureuse, belle, et surtout d’une fraicheur bienvenue ! 

Et elle forme avec le Silvio de Mario Cassi, un couple crédible qui respire la joie de vivre et d’aimer.

Roberto Alagna, Canio sombre et tourmenté, incarne très bien ce personnage de clown triste et excelle dans l'interprétation qu'il fait de ce personnage en évolution constante dont la jalousie sera criminelle. Et même s’il n’a pas surmonté ses quelques difficultés vocales d'un soir, il fait montre d’un engagement qu’il faut saluer comme il se doit et qui impressionne fortement.


Même si on l’a entendu en meilleure forme et plus vaillant encore dans un rôle qui, à mon sens, lui convient mieux que Turiddu, et son « Vesti la Giubba », émouvant et tragique, recueille enfin la juste récompense du public qui l'applaudit chaleureusement. Son Canio est l'un de ses meilleurs rôles et il reste de très haut niveau, le ténor a du métier et nous le montre avec talent. Alors bravo !

Très beau Peppe du ténor Matteo Mezzaro, chœurs magnifiques et figurants fantastiques.

Le tout pour un spectacle tout à fait satisfaisant et même très imaginatif et plaisant visuellement et qui laisse une empreinte très positive...et salué avec beaucoup plus d’enthousiasme par la salle !


(PS : je resterai curieuse de savoir ce que Grigolo aurait fait d'un premier Canio, sans la solide expérience d'Alagna mais avec peut-être l'intérêt d'une nouvelle interprétation ?)






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