Nabucco aux Arènes de Vérone : Viva Verdi et viva Anna Pirozzi !

Nabucco




Giuseppe Verdi

 

Représentation du 13 Août 2021- Festival des Arènes de Vérone

Direction musicale : Daniel Oren

Chef des choeurs : Vito Lombardi

Mise en scène : Michele Olcese

 Nabucco : George Petean 

Ismaele : Riccardo Rados 

Zaccaria : Rafał Siwek 

Abigaille : Anna Pirozzi 

Fenena : Géraldine Chauvet

Abdallo : Carlo Bosi

Il Gran Sacerdote Di Belo : Nicolò Ceriani

Anna : Elena Borin

 

Il faut rendre d’abord hommage à Anna Pirozzi, qui fêtait ce soir à Vérone, sa centième Abigaille, un rôle exigeant et difficile dans lequel elle est désormais la référence de sa génération. 

L’œuvre elle-même est très souvent donnée dans les Arènes puisqu’il est le troisième titre le plus fréquent du Festival de Vérone. Verdi est trentenaire quand il écrit ce monument aux références bibliques censées dissimuler tant bien que mal, son désir d’immortaliser le combat héroique des italiens contre la domination autrichienne d’alors. Cette histoire qui a conduit très souvent les Italiens à considérer l’émouvant et poignant « Va pensiero » comme leur hymne libérateur, fait que tout Nabucco est chargé d’une très forte symbolique qui fait vibrer les cœurs des spectateurs, suspendus à la grandeur parfois presque martiale de la musique, mais aussi aux moments les plus intimes de cette œuvre complexe, avant de s’abandonner à la ferveur « patriotique » du chœur tant attendu, et évidemment « bissé ».

Anna Pirozzi « est » Abigaile. D’abord sauvage et rebelle, elle rugit comme une lionne, envoie sa colère traverser les arènes et nous atteindre de plein fouet. Les aigus sont splendides en mode « Forte », legato et élégance du phrasé sont mis au service d’un chant percutant, timbre rond et pulpeux comme force de l’incarnation de la sauvage fille de Nabucco. Puis elle se transforme, et cette évolution du personnage est parfaitement maitrisée par l’interprète, elle devient émouvante, amoureuse, fragile presque, scotchant littéralement l’auditoire captivé. La voix est ample et chaleureuse, les écarts de notes meurtriers parfaitement maitrisés, le timbre est chaud et capiteux, ennivrant bien souvent, avec une belle technique qui met Anna Pirozzi au rang des grandes Abigaille, capable de prouesses vocales qui paraissent totalement naturelles. 

A ses côtés, le Nabucco de Georges Petean parait un peu raide et pas toujours à l’aise avec le legato verdien du rôle, victime à plusieurs reprises d’une acoustique capricieuse qui ne gêne jamais la projection insolente de sa partenaire, mais conduit à plusieurs reprises le baryton dans le territoire dangereux de l’extrême confidentialité, parfois à des moments décisifs, l’orchestre le couvre alors, hélas.

Il est cependant chaleureusement salué par le public qui lui est, à juste titre, reconnaissant de son engagement sans faille dans un rôle qui n’est sans doute pas son meilleur mais qu’il affronte vaillamment et avec courage dans la chaleur moite de la soirée à Vérone. Et en dépit des aléas acoustiques dont il est victime, la voix est superbe et magnifiquement modulée dans les moments les plus importants du rôle.

Zaccaria a une vraie voix de « prophète » avec la basse polonaise Rafal Siwek, une voix qui annonce les malheurs et appelle son peuple à la révolte. L’interprétation est impressionnante et très réussie.

Fenena c’est la jolie surprise de la soirée, la belle voix émouvante de Géraldine Chauvet qu’on n’entendait plus trop ces dernières années et qui incarne la douceur, la bonté, la beauté et l’amour du jeune et énergique Ismaele de Riccardo Rados, jeune ténor Italien remplir de fougue et de talent qui incarne d’ailleurs, outre Ismaele, le messager dans Aida et Peppe dans Pagliacci, durant le festival de Vérone de cet été. Très belle voix très bien projetée et beau timbre plutôt corsé aux aigus insolents.

Citons aussi les remarqués Carlo Bosi en Abdallo, Nicolò Ceriani en Grand Prêtre de Belo et Elena Borin en Anna, pour compléter une distribution plutôt haut de gamme qui confirme le choix des Arènes de Vérone, de renouer avec son glorieux passé en invitant, des stars internationales de qualité, habituées des rôles proposées, et très bien entourées par des seconds rôles brillamment distribués.

Même si l’acoustique difficile contraint le spectateur à tendre parfois l’oreille du haut des gradins, le plaisir de la voix en direct quand elle est aussi bonne, compense les désagréments des bruits parasites extérieurs (avion, sonorisation agressive d’un bar ou d’une boite de nuit…).


Les chœurs ont octroyé au public enthousiaste un « bis » de va Pensiero, exécuté sur le mode « Forte » alors que le premier était plus « murmuré » et a donné le sublime descrescendo final à deux reprises alors que le silence était total et que le public, profondément respectueux de cet air emblématique, attendait l’extinction totale pour applaudir à tout rompre. Un grand moment d’émotion.


Daniel Oren a souvent dirigé Nabucco, tout particulièrement aux arènes de Vérone où il est un habitué. L’orchestre sonnait curieusement bien mieux et de manière beaucoup plus homogène dès la seconde partie, après une ouverture trop contrastée et où un certain déséquilibre des instruments rendait parfois les cordes peu audibles. On le sait les cuivres ont une place prépondérante dans l’œuvre mais savoir éviter certains accents trop « pompier » relève aussi de l’art du chef, parfois mis légèrement en défaut dans la première partie.

Et là encore, une acoustique difficile à maitriser avec des chœurs qui ne sont pas sur scène mais dans les gradins arrière du fait des règles COVID, a conduit à de légers décalages entre les instrumentistes et les voix.


La mise en espace scénique prend le parti pris d’une transposition années 30, nazisme, fascisme, shoah pour illustrer le martyr des juifs exilés de force par Nabuccodonosor.

De tous là haut sur les gradins, on voit surtout de belles images projetées, émouvantes et esthétiquement très réussies, reprises des documents du Museo Nazionale dell'Ebraismo Italiano e della Shoah de Ferrare.

Un peu trop de bruits de bottes, d’explosions, de cavalcades nuit un peu à la sérénité d’un spectacle en plein air où l’on aimerait vraiment se concentrer d’abord sur les voix et les instruments mais le ballet des enfants à cerceau tout en blanc ou les « faux » chœurs de figurant tout en gris tombant en cendres durant le « Va pensiero » sont réellement de très très beaux moments.


Et puis il y a l’ambiance, la douce chaleur renvoyée par les pierres de l’antique monument, le public qui crie « Viva Verdi » à la fin du spectacle sans ménager ses applaudissements tout au long de l’œuvre, les vendeurs de coussins et de bouteilles d’eau pendant les deux entractes, le coucher du soleil qui dore les arènes, la nuit et une étoile qui brille au dessus de la scène, et plein d’autres détails qui font un peu la magie des soirées à Vérone.




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