Et vive Salomé et l'Opéra pour tous ! C'était la fête hier à Zurich pour accueillir l'oeuvre de Strauss et la superbe Salomé d'Elena Stikhina !

Salomé



Richard Strauss

Livret de Richard Strauss, d'après la pièce d'Oscar Wilde

 

Direction musicale : Simone Young 

Mise en scène Andreas Homoki 

Décor : Hartmut Meyer 

Costumes Mechthild Seipel 

Herodes Wolfgang Ablinger-Sperrhacke

Herodias Michaela Schuster

Salome Elena Stikhina

Jochanaan Kostas Smoriginas

Narraboth Mauro Peter

Page d'Herodias/Esclave Siena Licht Miller

Orchestre Philharmonia Zürich


Photos :Paul Leclaire, Opernhaus.




 

Soirée du 12 septembre, retransmis en livestream et sur grand écran sur la place devant l'Opéra, ouverture de la saison de l'Opéra de Zurich.

 

 Ce Salomé qui ouvrait brillamment la saison de l'Opéra de Zurich, était forcément béni des dieux, malgré les querelles religieuses qui ponctuent le livret de cette oeuvre coup de poing.

Pour son retour à la normale après des mois de fermeture ou d'ouvertures si réglementées qu'elles en devenaient musicalement problématiques, l'Opéra de Zurich avait mis les petits plats dans les grands : retransmission en plein air sur grand écran devant l'Opéra dans le cadre de l'opéra für alle" (esplanade remplie et joyeuse trinquant au beau temps et au bonheur de retrouver l'art lyrique), retransmission en livestream dans le monde entier, salle pleine à craquer débarrassée de ses jauges restrictives, orchestre au grand complet sans distanciation et en fosse, artistes tous sur scène, bref que du bonheur.

L'Opéra de Zurich avait fait le maximum pour "garder le lien" avec son public durant la pandémie, offrant régulièrement des représentations sans public, installant l'orchestre dans une autre salle avec liaison en fibres optiques, et les choeurs en coulisse, efforts que nous avons salué à juste titre mais qui laissait quand même le goût amer de l'inachevé...

Le retour à la normale est donc la bienvenue et permet de rappeler que l'orchestre est partie prenante comme les choeurs de toute oeuvre lyrique, que le chef dirige tout le monde, et que l'émotion "vraie" vient forcément de cette osmose nécessaire.

Zurich n'avait pourtant pas choisi l'oeuvre la plus facile ni la plus "grand public" pour ouvrir sa saison "grand angle". Le public était pourtant massivement au rendez-vous et les ovations finales, dehors comme dedans, ont prouvé que la réalisation a beaucoup plu, incontestablement par la qualité de ses interprètes, mais sans doute aussi, par la simplicité d'une mise en scène très épurée et très stylée, comme Homoki les aime.

Andreas Homoki explique avoir voulu greffer sur les aspects psychologiques développés par la tragédie d’Oscar Wilde et illustrés dans l’opéra musicalement foisonnant de Richard Strauss, les aspects sociaux. Sa mise en scène imagine donc un monde stéréoptypé où chacun porte sa combinaison de couleur uniforme et joue « son » rôle dans une société hautement hiérarchisée et immuable, monde violemment perturbé par le prophète Jonachaan qui, par ses paroles puis ses actes bouscule tout l’équilibre. Le suicide spectaculaire de Narraboth prend d’ailleurs tous son sens, lui le fidèle gardien d’un certain « ordre », a trahi ses serments et ne peut survivre dans le nouveau monde ainsi bouleversé. Le grand rituel des Juifs, bien mis, et se disputant pour la millième fois l’interprétation des Ecritures devient ainsi une course échevelée où chacun perd sa dignité, le prophète séduit Herodias, Herodes perd sa longue cape pour n’apparaitre qu’en pyjama de soie, roi déchu et ridiculisé…

Mais ces aspects, traités essentiellement par le jeu des chanteurs, tous magnifiques acteurs, ne retire rien à la puissance évocatrice de la folie de Salomé, personnage féminin fort et vaindicateur, qui poursuit ses obsessions sans jamais céder ni reculer.

Avec un décor minimaliste (et futuriste) d'Hartmut Meyer, esthétiquement très impressionnant dans sa simplicité, sa fonctionnalité et ses éclairages superbes, les protagonistes se livrent à une véritable chorégraphie où tout est réglé au millimètre en étroite osmose avec la luxuriante partition de Strauss que Simone Young dirige avec une fougue presque inhabituelle. On sent que l’orchestre enfin libéré donne tout son volume !

Et bien sûr, le meilleur reste une étonnante distribution, très adéquate aux différents rôles, sans peur et sans reproche, audacieuse et conquérante et qui nous donne bien du plaisir et beaucoup d’émotion.

L’héroine (très bien entourée) de la soirée est incontestablement la magnifique Elena Stikhina. Depuis qu’à Paris, nous l’avons découverte pour beaucoup d’entre nous, en remplacement d’Anna Netrebko dans Eugène Onéguine à l’Opéra Bastille puis en Sieglinde et dans la Brünnhilde de Siegfried, lors du Ring dirigé par Gergiev à la Philharmonie de Paris, nous la suivons de près et elle ne cesse de surprendre agréablement. Après tout, il n’y a pas tant de sopranos actuelles capables de chanter Tchaikowski et Wagner à la perfection et d’enchainer avec Puccini dans une Tosca émouvante ou verdi une Leonore de la Forza del destino également impressionnante, les deux à nouveau à l’Opéra Bastille. Membre de la prestigieuse troupe du Mariinsky, Elena Stikhina est d’ailleurs une star en Russie. Elle donne un récital le 17 septembre à Moscou entre deux Salomé à Zurich, pour lequel j’espère d’ailleurs une retransmission ! Enfin, ajoutons qu’elle a déjà récemment chanté et joué Salomé, en février à la Scala de Milan, dans une mise en scène de Damiano Michieletto, prestation retransmise à l’époque et toujours disponible sur YT, et en juin au Mariinsky.

Elena Stikhina a l’élégance et la grâce sur scène de la pulpeuse et redoutable Salomé, incarne son côté félin et passionné par sa manière de « glisser » littéralement sur scène, de se lover sur elle-même, de danser avec un talent tout oriental, mais aussi d’embrasser goulument la tête ensanglantée de l’infortuné prophète sacrifié sur l’autel de son désir malsain.

Grands yeux au regard halluciné, mains souples et avides, corp voluptueux moulé dans des robes de satin colorées, notre Salome occupe la scène monopolisant les regards et captant l’attention, distillant l’émotion avec talent. Le timbre est beau et souple, moins opulent sans doute que certaines Salomé actuelles (je pense à Asmik Grigorian notamment) mais suffisamment riche pour ne jamais se laisser submerger par l’orchestre qui déferle régulièrement en vagues successives. Elle le domine comme elle domine un rôle difficile qu’elle chante de manière « naturelle », avec ce timbre qui possède un grain ingénu dans les aigus et beaucoup plus inquiétant dans les graves, dont elle « joue » à merveille. C’est une vraie interprète qui surmonte tous les obstacles avec assurance et nous donne du très beau chant, jeune, frais, séduisant d’une grande pureté.

Face à elle, adversaire irréductible et prophète du nouveau monde, reproche vivant et permanent des « fautes » de ceux qui le détiennent prisonnier, le Jochanaan de Kostas Smoriginas est une découverte pour moi, très applaudi d’ailleurs, même s’il a chanté déjà ce rôle plusieurs fois. Là aussi la voix est belle, puissante et large mais reste juvénile, ce qui nous donne un « affrontement » entre deux jeunes gens et renforce le jeu séduction/répulsion magnifiquement orchestré par la mise en scène d’Homoki. Leurs gestes sont audacieux et presque athlétiques pour une sorte de mouvement perpétuel qui devient vite émotionnellement très obsédant et très réussi. Et quel beau timbre homogène des aigus aux graves, en plus d’une prestance impressionnante et vaguement inquiétante où il incarne si bien les possibles « révolutions » de ce monde qu’il excècre.

L’Herodes Wolfgang d’Ablinger-Sperrhacke est ubuesque au sens immédiat du terme : c’est une sorte de père Ubu monstrueux et ridicule dans sa fatuité, celui qui règne mais qui craint les dieux, qui désire la belle Salomé pour la dévorer, et devra tuer le monstre dont il a excaucé le désir le plus fou. Beau chant là aussi, très enlevé, et jeu d’acteur fabuleusement « vrai » notamment dans son face à face avec l’Herodias très classe et très décadente de Michaela Schuster et la Salome d’Elena Stikhina.

Dans les “gentils”, forcément victimes, on remarque le Narraboth de Mauro Peter, émouvant aux larmes dans son drame, très beau timbre et beaucoup de sensibilités, un vrai talent de ténor lyrique encore jeune (34 ans) qui a fait ses classes à Munich et incarne le rôle avec conviction là encore tout comme d’ailleurs le jeune Page d'Herodias Siena Licht Miller.

Les autres rôles sont tous très bien tenus de tous les points de vue et c’est peut-être d’ailleurs ce dont il faut se réjouir en premier lieu : l’homogénéité sans faille d’une distribution n’est pas si fréquente dans les difficiles partitions de Strauss et avec une mise en scène qui exige beaucoup de chanteurs déjà très investis dans leur première tâche, le chant. 

Plaisir d’une soirée réussie donc. Et merci à Zurich.






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