Hors des sentiers battus : un magnifique récital Barbeyrac/Cemin à l'Athénée, Poulenc, Britten et... Wagner !

Alphonse Cemin, Stanislas de Barbeyrac



"Les lundis musicaux" au Théâtre de l'Athénée Louis Jouvet 

 

 Récital du 4 octobre 2021 à 20h


Le ténor Stanislas de Barbeyrac et le pianiste Alphonse Cemin, nous ont offert un bien beau récital de mélodies, sortant résolument des sentiers battus et permettant une émouvante redécouverte d’œuvres fortes magnifiquement interprétées.

Comme l’a précisé Stanislas de Barbeyrac, ce récital était son premier depuis un an et demi du fait de la pandémie et de la longue fermeture des salles. Il a souligné également à quel point il aimait (nous aussi) ces moments intimes avec le public. 

Le petit théâtre de l’Athénée est un écrin idéal à dimensions humaines, dans lequel les deux artistes pouvaient à loisir nous faire partager leur amour du beau chant.

Stanislas de Barbeyrac, outre son intense activité en faveur de l’association Unisson durant la pandémie, n’a pas pour autant chômé puisqu’il a notamment chanté un « Instant lyrique » salle Gaveau sans… public, hélas.

Saluons d’abord son association avec l’un des fondateurs de l’ensemble « le Balcon », Alphonse Cemin, l’une des formations musicales qui, sous la direction du chef Maxime Pascal, est l’une des plus prometteuses de la jeune génération.

Nul doute que les évolutions vocales de Stanislas de Barbeyrac, Tamino de référence, Alceste magnifique, qui s’est glissé avec succès récemment dans la peau de Max (der Freischutz de Weber) et sera Florestan prochainement (Fidelio de Beethoven), ont trouvé un terrain d’expression convainquant avec ce programme audacieux : Poulenc et surtout Britten ne sont pas à la portée de tous les chanteurs, loin de là….Et puis nous offrir en « bis » les Winterstürme de Wagner (Siegmund, Acte 1 de la Walkyrie), en cerise sur un excellent cake, c’était plus qu’on pouvait attendre d’un récital piano. 

Sans doute une voie que Stanislas de Barbeyrac va désormais approfondir, tant d’années après le jeune Whalter qu’il fut à l’Opéra de Paris dans un Tannhauser mémorable (Christopher Ventris, Nina Stemme et Sophie Koch, mise en scène de Carsen).

Les deux compères choisissent de commencer par les mélodies de Francis Poulenc sur des poèmes d’Apollinaire. Le recueil « Banalités » qui ouvre le récital, a été chanté pour la première fois, salle Gaveau (1940) par le baryton Pierre Bernac accompagné du compositeur lui-même. Les poèmes choisis par Poulenc, proviennent de recueils de poésie différents écrits entre 1913 et 1925. 

Ce sont de petites histoires en apparence « banales » très joliment tournées que la musique transforme en belles ritournelles d’amour. Barbeyrac a souvent chanté le Dialogue des Carmélites, il connait bien Poulenc et domine parfaitement son sujet malgré les écarts de notes exigés et les quelques acrobaties vocales, il y montre beaucoup d’énergie dans l’interprétation, ne donnant jamais dans le « mièvre » ou la « ritournelle », il se lance à l’assaut du chant. Littéralement. 

Puissamment accompagné et même soutenu par le piano virtuose d’Alphonse Cemin, véritable interprète des mots lui aussi. Le timbre du ténor s’est renforcé et assombri, a gagné une patine cuivrée qui sied parfaitement aux mélodies qu’il interprète, tout en s’enrichissant en harmoniques. Les longues notes tenues en mode « forte » ou « piano » montrent à quel point sa gestion du souffle allié à une technique affermie, font merveille dans ce répertoire. Alternant agitation et animation à une langueur mélancolique selon les chants, il nous captive dès cette première partie. 

 

Le cycle suivant comprend quelques très belles pièces en langue anglaise. Les deux chansons de Roger Quilter, datent également du début du siècle. Le compositeur britannique était spécialisé dans la mélodie, laissant un inépuisable recueil dans lequel nos artistes ont puisé deux titres, « Weep you no more » (anonyme) et « Come away, Death » sur un texte de Shakespeare.

Arrêtons-nous un peu sur ce dernier ; ceux qui avaient entendu le bel enregistrement de Ian Bostridge accompagné par Antonio Pappano au piano « Shakespeare songs » en connaissent l’interprétation tragique et mélancolique du ténor et surtout savent que ce beau texte a également inspiré Korngold pour son recueil « Songs of the clown ».

Bryn Terfel a également enregistré une très belle version de ce Come away Death dans son recueil « Silent Noon » où l’on retrouve également « Weep you no more, sad fountains ». 

L’interprétation de Stanislas de Barbeyrac retient aussitôt l’attention tant elle est expressionniste. Un choix extrêmement séduisant qui vous saisit littéralement. Aucune affectation, de la colère, de la tristesse, de la détermination « Come away, come away Death, Sad true lover never find my grave, To weep there! ».

Grand mélodiste de la même époque, Ivor Gurney a notamment composé les fameux « Five Elizabethan Songs » dont est tiré le « Sleep » qu’a choisi Stanislas de Barbeyrac et qui reste magnifiquement dans le style poignant de cet âge d’or de la mélodie sur textes anglais. J’apprécie tout spécialement cette version « ténor » que je trouve particulièrement émouvante. Plus de douceur dans la voix de Stanislas de Barbeyrac, de beaux aigus « piano » en voix de tête, mais toujours cette soif de communiquer, d’interpréter, de donner du sens à son chant, qui nous touche profondément. C’est différent de tout ce qu’on a pu entendre jusqu’à présent et c’est une signature vocale originale, marque d’une très grande sensibilité et d’une intelligence musicale authentique.

Terminer cette partie « britannique » (que ces Songs sont magiques), par le "Cradle song" de Britten (1940), véritable petit trésor musical qui commence en mélodie romantique, continue en swinguant manière « Summertime » et se termine à nouveau sur le calme du « sleep my darling sleep", c’est une berceuse…

 

Puis saut d’époque (mais pas forcément de style) avec le Meditation on Haydn’s name du compositeur contemporain George Benjamin (1982), œuvre pour piano seul qu’Alphonse Cemin exécute avec brio.

 

Et retour à Benjamin Britten avec cette mise en musique des poèmes d’Arthur Rimbaud Les Illuminations (1939), très inventive et qui forme un petit cycle tout à la fois difficile à chanter et très excitant vocalement. Une belle approche du compositeur britannique allié à la poésie française pour un style de chanson très expressionniste et très séduisante normalement dotée d’un accompagnement d’orchestre de chambre. Il faut écouter la version chantée par Peter Pears pour mesurer la personnalité de Stanislas de Barbeyrac qui prend un tout autre parti, beaucoup plus puissant, proche de l’opéra, déployant une voix étonnamment mûre pour une interprétation impressionnante de force. Il est clair que le répertoire de Britten est à la portée du ténor désormais et il nous transmet les mots du jeune Rimbaud, sa fougue, sa hargne même parfois, avec des moyens vocaux qui impressionnent.

Barbeyrac a sans doute perdu de son timbre lyrique et clair de jeune ténor, mais a gagné en force et en technique s’ouvrant d’autres horizons. Ce fut Max du Freischutz récemment, ce sera Florestan bientôt et évidemment chacun songe, le concernant, à Wagner

Lui aussi.

Et à juste titre. Son Wintersturme prouve qu’il sait désormais allier les longues notes tenues dans le médium que Wagner affectionne, articuler la poésie wagnérienne étroitement entrelacée à la musique, se confronter à « l’orchestre » très bien « tenu » à ce stade par le piano de Cemin, et que son timbre s’y déploie magnifiquement dans une diction allemande parfaite. Sa longue pratique de Tamino trouve là sa récompense.

De belles routes s’offrent à Stanislas de Barbeyrac comme ce récital a su le montrer. Je me souviens en repartant, du jeune Narraboth entendu à l’Opéra de Paris en 2011… que de chemin parcouru mais déjà que de promesses en germe !


 

Production : Le Balcon 

Coréalisation : Athénée Théâtre Louis-Jouvet 

Avec le soutien de la Karolina Blaberg Stiftung


Programme

Francis Poulenc/ Guillaume Apollinaire 

Banalités (1940)

1 Chanson d’Orkenise

2 Hôtel

3 Fagnes de Wallonie

4 Voyage à Paris

5 Sanglots

 

Roger Quilter / Anonyme

Weep you no more (1907)

 

Ivor Gurney / John Fletcher 

Sleep (1920)

 

Roger Quilter / Wiiliam Shakespeare 

Come away, Death (1905)

 

Benjamin Britten / Louis McNeice

Cradle song (1940)

 

George Benjamin 

Meditation on Haydn’s name (1982) pour piano

 

Benjamin Britten / Arthur Rimbaud

Les Illuminations (1939)

I - Fanfare

II - Villes

III a - Phrase

III b - Antique

IV - Royauté

V - Marine

VI - Interlude

VII - Being Beauteous

VIII - Parade

IX - Départ

 

Bis : Winterstürme (extrait de l’acte 1 de la Walkyrie, rôle de Siegmund).  

Commentaires

Les plus lus....

Magnifique « Turandot » à Vienne : le triomphe d’un couple, Asmik Grigorian et Jonas Kaufmann et d’un metteur en scène, Claus Guth

Salomé - Richard Strauss - Vienne le 20/09/2017

"Aida" mise en scène par Michieletto au festival de Munich : les horreurs de la guerre plutôt que le faste de la victoire