Munich : le retour de la Forza del destino !

La Forza del destino

Giuseppe Verdi

 

Première au Théâtre Mariinski de Saint Petersbourg, le 10 novembre 1862.

Bayerische Staatsoper

Mise en scène de Martin Kusej, première de cette nouvelle production : décembre 2013.

 

Séance du 29 Septembre 2021

Direction musicale : Andrea Battistoni

Le marquis de Calatrava/ Père Guardiano : Mika Kares

Donna Leonora : Anja Harteros

Don Carlo di Vargas : Georges Petean

Don Alvaro : Stefano La Colla

Preziosilla : Ekaterina Semenchuk

Frère Melitone : Ambroglio Maestri

Curra : Daria Proszek

Orchestre et Chœurs de l’Opéra de Munich

(photos-c- W. Hösl- )

 

J’ai une relation particulière avec cette « Forza » de Munich et je ne suis pas la seule, il suffit de se pencher sur le nombre incroyable d’articles élogieux écrits à l’époque de sa création fin 2013, début 2014. J’avais eu énormément de difficultés à obtenir une place, pour l’une des dernières séances de la série, le 5 janvier 2014. Quelques images et des extraits brefs étaient diffusés par les services de presse de Munich et l’on parlait d’événement considérable sur le plan vocal et scénique.

Le trio Jonas Kaufmann/Anja Harteros/Ludovic Tézier s’était déjà fait remarquer lors du festival d’été de 2013 à Munich, dans la reprise d'un Don Carlo vocalement très excitant. 

La Forza leur permit de franchir un pas supplémentaire phénoménal : la production était montée pour eux, ils l’avaient beaucoup travaillé et leur présence sur scène fut de celle qu’on n'oublie jamais. Les trois duos Alvaro/Don Carlos en particulier, réglés au millimètre sur le plan du chant, de l’expressivité, du sens de leur affrontement, mais aussi des mouvements sur scène, étaient tellement parfaits que le public n’en croyait ni ses yeux ni ses oreilles. Comment chanter avec autant de couleurs et d’expressivité, en respectant l’ensemble des nuances de la partition, sans jamais perdre son souffle, tout en s’élançant en vol plané sur une table ou en s’empoignant avec vigueur et sans chiqué (apparent au moins).

Ils avaient réussi à créer un événement, repris l’été au festival, capté heureusement deux fois puis transformé en DVD et en représentations cinématographiques pour la postérité. De nombreuses reprises ont eu lieu depuis à Munich, d’année en année, avec le couple Kaufmann/Harteros au moins. 

En cette rentrée, après des mois de disette, tout le monde espérait à nouveau revivre une partie de la magie avant d’apprendre que, victime d’une trachéite, Kaufmann qui avait beaucoup chanté tout l’été, ne pourrait pas honorer ces trois représentations de reprise.

Il faut être honnête : la déception a conduit nombre de spectateurs à ne pas venir ou à tenter sur les marches de revendre leurs billets (là où traditionnellement ce genre de soirée provoque l’inverse : des dizaines de spectateurs à la recherche d’un dernier billet…), des places vides dans la salle et puis, une salle qui va mettre un peu de temps à se chauffer pour applaudir les performances des artistes.

Oublions ce malaise de départ et cette ambiance morose, qui s’est heureusement dissipée car pour l'essentiel, la soirée s'est très bien tenue et cette Forza n'a pas démérité même si elle n’a pas atteint les sommets de 2014.

L'une des raisons et non des moindres, a été l'excellente direction musicale de Andrea Battistoni, jeune chef très prometteur dont il faut retenir le nom. Je ne sais pas ce qu'il donne en général, mais dans Verdi et surtout dans la Forza, c'est une réussite : tempi vifs et colorés, contraste entre les instruments, les moments (lyriques, tragiques), sens du drame, soutien permanent aux chanteurs et entenre parfaite avec les choeurs (orchestre et choeurs de Munich en très grande forme !). L'ouverture était déjà un vrai plaisir et quand ça commence bien musicalement, c'est très bon signe pour la suite ! Battistoni a montré un grand savoir faire et une direction inspirée assez précise, valorisant la partition '(qui est, pour moi, l'une des plus belles de Verdi). La précision musicale de qualité entre chœurs et orhestre nous a d’ailleurs donné des scènes de foule émouvantes et réussies dans les actes 2 et 3, avec peu à peu une véritable interaction avec la salle et une montée des émotions. 

Anja Harteros a largement confirmé sa suprématie dans le rôle de Leonora, à qui elle sait donner tout à la fois, son superbe timbre capiteux (qui ne vaut qu'en direct, sa voix passe mal les enregistrements), la classe folle de son allure même quand elle perd tout et qu'elle fuit, déguisée en homme, son jeu très convainquant et son « Pace, pace mio Dio ! » qui est ce qu'on peut entendre de plus beau aujourd'hui : de la douceur et de la force en même temps, une voix qui ne "crie" jamais tout en remplissant la salle sans difficulté, un sens des nuances précis et techniquement parfait qui créé l'émotion recherché. 

J'avoue avoir désormais un faible pour la basse Mika Karès que nous avons entendu assez souvent à Munich ces dernières années (dont récemment dans Tristan) et qui confirme sa capacité à chanter lui aussi avec un legato verdien parfait, chargeant son timbre de mille couleurs ce qui est chez une basse est finalement assez rare. Il lui est confié comme la mise en scène le veut, les deux rôles du père intransigeant de Leonora qu’Alvaro tue par erreur, début de l’enchainement de tous les malheurs, et celui du Père Franciscain chez qui Leonora ira se réfugier pour fuir la haine de son frère. Dédoublement des deux figures auxquelles Leonora se soumettra forcément. 

J'aurais quelques réserves sur l'interprète d'Alvaro, Stefano La Colla (que j'avais déjà entendu il y a quelques années à Rome en Cavaradossi). Il a sans doute débarqué assez tardivement sur la mise en scène et s'est donc bien gardé de risquer les acrobaties de Kaufman, qui a été depuis le début et malgré de nombreuses reprises, le seule titulaire du rôle à Munich, notamment le fameux vol plané sur la table lors du duo de l’acte 3. On ne lui en tiendra évidemment pas rigueur et on le remerciera chaleureusement d'avoir accepté le challenge. Son Alvaro est probe, bien chanté mais, dans son style, toujours très monolithique en mode "forte" permanent. Sa technique reste sommaire et toujours à peu près la même, peu de legato, des phrases bien articulées mais monocordes et des aigus pris légèrement en dessous mais claironnants, tenus assez peu de temps. C'est tout à la fois impressionnant (en décibels) et un peu lassant, la conséquence était une relative incapacité à faire croire à son personnage complexe mais on a trop Kaufmann en tête et La Colla ne peut pas approcher une aussi subtile interprétation. 

Georges Pétéan nous a fait très peur au départ. Après un « Son Pereda son ricco d'onore » très engorgé et terne, il nous surprend brusquement dans la deuxième partie quand il renait littéralement notamment avec un "Morir! Tremenda cosa! " très émouvant et très juste. Mais, pour l'avoir entendu lui aussi assez souvent, notamment cet été dans Nabucco à Vérone, je sais qu'il peut être très inégal sur l'ensemble d'un rôle et il a su s'imposer peu à peu et rendre tout à fait crédible sa noirceur obstinée, sa colère inextinguible et sa haine en tous cas lors de ses airs solo. On voyait d'ailleurs qu'il était content de sa prestation aux saluts à juste titre. Nous l'avons vraiment apprécié.

Malheureusement, ténor et baryton nous ont nettement privés de l'interaction fabuleuse qu'avait su créer Kaufmann et Tézier et qui avait été l'un des points les plus remarquables de leur prestation en 2014 (en partie rééditée à Londres en 2019). Là rien de tel, loin de là. Une juxtaposition de deux chants.

Ekaterina Semenchuk, dont c'était le retour après de nombreuses annulations estivales pour COVID, nous est revenue en pleine forme, très belle Preziosilla, la mezzo russe donne toujours l'impression de pouvoir tout chanter et tout jouer et c'est un peu vrai...

Ambrogio Maestri est franchement un Fra Melitone de luxe donnant lui aussi une belle cohésion à une équipe qui s'est soudée peu à peu donnant notamment des scènes de foule très très réussie à la fin de l'acte 2 et à l'acte 3.

J'avais trouvé à l'époque la mise en scène intelligente et efficace, les décors vus "en vrai" sont assez fascinants et les similitudes d'objets familiers qui forment au départ le salon où Leonore attend Alvaro, au fil des tableaux, notamment la présence de la table, ont été copiés ensuite par Loy dans sa propre mise en scène, reprise à Londres en 2019,  comme par une sorte de clin d'oeil d'une référence devenue classique. C'est là que tout commence et c'est là que tout finit. L'enchevêtrement de croix du dernier tableau a également été emprunté plus tard dans une mise en scène de Don Carlo à Vienne. Quelques images fortes qui sont restées gravées et liées à la Forza del destino à jamais.

Bonne soirée au final à mon avis. Et un grand merci aux artistes tous généreusement applaudis au rideau !

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