Sortie d'un DVD de référence pour l'excellent opéra de Korngold, Die Tote Stadt, la qualité "Munich", Kiril Petrenko à la baguette, Jonas Kaufmann dans le rôle de Paul !

Die Tote Stadt (La Ville morte) 



Erich Wolfgang Korngold 

Livret du compositeur (sous le pseudonyme de Paul Schott) et de son père d'après la pièce Le Mirage adaptée du roman Bruges-la-Morte (1892) de Georges Rodenbach.

Création en 1920 à Hambourg

 

DVD « Bayerische Staatsoper », sortie juillet 2021

Représentation de décembre 2019 à Munich

Direction musicale : Kiril Petrenko

Mise en scène : Simon Stone

Avec

Paul : Jonas Kaufmann

Marie/Marietta : Marlis Petersen

 

Voir ma critique de la représentation en salle

https://passionoperaheleneadam.blogspot.com/2019/11/magistrale-descente-aux-enfers-dans-die.html

Le Bayerische Staatsoper vient de publier en DVD sous son label, die Tote Stadt de Korngold dans une très belle réalisation à la hauteur de la magie créée dans la salle par tous les artistes sous la direction de Kiril Petrenko. Nous avions la chance de voir l'une des représentations lors de la création de ce spectacle mis en scène par Simon Stone, à Munich en décembre 2019. Hélas, il n'a pas été repris comme prévu l'été 2020, le festival ayant été annulé pour cause de COVID.

L'oeuvre est magnifique sur le plan musical et la réécouter sous la baguette incroyablement précise de celui qui est désormais le directeur musicale de la Philharmonie de Berlin, est un plaisir sans cesse renouvelé.

Ce que l'oeil du spectateur saisissait parfois imparfaitement, est là systématiquement et intelligemment valorisé : commençons par les gestes précis et minutieux du maestro, ses incessants coups d'oeil à chacun de ses instrumentistes et à ses solistes sur scène, ses encouragements amicaux, sa véritable communion avec la scène. Depuis la salle, si on entend le génie du maestro, qu'on aperçoit parfois sa gestuelle magique, il est rare qu'on puisse ainsi profiter en direct de ce travail d'orfèvre.

Ensuite, il faut saluer l'adéquation de la mise en scène de Simon Stone. Même si en la revoyant sur écran, on se rend compte que le premier tableau est assez décalé avec ce qui se dit et ce qui se fait, puisque Brigitte y décrit les obsessions morbides et mémorielles de son maitre Paul, jeune veuf inconsolable, montrant à Franck, qui rend visite à son ami Paul, le véritable sanctuaire qu'est devenue la maison. Stone laisse les personnages à l'extérieur, regardant par la fenêtre comme des joyeux extérieurs à l'histoire. Mais c'est pour mieux souligner (et c'est remarquablement efficace) à quel point Paul est déjà dans une situation de névrose propice à ses fantasmes, lorsqu’il les fait entrer dans son antre encore religieusement blanche et immaculée, meubles sous housses et l'ensemble figé dans un lourd deuil. Il est fiévreux, agité, il a croisé Marietta, sosie de sa Marie et traverse toutes les pièces en expliquant la formidable renaissance à son ami éberlué. Il arrache les housses, il sort du cagibi que nous découvrons alors, tapissé des photos de la défunte, morte en pleine jeunesse, des cartons indiquant « cuisine », « salle », « chambre à coucher » qu’il amène sur la table pour sortir tous les accessoires qu’il avait enfermés quand la vie s’était arrêtée avec la mort de son amour.

Et c’est bouleversant, comme le sera cet enchainement fabuleux de scènes où l’on voit la maison épouser les folies de Paul, le réveil de sa sensualité avec le retour de son amour fou, les folies possibles dans un Bruge débarrassé de son silence de mort, de son provincialisme bigot pour renaitre enfin. Stone vient du cinéma, il a parfaitement utilisé tous les ressorts de l’histoire pour l’illustrer tout à la fois sur une scène de théâtre (cela fonctionnait très bien en salle) et dans une captation cinématographique précisément. Rarement la caméra aura été aussi habile à saisir les moments « live » de la scène et à nous les restituer parfaitement bien.

Et puis il y a les chanteurs. On l’a dit, comme d’ailleurs ensuite pour son Tristan, Jonas Kaufmann explose littéralement dans ce rôle : vocalement, scéniquement, il est Paul, Paul torturé, Paul amoureux, Paul qui se refuse à croire à son bonheur comme s’il devait d’abord vivre son malheur comme une expiation, avant de décider d’utiliser Marietta comme substitut et de vouloir en faire sa Marie réssucitée ce qui est impossible… et de la tuer avant de… se réveiller. Il faut voir et entendre. C’est halluciné et hallucinant. Et à l’époque, soit moins de trois mois avant de lockdown général, ceux qui avaient estimé qu’on était entré dans un cycle de déclin vocal du ténor, ont du changer d’avis : c’est un rôle meurtrier, écrit par un jeune compositeur brûlant sans compter, qui avait voulu donner au ténor toutes les difficultés en même temps. Paul est parfois profondément lyrique, juste avant d’être au niveau du heldentenor devant clamer ses aigus et passer un orchestre luxuriant, dans de longues tirades qui alternent toutes les difficultés à un rtyhme souvent accéléré. Et comme Kaufmann doit en plus « jouer » ce rôle très agité, grimper et descendre des échelles, passer au travers des cloisons, sauter sur la table ou le lit, l’exploit complet, prouve s’il était besoin que fin 2019, Kaufmann était au sommet d’une maturité vocale et d’une forme physique qu’il retrouvera en juillet 2021, après de longs mois de presque silence, avec son magistral Tristan.

Rien que pour son interprétation exceptionnelle, le DVD est une intégrale de référence. D’autant plus que Marlis Petersen, Marietta et Marie, sait parfaitement l’accompagner dans sa folie, se moulant vocalement facilement dans les deux rôles et faisant montre d’un bel engagement qui avait valu à l’époque, la même ovation que le ténor.

Et l’on revoit avec plaisir la qualité des rôles secondaires, moins visibles et moins audibles lors du spectacle, et dont la caméra a su saisir l’importance en valorisant leurs airs solos, souvent difficiles et exigeants, à commencer par le Frank/Fritz d’Andrzej Filonczyk et la Brigitta de Jennifer Johnston.

Une très belle réussite qui permet de garder dans nos videothèques, l’une des plus belles réussites du Munich de Petrenko/Kaufmann, autour d’une œuvre rare, très bien traitée par une mise en scène lisible et belle.

 

NB : Une retransmission en direct était prévue en juillet 2020 à partir de la reprise de cette production pour deux séances dont un "Oper für Alle". Tout ayant été annulé (COVID) et les premières représentations de décembre 2019 n'ayant pas fait l'objet de retransmission vidéo (mais heureusement, d'une captation qui permet ce beau DVD), c'est en réalité la première fois que ceux qui n'étaient pas dans la salle, découvrent l'ensemble de cette exceptionnelle Tote Stadt.

Et ils auront la satisfaction de pouvoir disposer de sous-titres en français, pour profiter de la richesse du livret...

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