Tosca à l'Opéra de Munich avec la divine Anja Harteros

Tosca



Giacomo Puccini

Drame en trois actes : 1900.

Représentation du 29 octobre 2021

 

Direction musicale : Daniel Oren

Mise en scène : Luc Bondy

Décors : Richard Peduzzi

 

Floria Tosca : Anja Harteros

Mario Cavaradossi : Najmiddin Mavlyanov

Baron Scarpia : Luca Salsi

Cesare Angelotti : Milan Siljanov

Der Mesner : Martin Snell

Spoletta : Kevin Conners

Sciarrone : Christian Rieger

Ein Gefängniswärter : Andrew Gilstrap

Stimme eines Hirten : Solist/en des Tölzer Knabenchors

Bayerisches Staatsorchester

Bayerischer Staatsopernchor und Kinderchor der Bayerischen Staatsoper


Photos : Wilfried Hösl

 

La salle de l'Opéra de Munich était bien remplie ce soir, comme à l'habitude quand c'est Tosca, et que Tosca c’est Anja Harteros, la reine incontestée des lieux que le public applaudit, debout, chaleureusement et longuement. Rien de changé dans cette rassurante et si agréable ambiance, ferveur d'une salle qui a retrouvé le sourire et sa complète jauge ! 

Dans cette mise en scène qui fait désormais figure de référence classique de l’œuvre de Puccini, c’était un peu notre madeleine de Proust. Après les incertitudes des mois précédents, les longues fermetures de salles dans le monde entier il y a exactement un an, ce retour aux sources dans cette « maison » qui est un peu la nôtre à tous, les fidèles de l’Opéra de Munich, était un vrai bonheur.

La mise en scène de Luc Bondy a été créée à New York au MET opéra en 2009, beaucoup s’en souviennent car elle avait créé un véritable scandale, succédant il est vrai aux frous-frous surchargés de Zeffirelli qui voulait « sa » Rome, « son » Eglise de l’acte 1, son Palais Farnèse de l’acte 2, "son" château Saint Ange de l’acte 3. Mais les splendides décors de la Première Tosca en 1900 "in situ", avaient déjà tout dit sur le sujet, j’ai eu le bonheur d’ailleurs de les revoir à l’Opéra de Rome il y a six ans et contrairement aux excès zeffiréliens, s’ils étaient conformes à l’image habituelle du tryptique, ils restaient sobres.

Bondy avait pris alors un autre parti, assez sage et qui ne méritait aucune excitation particulière (mais le public est souvent conservateur) en stylisant les monuments pour les évoquer plus que les reconstituer. Les très beaux et très intelligents décors suggèrent les lieux sans aucun doute – l’Eglise a ses chaises, sa toile en hauteur que Cavaradossi peint sur un échafaudage et une tour côté jardin pour dissimuler le fuyard, le palais Farnèse a ses grandes fenêtres d’où on entend Tosca chanter, et sa porte capitonnée côté cour qui donne sur la chambre de torture de Cavaradossi, enfin le château de l’exécution prend cette superbe teinte grise qui symbolise la fin de la nuit et la fin du beau « Cavaliere » en phase avec la mélancolie du chant et les angoisses traduites avec force par l’orchestre. 

J’ai vu cette mise en scène une dizaine de fois, c’était la troisième à Munich, et j’ai remarqué pour la première fois ce soir que le long manteau rouge de Tosca éclairé par la lumière de la fenêtre après le meurtre, est répandu près du corps de Scarpia comme un long fleuve de sang.

Il y a beaucoup de très belles idées dans ces décors, cette direction d’acteurs, ces jeux de lumières, ces analyses des personnages.

Et pourtant il reste une marge aux chanteurs pour camper leurs propres interprétations. Il me semble qu’il faut même préférer des artistes capables de proposer une incarnation véritable en se dirigeant eux-même sur scène dans le cadre fixé par Luc Bondy. Et il est vrai qu’on a vu par le passé, depuis la création en 2009 au MEt jusqu’à cette nième reprise à Munich, quelques beaux soirs à la Scala en 2011 et 2012, d’autres à Munich les années suivantes jusqu’à la consécration que fut la soirée de juin 2016, à nouveau à Munich quand l’alignement des planètes exceptionnelles de l’art lyrique que sont Anja Harteros, Jonas Kaufmann et BrynTerfel sous la baguette de Kiril Petrenko, avait permis de tout donner et plus encore. Performance inégalée…

Mais j’y ai vu également à Munich le trio Radvanovsky/ De Léon/ Maestri avec l’étonnante et percutante Tosca de Sondra Radvanovsky et le chaud-bouillant, débordant de vitalité et de bestialité même, Scarpia, d’Ambroglio Mestri ou encore la sensuelle et magnifique Tosca de Karita Mattila.

Durant ces dix dernières années, c’est finalement la mise en scène qui a réuni le plus de stars et leur a donné une vraie possibilité de s’exprimer et de donner leur interprétation. 

Toujours adéquate elle est de ce fait, régulièrement reprise par l’Opéra de Munich et cette vision de Tosca gagne des adeptes, il y a belle lurette que plus personne ne hue quoique ce soit, et l’on y revient au contraire facilement, comme pour voir une Tosca dépouillée de tout ce dont la « tradition » l’avait encombrée tout en restant scrupuleusement fidèle au livret.

Ce soir, c’était à nouveau Anja Harteros avec Luca Salsi en Scarpia et Najmiddin Mavlyanov en Cavaradossi.

Anja Harteros est sans doute la Tosca la plus emblématique de sa génération : elle chante le rôle depuis de nombreuses années, l’a approfondi en rendant compte de toutes les facettes complexes d’un personnage avant tout amoureux, si aveuglément passionnée par son Mario, que la peur de le perdre est l’artisan de toutes ses erreurs. Elle tombera dans le piège du doute tendu par un Scarpia qui doit ruser pour la posséder tant sa fidélité est totale et entière, puis celui de la trahison pour la même raison, et sa victoire apparente quand elle obtient le sauf-conduit pour elle et lui et assassine avec rage l’abominable tortionnaire, sera une cruelle défaite.

Tour à tour midinette, jalouse, capricieuse même, dévote, diva, femme de tête, femme d’action, amante désespérée, Tosca c’est tout cela et le fameux « Vissi d’arte » résume parfaitement ses contradictions. Anja Harteros a fait le tour du personnage et si désormais, ses aigus « forte » sont parfois un peu criés (constat déjà fait dans son Isolde en juillet), l’essentiel de sa prestation est tout simplement magnifique et...unique ! La longueur de l’émission et la beauté du timbre sont mis au service d’une interprétation qui illustre chaque parole, chaque posture, chaque sentiment exprimé par Floria Tosca tout au long de cette abominable journée qui ne s’achèvera qu’avec la mort de tous les protagonistes de la tragédie. Anja Harteros, outre un port altier et très racé sur scène, sait, tout en gardant une classe folle, montrer les faiblesses et les doutes de son personnage, mettre à nu ses sentiments dans des mezzo voce fabuleux, des confidences presque murmurées qui vous percutent, des aigus délicats ou rageurs, une ligne de chant absolument impeccable et une tenue de souffle qui semble infini. 

Si l’acte 1, comme presque toujours dans cette mise en scène, conduit à un léger déséquilibre acoustique des voix (que l’orchestre domine trop par instant), l’acte 2 la voit à son apogée, et je ne pense pas avoir entendu de meilleure Tosca ces dix dernières années. Certes Sondra Radvanovsky (entendue dans cette même salle et cette même mise en scène) est sans doute vocalement plus percutante mais elle ne possède pas ce timbre souverain qui permet à Anja Harteros d’être aussi l’amoureuse protectrice de Mario, prête à tout pour le sauver. Il faut croire à son amour et concernant Harteros on y croit…

Le Scarpia de l’excellent baryton Luca Salsi est lui aussi tout en nuance ce qui peut déconcerter le spectateur habitué à des Scarpia « outrés » dans l’animalité. La mise en scène le montre entouré de prostituées de luxe au début de l’acte 2 mais l’on sent que le personnage de chef de la redoutable police romaine qui veut absolument compter la rétive et fidèle Tosca à son tableau de chasse, ne sera pas pour Salsi qu'une sorte de caricature du pouvoir totalitaire. Bondy avait prévu de lui donner l’alllure du « Duce » et si physiquement Luca Salsi s’y prête, vocalement il campe un Scarpia autoritaire et décidé bien sûr, mais tout autant rusé, malin, subtil même, qui use de la menace puis de la prière en alternance permanente pour arriver à ses fins. La rage (elle s’y reprend à trois fois) que met Tosca à le poignarder, correspond bien à la colère que suscite ce personnage qui a bien failli parvenir à ses fins (et d’ailleurs y parviendra mais à titre posthume…). Un peu en retrait à l’acte 1 (toujours très difficile quand Scarpia doit éviter d’être couvert par un chœur et un orchestre particulièrement sonore dans la partition prévue par Puccini), il convainc totalement à l’acte 2. Le baryton a l’une des plus belles voix actuelles des scènes lyriques, il a l’art des nuances, des couleurs et sait enfler son timbre sans accroc dans ses crescendo ou changer de ton et de style donnant du sens à chaque phrase, dans chaque étape de son redoutable piège. Sans doute un Scarpia trop sympathique aux yeux de certains, mais incontestable un Scarpia de grand style, jamais vulgaire, à la Raimondi, sans la cruauté dont ce dernier savait faire preuve avec juste un regard ou un geste.

Le ténor Ouzbek Najmiddin Mavlyanov (Cavaradossi) appartient à la troupe des solistes du prestigieux Bolchoi de Moscou où il a chanté à peu près tous les rôles lyriques et lyrico-spinto du répertoire du 19ème siècle et notamment un très remarqué et très engagé Sadko. Ce n’est pas son premier Cavaradossi mais l’on le sent quand même un peu inexpérimenté au départ, toujours dans ce difficile acte 1, son « recondita armonia » est un peu monolithique et si la dernière note est longuement tenue, on perçoit une légère hésitation et une coordination insuffisante ave l’orchestre et son chef. De la même manière le duo avec Harteros qui suit, n’est pas très satisfaisant sans être catastrophique. Il lui manque cette symbiose nécessaire et le rythme n’est pas tout à fait le même pour les deux partenaires tandis que l’orchestre les couvre assez régulièrement, Daniel Oren ayant à cœur, manifestement, de faire sonner son magnifique orchestre plus que de raisons (des raisons il y en a par ailleurs dans les pages écrite par Puccini…).

Le même reproche pourra lui être fait  dans sa brève apparition de la première partie de l’acte 2 où lors de sa confrontation avec Scarpia (la mise en scène ne l’aidant pas…), il peine à rendre crédible la fierté indomptable du "cavaliere". A partir de son retour sur scène et notamment de son « Vittoria », le ténor prend enfin son personnage en main, sa révolte contre la trahison de Tosca, puis son cri de guerre, sont tout à la fois sonores et magnifiques et l’on attend (évidemment) son Lucevan avec impatience. Il ne nous décevra pas, la prestation est belle, plutôt subtile, sans les détestables sanglots véristes dont certains ornent encore cet air qui doit être sobre, sensible, sous la forme d'un hymne désespéré au bonheur perdu. Il arrache d’ailleurs sa première vraie ovation, parfaitement méritée, l’émotion y est, le ténor a « emporté » la salle et son final avec Harteros est infiniment plus beau et plus convainquant et plus en phase avec le chant de la soprano que leurs duos de l’acte 1 ce qui permet une fin en apothéose. J’ajouterai que ce Cavaradossi-là a finalement beaucoup de personnalité sur scène même s’il hésite à l’imposer au départ, que son timbre est singulier et attachant (mais très difficile à décrire…), qu’il manque certainement « d’italianité » et est plus « dramatique » que "lyrique" mais il laisse finalement une bonne impression, qui se traduira par une immense ovation aux saluts.

N’oublions pas les rôles secondaires qui, comme la tradition d’excellence de Munich le veut, sont tous de très haut niveau tous comme les chœurs de l’Opéra de Munich (et les chœurs d’enfants !). Le rôle de Cesare Angelotti est très bien tenu par un Milan Siljanov, percutant qui fait une entrée très remarquée sur la scène et donne le « la » du côté thriller de Tosca que valorise la vision de Luc Bondy. Le sacristain de Martin Snell a la gouaille requise pour un rôle de valorisation théâtrale de l’ensemble de l’acte 1 et le Spoletta de Kevin Conners, la dimension de cruauté du valet qui voudrait bien surpasser son maitre. La « voix du berger » est assuré par l’un des enfants du chœur avec cette fraicheur délicieuse qui introduit avec le solo de clarinette, l’un des plus beaux airs de ténor du répertoire.



J’aurais malgré tout quelques reproches à faire à la direction musicale parfois brouillonne de Daniel Oren, qui, a, commen souvent, tendance à privilégier son orchestre plutôt que les «voix» du plateau. Puccini a eu parfois la main lourde de ce point de vue et il est particulièrement important, surtout à l’acte 1, de veiller à l’équilibre. Ce n’était pas toujours le cas, d’autant plus que le maestro a des tempi parfois surprenants, ralentissant exagérément ou au contraire accélérant la conduite instrumentale, et donnant sans doute une légère insécurité aux solistes qu’il regarde peu.

Ce « bémol » souligné, il faut saluer la beauté des sonorités de cet orchestre, et son art des contrastes entre famille d’instruments, qui reste l’un de ses apanages avec cette faculté de passer du pianissimo au fortissimo et de valoriser par moment, la sonorité de chaque instrument. Il manque un peu quand mêm la baguette magique de Kiril Petrenko….

Une belle soirée de plus à Munich avec la standing ovation des grands soirs et les rappels au rideau de tous les artistes durant de longues minutes. Une tradition comme on les aime, de la part d’un public fan d’opéra, qui discute d’ailleurs avec animation de tout ce qu’il a entendu durant l’entracte et ne ménage pas ses encouragements et ses félicitations à l’issue de la représentation. Le spectacle vivant, c’est cela aussi. Du direct sans artifice et beaucoup d’émotions !

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