Du côté des CD, quelques pépites...

Du côté des enregistrements lyriques récents, Il Pirata, Mitridate, et quelques solos intéressants

Vous cherchez un cadeau à faire à un mélomane pour les fêtes ? Voilà quelques avis sur des parutions récentes (auxquelles il faut ajouter l’enregistrement Kaufmann/Deutsch des Lieder de Litszt, paru en septembre et déjà chroniqué ici). Aucune prétention exhaustive, il ne s’agit que des albums que j’ai eu la curiosité ou l’envie d’écouter et dont je donne rapidement quelques éléments d’appréciation très personnels.

Mon coup de cœur absolu, c’est ce magnifique enregistrement que l’on doit à « Prima Classic », l’intégrale de Il Pirata de Vincenzo Bellini.

Cet enregistrement studio a été réalisé sous la direction de Fabricio Maria Carminati avec l’orchestre et les choeurs du théâtre Massimo Bellini di Catania, situé en Sicile comme d’ailleurs l’histoire de ce Pirate…

Il réunit une distribution prestigieuse sur le papier, qui va confirmer son excellente adéquation aux virtuosités du Bel Canto bellinien, tout en faisant preuve d’un investissement dans les rôles qui crée ce « petit plus » des versions d’anthologie, qui donne l’impression de vivre l’histoire mouvementée des héros, Imogène (Marina Rebeka), Ernesto (Franco Vassalo), Galtiero (Javier Camarena), et son lieutenant Itulbo (Gustavo de Gennaro), Adèle (Sonia Fortunato) et Antonio Di Matteo (Goffredo).

Et la volonté du label de publier enfin une version sans coupure (« les cadences originales et les variations écrites par les chanteurs, ainsi que le final rarement joué.") de cette œuvre musicalement très belle, en rajoute à l’intérêt de l’expérience et à la qualité du produit.

Ce respect de l’intégrité de la première œuvre à succès du trop éphémère Vincenzo Bellini, conduit naturellement au choix d’artistes d’exception, capables d’être fidèles aux phrases musicales pyrotechniques écrites pour eux. Et l’on est comblé.

C’est une histoire triste à mourir comme l’opéra les aime, avec une fin dramatique, mais on s’attachera surtout à se laisser étourdir par les performances vocales. L’écriture de Bellini s’inspire encore de Rossini mais il a déjà son propre phrasé et l’on reconnait à plusieurs reprises sa préférence pour les thèmes mélodiques caractérisant les personnages. Ce Pirata annonce Norma et I Puritani qui suivront juste avant la mort prématurée de ce génie de la mélodie, décédé à 34 ans seulement…

La Callas puis Montserrat Caballé ont été des Imogène de référence absolue, la première ayant même remis au goût du jour l’œuvre de Bellini tombée dans l’oubli.

Et si Marina Rebeka est éblouissante dans ce rôle dont elle maitrise parfaitement la technique, il ne lui est pas facile de faire oublier ces deux géantes de la discographie de cette œuvre. On saluera cependant sa prestation fraiche et audacieuse, ses aigus lumineux autant que ses vocalises impeccables et la perfection de sa lecture du rôle. J’ai toujours trouvé le timbre de cette soprano un peu métallique, c’est encore le cas, elle n’a pas les rondeurs mélodieuses de Caballé ou le timbre très spécial de la Callas, mais son interprétation n’a pas à rougir de ses ainées. Et il suffira d’écouter son "sventurata anchi'o delirio" à l’acte 1 pour avoir un résumé des talents de la soprano.

Javier Camarena est celui dont la prestation ne touche droit au cœur en permanence durant tout l’enregistrement et qui donne de l’émotion à chaque instant, littéralement embarqué dans le rôle de l’amant sacrifié, dont on perçoit toutes les passions, et toute la grandeur d’âme du héros. J’adore son timbre tout à la fois solaire et profond, capable dé véhiculer tous les sentiments qu’il exprime dans le chant, bouleversant dès son incroyable « Ascolta ».

Mais on est dans la discussion de goûts personnels car l'un et l'autre sont investis dans leurs personnages avec quelques prouesses vocales (non coupées) qui sont très impressionnantes : A réécouter sans se lasser tout comme le solennel "Eviva, Allegri" où les choeurs montrent leurs talents, c'est très bien scandé, diction et rythme parfaits ! Et les duos entre les deux héros sont parfaitement accordés. Frissons garantis sur "Pieta al padre"...

La version studio est soignée, l'enregistrement parfait, l'orchestre vif et contrasté, beau dialogue avec les chanteurs solistes comme avec les choeurs et bel accompagnement de leurs prestations. 

Franco Vassalo, dans un rôle moins ample, est sans doute un interprète un peu moins abouti mais le timbre et le chant sont beaux et il accompagne très bien l'ensemble de la distribution, globalement excellente, qui comprend également le ténor Gustavo De Gennaro, la soprano Sonia Fortunato et la basse Antonio di Mattéo.

A savourer sans modération...

 

 

Autre intégrale de qualité (on est gâté ce mois-ci) celle du Mitridate de Mozart, sous la direction de Marc Minkowski avec Les Musiciens du Louvre (chez Erato)

Très attendue aussi cet enregistrement brille par la qualité de l’orchestre et de sa direction, c’est dynamique, c’est contrasté, on aime vraiment cette lecture de l’œuvre de jeunesse de Mozart qui démontre là aussi que la valeur n’attend pas le nombre des années : Mozart a 14 ans quand il écrit cette époustouflante partition !

Et là aussi, ce n’est pas tant l’intrigue que l’écriture musicale et notamment vocale qui compte. La qualité des interprètes et leurs capacités à s’affronter victorieusement aux vocalises et autres trilles qui caractérisent cette époque, est fondamentale. 

Belle distribution là aussi même si on aura quelques réserves secondaires concernant telle ou telle prestation à un moment ou à un autre. 

Avec Michael Spyres (Mitridate) dans le rôle-titre, on joue sur du velours. Je l’ai entendu par deux fois dans ce rôle sur scène, au Théâtre des Champs Elysées, puis à Londres, et c’est incontestablement celui qui actuellement a la plus grande maitrise des écarts traitres du chant, il joue de son talent de bariténor dans un rôle qui nécessite ces qualités « extrême » de graves et d’aigus (très beau « Già di pieta mi proglio ») le timbre est superbe et l’investissement, comme toujours, superlatif. 

Mais nombre de ses partenaires dans des rôles plus ou moins importants, sont tout autant admirables : citons Julie Fuchs dans une très belle Aspasia ou Sabine Devieilhe et sa délicieuse Ismene, les timbres des deux sopranos sonnant un peu différemment ce qui est idéal dans le contraste nécessaire entre les deux rôles, ou encore la jeune soprano, révélation récente du chant lyrique, Adriana Bignagni Lesca en Arbate et bien sûr le joli timbre clair de Cyrille Dubois dans le petit rôle de Marzio.

On aura un tout petit plus de nuances concernant Elsa Dreisig en Sifare, car si la soprano française a fait de réels progrès dans l’art de la vocalise et du bel canto, ce n’est pas tout à fait la dentelle dont sont capables ses consoeurs et un peu de raideur se glisse parfois dans son chant. Enfin le contre-ténor Paul-Antoine Bénos-Djian en Farnace ne convainc pas tout de suite mais gagne manifestement en assurance au fur et à mesure que l’enregistrement se déroule.

Globalement c’est un enregistrement de référence qu’on écoute avec grand plaisir. C’est vivant, nos artistes jouent et chantent leurs rôles, les habitent avec talent accompagnés par un orchestre très dynamique.

 

L’album "solo" du mois le plus étonnant, parmi ceux que j’ai écoutés, est sans doute celui de Michael Spyres, « Baritenor » (Erato) passionnante et amusante recherche dans les capacités de chanter des airs écrits pour des ténors comme des airs écrits pour des barytons, tout en gardant un bon niveau de couleurs et un beau timbre. Le ténor américain est connu depuis quelques années pour sa capacité à interpréter les rôles de ténors du baroque ou du bel canto, dont la tessiture requise descend aussi bas que celle du baryton tout en montant aux contre-notes du ténor, sans « casser » sa ligne de chant. S’essayer à chanter des airs typiques de baryton est un autre exercice où il réussit incontestablement son essai notamment dans Mozart d’ailleurs (Figaro). L’ensemble est sympathique et bien exécuté et l’on prend du plaisir à découvrir de nouvelles facettes de ce caméléon…


J’aime beaucoup également celui d’Aleksandra Kurzak, Mozart Konzertante (Apparté) où la soprano polonaise nous propose un retour à Mozart dont elle a chanté beaucoup de rôles au début de sa carrière, et qui interprète très brillament avec le Morphing Chamber Orchestra, les arias emblématiques de la Flûte enchantée, Mitridate, Zaide, la Clémence de Tito et l’enlèvement au Sérail. C’est très bien exécuté avec une technique sans faille et beaucoup d’investissement. La deuxième partie, purement orchestrale, est la fameuse symphonie concertante, sorte de concerto pour orchestre, de très belle facture là aussi.


Petit coup de cœur aussi pour celui de Janine de Bique, « Mirrors », enregistré avec le Concerto Koln, là aussi beauté du timbre, virtuosité des vocalises impeccables et capacités à parer son chant de mille nuances et de mille couleurs.  Ce sont des airs de Handel, Télémann, Vinci etc…


Paradoxalement je suis un tout petit peu moins convaincue (malgré l’importante promotion au vu de sa célébrité incontestable), par le dernier CD "Amata dalle tenebre" d’Anna Netrebko (Deutsche Grammophon) soprano qui excelle dans bien des rôles de plus en plus lourds et dramatiques et nous le prouve notamment dans Verdi et Puccini dans cet album mais peine à (me) convaincre dans Wagner et Strauss. Accompagnée par l’orchestre dela Scala de Milan sous la direction de Riccardo Chailly, « Amata dala tenebre » est passionnant et exceptionnel dans les répertoires italiens et russes. Elle livre notamment une Aida, une Elisabetta (Don Carlo de Verdi), une Manon Lescaut (Puccini) et même une Cio-cio-San (Madame Butterfly de Puccini), admirables d’intelligence musicale, de qualité de timbre et d’interprétation. Et en écoutant les deux airs de Lisa (la Dame de Pique de Tchaikovsky) on regrette qu’elle se fasse si rare dans le répertoire russe qu’elle électrise de son talent insolent. Et l’on regrette d’autant plus ces tentatives peu convaincantes d’incarner Elsa (Lohengrin), Elisabeth (Tannhauser) et Isolde dans Wagner. Sa diction allemande est trop approximative pour lui permettre du beau chant et surtout une véritable incarnation. C’est sans doute encore pire dans Strauss (Ariadne auf Naxos). Et il faut bien le dire, dans ce répertoire, nombre de wagnériennes occupent les scènes actuellement, avec de très jolies jeunes pousses comme l’impressionante Lise Davidsen, alors que les plus anciennes comme Nina Stemme tiennent encore le haut du panier sans difficulté. L'album n'en est pas moins une très très belle référence pour la qualité de la plupart des interprétations.





Et puis il existe un CD que je déconseille totalement, le premier enregistrement du ténor Francesco Meli, « Prima Verdi », (Warner) qui est un ratage absolu pour lequel il serait peu charitable d’insister davantage…

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