La délicieuse "Petite renarde" de Ellena Tsallagova dans le bel opéra de Janacek dirigé par Mirga Gražinytė-Tyla, orchestre, chanteurs et figurants merveilleux !

La Petite Renarde rusée

(Příhody lišky Bystroušky )

 


de Leoš Janáček

D’après le roman Liška Bystrouška de Rudolf Těsnohlídek 

(1924)

 

Théâtre des Champs Elysées, mercredi 24 novembre. Version concert.

Mirga Gražinytė-Tyla | direction

City of Birmingham Symphony Orchestra

Chœur de Radio France | direction Irène Kudela 

et

Elena Tsallagova | La Renarde

Roland Wood | Le garde-chasse

Angela Brower | Le Renard

Elizabeth Cragg | La Poule / Le Geai

Ella Taylor | Le Coq / La Femme de l’aubergiste

Kitty Whately | Le Chien / La Femme du garde-chasse / La Chouette / Le Pivert

Robert Murray | Le Maître d’école / Le Moustique / L’Aubergiste

William Thomas | Le Blaireau / Le Curé / Le Braconnier



Bien que composé et créé à Brno, vingts ans après Jenufa, la Petite Renarde Rusée, n’est pas la dernière œuvre lyrique du compositeur tchèque qui nous offrira encore deux de ses chefs d’œuvre, l’Affaire Makropoulos et De la Maison des Morts.

C’est probablement la réalisation la plus romantique et la plus lyrique de Janacek, avec des pages magnifiques aux belles harmonies, aux sonorités contrastées et recherchées évoquant tout à la fois la beauté de la nature, ses bruits, ses cris, et son éternel renouveau, et la cohabitation conflictuelle entre son équilibre et les incursions du monde des humains, brisant régulièrement l’harmonie. Mais le cycle implacable de la nature aura raison des drames puisque le garde chasse rencontrera à l’ultime scène, alors que le printemps est revenu, la fille de la renarde qui lui ressemble comme deux gouttes d’eau…

Comme dans Jenufa, Janacek sait tout à la fois mettre en scène les personnages emblématiques des petits villages, le chasseur, le garde-chasse, le curé, l’aubergiste (et sa femme) qui, chacun à leur tour joueront leur rôle dans ce récit en forme de fable panthéiste, véritable hymne à la Nature.

Mais il ajoute un ingrédient savoureux et décisif en créant une totale égalité entre hommes et animaux, ces derniers symbolisant finalement un équilibre nécessaire.

Les héros sont la petite renarde et son amoureux, les poules et le coq, le blaireau, la grenouille, tout un bestiaire qui aura ses thèmes musicaux et ses aventures drôles et tragiques.

Magnifique conte pour enfants de 7 à 77 ans, l’œuvre de Janacek foisonne de trouvailles sonores et poétiques, musicalement passionnante par ses brusques contrastes de style évocateurs des péripéties propres à dame Nature, le tout servi par un très beau livret.

Le bel orchestre symphonique de la City of Birmingham s’est déjà produit avec bonheur au Théâtre des Champs Elysées, et il organisait cette fois une tournée qui l’a mené à la prestigieuse Elbphilharmonie de Hambourg et au Konzerthaus de Vienne avant de rendre visite à Paris pour cette soirée animée de très grande qualité.

C’est sa jeune directrice musicale, la cheffe lituanienne Mirga Gražinytė-Tyla (35 ans) qui dirigeait avec talent la représentation. En poste depuis 2016, elle a emmené son bel orchestre dans plusieurs tournées européennes. Rappelons que Simon Rattle ou Andris Nelson ont été au début de leurs carrières à la tête de l’orchestre de Birmingham.

Et bien que le Théâtre des Champs Elysées nous ait annoncé une version-concert, c’est à une véritable mise en espace, astucieuse et charmante, que nous avons eu droit.

J’ai toujours beaucoup d’admiration d’ailleurs pour ce savoir-faire mystérieux qui conduit une équipe entière à mettre en valeur une œuvre avec sa dimension scénique sans avoir pour autant de « metteur en scène » officiel. Et ce, d’autant plus, que cette mise en mouvement a dû s’adapter au cours de la tournée à des « scènes » différentes. L’orchestre est volumineux, le chœur également, le tout occupe déjà une place considérable mais nos artistes réussissent à tout exploiter, des costumes succincts mais évocateurs de leurs rôles, aux accessoires simplifiés, et aux astuces diverses.

La petite renarde porte manteau, toque et collants orange (et parfois une fourrure autour du cou), la grenouille saute toute revêtu d’un ciré vert, les poules ont des gilets imitation plumes et les « perdent » en jetant des confettis blancs sur la scène, quand la renarde est tuée par le chasseur, ce sont des confettis rouges qui tombent sur le sol…juste après un coup de feu qui claque dans le silence… des petits riens qui font sourire ou rire quand il le faut et qui crééent aussi une forte émotion dans les moments tragiques. Et la participation d’enfants à la représentation est un « plus » incontestable qui donne fraicheur et authenticité à cette histoire qui s’adresse aussi à eux…

Dès l’ouverture, la cheffe donne la mesure de son talent face à une partition complexe et contrastée, qu’elle emmène avec brio et détermination. Romantique, élégiaque, drôle ou dramatique, toutes les parties sont intelligemment servies, l’orchestre est une petite merveille qui sait prendre l’élan nécessaire, accélérer, donner des crescendos entrainant, conclure par des accords magistraux avant silence… C’est dynamique et chaleureux, sans discordance malgré les mesures héoriques assurées par les très nombreux cuivres et une percussion énergique.

Les chœurs sont sans doute un peu moins audibles que souhaité, situés dans le fond de la scène, derrière l’orchestre, malgré leur surélévation, ce qui ne retirent rien à leurs qualités propres.

La distribution réunit des artistes confirmés et quelques jeunes pousses très prometteuses, sans oublier des enfants qui s’amusent beaucoup à incarner leurs rôles, ayant parfois quelques notes à chanter.

La Petite renarde c’est la magnifique Elena Tsallagova que nous avons eu bien souvent l’occasion d’admirer et d’apprécier et qui donne, là, une éblouissante prestation. Non seulement, elle rend crédible sans mièvrerie, son personnage de renarde rusée, espiègle et exquise par une gestuelle parfaite, mais elle nous livre également un chant d’une grande beauté, tout en nuances, qui domine l’orchestre sans la moindre difficulté, timbre sonore et velouté, aigus glorieux, volonté de fer et charme fou. Mi-renarde, mi-femme, elle sait traduire cette ambiguité du rôle avec panache, sincère, éprise de liberté, rusée si nécessaire pour se libérer, amoureuse, femme libre et mère, elle incarne successivement les évolutions du caractère de l’héroine et le spectateur finit par s’identifier totalement à son incarnation vocale, musicale et scénique de rêve.

Je n’imagine plus d’autre renarde pour Janacek et sa mort brutale nous saisit en plein vol, soudain remplis de regrets de ne plus l’entendre…

Elle est fort bien entourée, d’abord par le garde-chasse du baryton britannique Roland Wood, tout d’un bloc, voix forte et décidée, allure volontairement assez primaire, belle voix naturellement très sonore qui conclut par un superbe air final,  ensuite par le renard de la mezzo soprano américaine Angela Brower, à la belle voix harmonieuse et ample, qui forme avec sa renarde chérie, un couple vocalement splendide, leurs duos sont en totale symbiose, enfin par la jeune basse, William Thomas, aux débuts très prometteurs (un nom à retenir absolument) splendide timbre malgré l’extrême difficulté du rôle qui demande des graves répétés, et aisance scénique dans le double rôle du curé puis du braconnier assassin…

Mais il faut bien sûr citer et saluer l’ensemble des protagonistes de cette belle soirée, tant leurs interventions ont été réussies, du maitre d’école/aubergiste du ténor Robert Murray à la femme du garde-chasse de Kitty Whately, à celle de l’aubergiste d’Ella Taylor sans oublier la poule d’Ellisabeth Cragg. Une très belle équipe, très soudée qui nous a donné du beau chant incarné dans un spectacle charmant qui garde intacte la mélancolie propre à Janacek tout à la nimbant des douceurs de l’enfance.

La salle du Théâtre des champs Elysées, a réservé un très chaleureux accueil mérité à cette belle réalisation, et les nombreux groupes d’enfants présents parmi les spectateurs et très attentifs durant toute la durée, ont prouvé que l’opéra dans une vision modernisée mais authentique, a de beaux jours devant lui.

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