Paris-Bastille : une Turandot trop statique et manquant d'émotions...du ("beau") Wilson mais pas du Puccini !

Turandot

Giaccomo Puccini

Créé le 25 avril 1926 à la Scala de Milan sous la direction de Toscanini.

Version complétée pour les deux dernières scènes par Franco Alfano.

 

Séance du 7 décembre, Opéra National de Paris, Bastille.

Direction musicale : Gustavo Dudamel 

Mise en scène : Robert Wilson

 

Turandot : Elena Pankratova

Liù : Guanqun Yu

Calaf : Gwyn Hughes Jones

Timur :Vitalij Kowaljow

Altoum :Carlo Bosi

Ping : Alessio Arduini

Pang :Jinxu Xiahou

Pong : Matthew Newlin

Le Mandarin :Bogdan Talos

 

 Turandot est une oeuvre inachevée, la mort ayant saisi Puccini avant qu'il n'ait terminé l'une de ses plus belles compositions dramatiques, dont on pouvait d'ailleurs espérer une fin tragique dans le droit fil de la tension permanente de cette superbe histoire et surtout de la mort de Liu, qui doit fondamentalement marquer le fil rouge de sang de toute cette cruauté accumulée.

La fin dite d'Alfano est sans doute la plus proche du "style" de Puccini mais elle le simplifie, le rend presque "pompier" par instant et, si elle fait ce qu'elle peut, je reste d'accord avec le célèbre geste de Toscanini, arrêtant la musique à la fin de ce qu'avait directement écrit Puccini.

Car Puccini c'est tout sauf vériste, simpliste et pompier. C'est un enchevêtrement complexe de moments musicaux modernes avec d'autres plus élégiaques et classiques, et c'est un sacré don pour garantir une tension dramatique constante, exprimée autant par le jeu des choeurs/cordes (frottées, pincées c'est selon)/cuivres/percussions, style oriental et occidental entremêlés, que par le livret et le chant des solistes qui s'affrontent sur fond de destinée tragique. Puccini, cela démarre très tendu, puis cela respire tout doucement, puis cela se tend à nouveau comme un ressort, petit à petit ou soudainement,  il faut savoir rendre perceptible cette tension sans jamais se "relâcher" ou banaliser sa battue.

C'est une oeuvre magnifique, l'une des plus belles de Puccini, l'une des plus modernes aussi, qui vous prend dès la première note et ne vous lâche plus jusqu'au final (même si le tissu orchestral, hélas, est plus banal dans l'après Puccini) et qui offre des rôles magnifiques à cinq solistes "tragiques" et trois solistes "comiques", ce mélange étant d'ailleurs l'un des plus grand pieds de nez de Puccini à tout clacissisme. L'histoire se passe en Chine, à une époque ancienne, elle relève des légendes de ce pays ou d'un autre (il s'agit à l'origine d'une légende persane), c'est totalement secondaire, ce qui passionne Puccini c'est le caractère tragique, dramatique de l'histoire contée. Cruel même.

Et sans hésitation, parce que l'ennui m'a saisie dès le premier tableau pour ne plus me lâcher jusqu'à la fin dans une salle qui semblait saisie par la torpeur d'ailleurs, je dirai que la représentation proposée par l'Opéra de Paris, ne répond pas vraiment à ces exigences.

Je connais le travail du metteur en scène Robert Wilson quasiment depuis ses début à l'Opéra de Paris, avec la Flûte enchantée en 1993, j'ai vu (plusieurs fois) ensuite sa Madame Butterfly et son Pelléas et Mélisande. C'est dans ce dernier d'ailleurs, où la lenteur poétique des situations se prête à la langueur qu'il aime à donner à ses "tableaux" qu'il m'a paru le plus adéquat... Pour ce Turandot, il nous propose à nouveau et comme toujours, une somme de tableaux picturaux figés, où les chanteurs telles des mannequins statufiés, adoptent des poses quasi uniques quelle que soit l'action en cours, qu'ils chantent ou se taisent, un bras levé, l'autre le long du corps, tous face à la scène nue, baignée dans un subtil éclairage qui donne couleurs, ombres, lumières et même pénombre totale à leurs personnages de marionnettes.

Arrivées et départs des choeurs ou des personnages secondaires se font avec la même lenteur hiératique qui ne doit en aucun cas bousculer cet immobilisme sacré. Seuls Ping, Pang et Pong, sautillent sur place dans un mouvement identique et répété à l'infini.

Quant Liu meurt, elle se tourne lentement vers le fond de la scène, et reste ainsi dans une ombre grisée.

On comprend que Wilson aime les estampes japonaise et le théâtre chinois mais c'est Puccini, le bouillant italien qui aime le tragique exprimé avec force, qu'il est censé illustrer et je dois dire que, pour moi, c'est une sorte de trahison. J'ai lu quelque part qu'au moins cela nous avait épargné les horreurs du modernisme de certains metteurs en scène. L'esthétisme vide de sens (et immuable quelle que soit l'oeuvre illustrée) serait donc le nec plus ultra de la mise en scène d'aujourd'hui ? Tant pis si cela force les chanteurs à entrer dans une sorte de posture où ils doivent s'efforcer par le seul truchement de leurs voix, sans l'aide des mouvements de leurs corpus, d'exprimer un personnage ? Même dans une version concert, les artistes ont beaucoup plus de liberté et l'on sait que le meilleurs, savent trouver les moyens d'aller au delà de leurs voix pour s'exprimer et incarner véritablement les magnifiques rôles que Puccini leur a concocté...

Et là nous n'avions pas les meilleurs... mais peut-être finalement ceux qui, faute de choix, acceptent de se prêter à cette forme de castration de l'art du chanteur d'opéra.

Je venais voir et écouter Turandot, pas regarder l'art du tableau vivant de Robert Wilson. Et désolée d'être à contre-courant, mais je considère cette mise en scène comme en partie responsable de l'ennui profond de cette soirée.

Si les choeurs (inégaux durant la soirée) se prêtent plutot bien à l'exercice avec de très grands moments de chant pur et grandiose, l'orchestre n'est pas toujours à la hauteur. Dudamel semble hésiter à plusieurs reprises sur le parti à prendre, il banalise très souvent l'orchestration, empilant les notes en quelque sorte sans vraiment créer la dynamique nécessaire (certains accents carrément pompier dénotent d'ailleurs des erreurs d'interprétation...), il semble avoir du mal à suivre l'immobilisme forcé de ses chanteurs et leurs performances souvent monotones et pas toujours très inspirées, il prend garde de ne pas les couvrir mais sans vraiment les soutenir dans les passages les plus difficiles, il enchaine trop rapidement après Nessun Dorma sans doute pour ne pas mettre le ténor dans l'embarras du silence glacial de la salle mais perd de ce fait une partie de la magie de cet air emblématique. 

Bref il n'est pas dans ce Turandot, à la hauteur de sa réputation, essentiellement parce qu'il ne traduit pas, à mon sens, par sa battue, la théâtralité de l'oeuvre, ou plus exactement, qu'il offre une traduction trop décousue, trop peu contrastée, avec peu de ralentissement/acélération, diminuendo/Crescendo, trop peu de valorisation des catégories d'instruments se répondant.

Les solistes ne sont certainement pas les meilleurs dans leurs catégories mais ce serait profondément injuste de considérer que c'est là que le bât blesse principalement. En effet, outre une excellente prestation de Ping, Pang et Pong (Alessio Arduini, Jinxu Xiahou et Matthew Newlin), très bien chantants, exprimant tout à la fois leur humour grinçant et la légèreté qu'ils apportent à l'atmosphère lourde et tragique de l'oeuvre, nous avons un très bon Timur à la voix puissante et expressive ( Vitalij Kowaljow), l'un des rares à parvenir malgré son immobilisme forcé, à faire passer un peu d'émotion, notamment au moment de la mort de Liu. Cette dernière, la jeune soprano Guanqun Yu, est également de très belle facture, timbre gracile et magnifique, l'innocence courageuse sacrifiée, elle nous offre en particulier un  « Tanto amore, segreto… Tu, che di gel sei cinta » de toute beauté. Elena Pankratova est une Turandot un peu inégale, avec de grands moments d'une voix puissante, qui, hélas, n'est pas toujours homogène, et qui manque de contrastes et des nuances nécessaires pour rendre vraiment compte des complexités du personnage. Je l'avais entendue en Teinturière à Berlin et ce rôle très tendu, lui convenait davantage à mon sens. Le Calaf de Gwyn Hughes Jones est nettement plus insuffisant, je pense que cela a été souligné par tout le monde. Le ténor a d'ailleurs été peu applaudi au rideau. Il faut dire que nous tenons là un rôle emblématique que les plus grands ténors ont tous illustré par le passé et qui a, dans sa partie, l'un des airs les plus célèbres et les plus "à succès" de toute la planète lyrique. Le rater est presque un exploit...

Et encore aujourd'hui il ne manque pas de Calaf de qualité (on ne donnera pas de noms pour ne pas risquer d'oublier quelqu'un...).

Si l'on aime l'opéra pour l'émotion qu'il procure à chaque instant, sauf à vivre intensément la beauté plastique des oeuvres picturales vivantes d'un Wilson, le compte n'y était pas à mon avis. Et c'est dommage pour ce retour de Turandot sur une scène parisienne...

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