A Londres ROH, un Nabucco de Verdi en demi-teintes....

Nabucco

Giuseppe Verdi (sur un livret de Temistocle Solera) 

Direction musicale : Daniel Oren

Mise en scène : Daniele Abbado (2013, reprise).

 

Reprise de la production de Daniele Abbado, qui a été présenté déjà à Londres, Milan, Chicago et Barcelone.

Décembre 2021/ Janvier 2022 à Londres.


Nabucco : Amartuvshin Enkhbat

Abigaille : Liudmyla Monastyrska (remplace Anna Netrebko prévue pour les séances de janvier)

Zaccaria : Alexander Vinogradov

Fenena : Vasilisa Berzhanskaya

Ismaele : Najmiddin Mavlyanov

 

Séance du 20 janvier 2022 en retransmission en direct

La mise en scène de Daniele Abbado a comme première qualité la simplicité du plateau dépouillé mis à part lors de la première partie, Jérusalem, où des colonnes grises l'occupent avant leur destruction, évoquant clairement le Mémorial aux Juifs assassinés d'Europe situé à Berlin.

La référence à la Shoah est tout à fois évidente et discrète, costumes années 40, quelques armes, mais sans l'excès parfois envahissant de certaines transpositions de Nabucco, ce dernier étant l'opéra de Verdi le plus souvent relié au massacre des juifs d'Europe au XXème siècle sous le nazisme.

L'option prise est plutot celle de l'évocation, et de l'utilisation des arts de la scène avec intelligence et esthétisme : les choeurs omniprésents dans l'oeuvre, notamment au travers du célèbre choeur des esclaves dont le "Va pensiero" est en Italie le symbole de la résistance à l'oppression, sont valorisés comme il se doit situés au centre ou au devant de la scène. Les mouvements de foule ressemblent souvent à de lents ballets élégants et un système de vidéo créée artificiellement une profondeur de champ derrière le plateau lui même, les idoles de Babylone sont des marionnettes géantes en fil de fer tordu qui assemblées forment la statue de Baal, dont la destruction est symbolisée par la séparation des parties et leur chute au sol.

Mais un telle mise en scène, nécessite une qualité de jeu d'acteurs que n'ont pas la plupart des protagonistes de Londres ce soir là. Et le Royal Opera House nous présente une retransmission strictement concentrée sur la représentation elle-même avec peu de mouvements de caméra permettant de saisir l'ensemble de la scène. La beauté des vidéos n'est pas franchement mise en valeur, contrairement à la retransmission proposée par la Scala de Milan (2013) de la même mise en scène lors de la sa création, qui est toujours disponible sur Medici TV pour les curieux...(Nicola Luisotti/ Leo Nucci | Aleksandr Antonenko | Vitalij Kowaljow | Liudmyla Monastyrska | Veronica Simeoni). 

Si la direction de Daniel Oren, que je trouve personnellement assez peu imaginative et très "classique", est satisfaisante, si les choeurs toutes tendances confondues sont plutôt bien chantant (malgré quelques problèmes de diction et un manque global d'éclat), la distribution est globalement assez décevante à part une notable exception !

Ce Nabucco devait être l'un des fleurons de la saison du ROH (heureusement pas le seul !) avec la prise de rôle d'Anna Netrebko en Abigaile ou plus exactement la deuxième possibilité de l'entendre dans un rôle où on l'attend beaucoup puisqu'elle devait y apparaitre pour la première fois en novembre à Vienne. Ses deux engagements ont été rompus, pour raisons de santé, par la soprano, au grand regret de tous ses admirateurs dont je suis, qui savent à quel point elle peut sur scène, devenir tout simplement extraordinaire et inoubliable. Il est clair que sa présence, son charisme et son sens du drame, aurait donné à son personnage une dimension que Liudmyla Monastyrska, outre des moyens vocaux très insuffisants, n'est pas capable d'assurer. La soprano ukrainienne est pourtant spécialisée dans les rôles lyrico spinto du répertoire italien mais la voix ne suit pas vraiment les exigences typiquement verdiennes, aigus en mode forte, vocalises et ornements des notes, souplesse de la voix sans perdre la qualité du timbre. La voix est le plus souvent mise à mal avec des aigus criards et désagréables à l'oreille. Elle doit trop forcer sa voix pour assurer le niveau très exigeant de la partition et sa prestation n'est belle (et même très belle) que lorsqu'elle s'autorise un "piano" dans le « Anch io dischiuso un giorno" de la deuxième partie ou dans la prière toute douce où elle implore le pardon pour ses fautes avant de mourir, « su me morente esanime ». La réécoute de sa prestation à la Scala en 2013 montre la dégradation d'un instrument qui n'était déjà pas taillé pour le Verdi dramatique, mais a de plus, perdu beaucoup de son velours d'alors.

Mais déception aussi en ce qui me concerne, pour le rôle-titre assuré par le baryton mongol désormais spécialiste du rôle, Amartuvshin Enkhbat. Entendu en 2018 au Théâtre des Champs Elysées, dans une version concert mémorable, il avait beaucoup marqué les esprits (dont le mien) par la beauté de son chant typiquement verdien, où ne manquait aucun legato, aucune nuance subtile, aucune colorature ou appoggiature sur les notes enrichies, souplesse de la voix, beauté du timbre, tout y était. Il n'a pas changé d'un iota la qualité de son chant, mais son interprétation dans une version scénique, laisse franchement sur sa faim. Nabucco en sphinx  immobile, ce n'est guère crédible et les quelques fois où il doit tomber et se relever le montre vraiment pataud, à la limite de l'acceptabilité sur une scène d'opéra. Ce n'est que lors de la dernière partie, qu'il semble s'animer un peu pour donner davantage de sentiments à son chant. 

Et c'est sans doute face au Zaccaria d' Alexander Vinogradov que son impassibilité est la plus gênante. Car la basse russe, qui possède, outre un superbe timbre, une voix parfaitement adaptée au rôle, incarne vraiment son personnage. Même si ses débuts sont un peu laborieux vocalement (légère instabilité de la voix lors de son entrée sur scène), il se rattrape rapidement et offre une très belle prestation très applaudie d'ailleurs à juste titre. Curieusement la basse russe, très inégale selon les rôles qu'il interprète, n'a sans doute pas fait la carrière qu'on attendait à ses débuts, peut-être parce qu'il a voulu incarner des rôles qui ne lui convenaient guère comme Escamillo par exemple.

Là il est globalement à son affaire et l'on sent qu'il a aimé incarner ce Zacaria plutot valorisant vocalement et scéniquement, avec l'autorité et le savoir-faire qui manque à Enkhbat.

Mais la star et la très bonne surprise de la soirée c'est incontestablement Vasilisa Berzhanskaya et sa Fenena  tout à la fois fragile, victime, et opiniâtre, à la voix corsée, à l'allure juvénile et innocente, absolument charmante dans sa très belle incarnation, technique flamboyante où ne manque aucune note, et impressionnante présence sur scène. Un nom à retenir absolument. Et à suivre de près ! Véritable ovation comme rarement une Fenena n'a du en recevoir lors des saluts. Parfaitement méritée et enthousiasmante pour la suite de sa carrière. Rappelons qu'elle avait mis Pesaro à genoux lors du Moise et Pharaon de l'été dernier (et qu'elle reprend le rôle de Zinaide cet été à Aix) et s'était également fait remarquer à Vienne dans le Barbier aux côtés de Florez. La mezzo russe vient de la troupe du Bolchoi de Moscou et a également fait ses classes à Pesaro sous la direction de Zedda...

Najmiddin Mavlyanov en Ismael est à l'inverse plutot décevant. Lui aussi force trop ses moyens (comme d'ailleurs Antonenko dans la version milanaise...), et la voix en devient souvent très instable avec cette incapacité d'échapper au vibrato qui ne permet pas toujours d'ajuster correctement ses notes. Dommage car l'incarnation est très crédible et le ténor très à l'aise sur scène.

L'équipe dans son ensemble souffre des difficultés à se fondre dans une mise en scène qui leur demande beaucoup d'initiatives personnelles et la représentation, sans démériter, laisse sur sa faim.

 

Retransmission de la représentation du 20 janvier au Royal Opera House, toujours disponible sur le site


 https://stream.roh.org.uk/packages/nabucco/videos/nabucco

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