Les Noces à Garnier : malgré le COVID, le spectacle continue ! Bravo à tous ! Plaisir de retrouver le couple extraordinaire Mattéi/Pisaroni dans Mozart sous la baguette vitaminée de Gustavo Dudamel !

Les Noces de Figaro


Wolfgang Amadeus Mozart

Livret de : Lorenzo Da Ponte

Opera buffa en quatre actes

D’après Pierre Augustin Caron de Beaumarchais Le Mariage de Figaro

 

Direction musicale : Gustavo Dudamel

Mise en scène, costumes et décors, vidéo : Netia Jones

Chef des Choeurs : Alessandro Di Stefano

Orchestre et Choeurs de l’Opéra national de Paris

 

Il conte di Almaviva : Peter Mattei

La contessa : Maria Bengtsson (21 janvier au 9 février), Miah Persson (12 au 18 février)

Susanna : Ying Fang (Anna El-Khashem les 21 et 23 janvier)

Figaro : Luca Pisaroni (remplace Adam Palka)

Cherubino : Lea Desandre (Chloe Briot les 23 et 25 janvier)

Marcellina : Dorothea Röschmann

Bartolo : James Creswell

Don Basilio : Michael Colvin

Don Curzio : Christophe Mortagne

Barbarina : Kseniia Proshina

Antonio : Marc Labonnette

Due Donne : Andrea Cueva Molnar et Ilanah Lobel-Torres

 

Avant-Première Jeune le 19 janvier, Première le 21 janvier

Photos : Vincent Pontet (OnP)

 

Séance du 23 janvier

 

Le COVID s'invite en permanence sur les scènes d'opéra (comme partout) et cet après midi, Lea Desandre, avait du déclarer forfait pour deux séances, remplacée par Chloe Briot chantant en avant-scène tandis qu'un figurant mimait le rôle de Cherubino, et Dorothea Röschmann (Marcellina) devait chanter avec un masque, de même que les choeurs et tout soliste s'approchant des choeurs, lesquels étaient incomplets, bref, on se félicite et l'on félicite tous les artistes, d'avoir réussi à nous donner une aussi belle représentations, dans ces conditions difficiles.

La mise en scène de Netia Jones prend le parti de la valorisation du livret très directement tiré de la pièce de Beaumarchais, "Le mariage de Figaro", caustique et très critique, dénonçant clairement les inégalités sociales, les inégalités de genre et la fatuité insolente du pouvoir "de droit divin" des seigneurs et autres aristocrates, dont le règne prendra très rapidement fin après ces Noces. Nous sommes en 1786 quand ces Noces sont chantées sur scène pour la première fois (à Vienne). La révolution française commence trois ans plus tard... 

Certes, Da Ponte pour ce premier livret en collaboration avec Mozart, avait gommé toutes les aspérités directement politiques de la pièce de Beaumarchais, interdite à Vienne par Joseph II en 1785. Il n'en reste pas moins que l'opéra lui même se montre très critique au travers d'un humour grinçant et de situations presque vaudevillesques, envers nombre de "droits" que s'arrogent alors les princes de ce monde à l'égard de leur domesticité, tout comme à l'encontre du pouvoir de l'homme sur la femme dans une société où celles-ci sont "leurrées de respects apparents, dans une servitude réelle ; traitées en mineures pour nos biens, punies en majeures pour nos fautes ! " (tirade de Marcelline).

Et le théâtre, surtout dans la comédie, c'est le faux-semblant, le déguisement, le masque, les décors en trompe-l'oeil, et l'ensemble des préparatifs dévolus aux coulisses, ce qui ne se voit pas pour le spectateur tout en étant la source de la réussite sur scène.

Nous sommes donc sur une scène nue "en préparation" avant de voir le "rideau" tomber sur trois portes dessinées qui s'ouvrent "pour de vrai" sur trois loges identiques, celle du centre pour les "mesures" de Figaro, celle de gauche où le Comte lutine déjà une danseuse, et celle de droite où le professeur de musique, Basilio, fait répéter une chanteuse.

Ce sont les loges des artistes solistes de Garnier avec leurs hautes fenêtres d'où l'on aperçoit la rue et les immeubles Haussmann qui font face au Palais. Fauteuils tendus de rouge, élégants canapés, coiffeuses et costumes de scène sur cintre, l'ensemble est esthétique et évoque tout autant la transposition actuelle (Figaro fait ses mesures sur un portable) que la préparation d'une pièce du 18ème siècle (costumes et décors d'époque où dominent nettement le rouge et le blanc). 

L'ensemble de la première partie se déroule dans ce décor qui, astucieusement, permet de passer d'une "loge" à l'autre, de la chambre de Figaro à celle de Madame, ou au salon du comte, voir Cherubino caché sous une robe de scène de la comtesse sur le fauteuil de la loge, tandis que le Comte se dissimule derrière le même fauteuil, le tout sans ces changements lourds de décor qui empêchent le plus souvent la fluidité de la pièce et son caractère comique de faire son effet.

Des vidéos permettent de temps en temps des projections sur le panneau de fond des loges où peuvent apparaitre des segments entiers du texte de Beaumarchais en français face à celui de l'opéra en italien mais aussi les ombres des personnages se livrant à des actes conformes à leurs pensées (Suzanna frappant Marcellina avec un bouquet de fleurs pendant leur duo aigre-doux de l'acte 1).

Puis les trois loges (notées 1,2 3 sur leurs portes factices, se transforment seulement en loges des choeurs (notés 5,6), où les sièges de repos sont regroupés et qui dégage une vague esplanade parqueté où apparaitront les ballerines élégantes et gracieuses parmi lesquelles se cache Cherubino déguisé en fille.

Le dernier acte (Il Giardino) est celui des quiproquos et des tromperies sur l'identité des protagonistes, des pièges et du dénouement heureux. Elle se déroule à nouveau sur la scène nue du début, avec ses décors sombres et ses "pendrillons" mobiles côté jardin et côté cour, sol noir et atmosphère sombre propice aux dissimulations. De gros projecteurs de scène permettent à chacun de s'éclairer durant son "air". Ce n’est pas le moment le plus réussi et ma tension retombe nettement faute de « mouvements ».

Lors du dénouement à l'inverse, tout disparait, la scène apparait claire et immense, s'ouvrant dans le fond vers le foyer des danseuses de l'historique Garnier, magnifique salle (connue de ceux qui ont visité l'opéra), violemment éclairée, où le ballet forme un gracieux bouquet avant de s'élancer sur la scène. Très beau moment, il faut bien le dire. 

Et comme nous sommes au théâtre, l'entracte verra s'installer un vaste décor d'escaliers menant à des rangées impressionnantes de costumes de toutes sortes, avec nombre de machinistes évoluant pour les ranger, les sortir, les choisir, discuter....

Que dire de cette mise en scène ? Son concept marche plutot bien, on ne cherche pas spécialement d'explications rationnelles, on vit le déroulé de l'opéra en souriant et en riant beaucoup, les situations vaudevillesques sont travaillées et bien restituées, sans que l'aspect caustique, critique et même résolument moderne de Mozart ne disparaisse le moins du monde au contraire.

Gustavo Dudamel est à son affaire dans ce cadre dynamique et nous offre un Mozart très inspiré, soulignant dès la fameuse merveilleuse ouverture, la richesse de l'orchestration et des thèmes qui vont ponctuer l'oeuvre. Les récitatifs sont discrètement appuyés tandis que les arias et les ensembles, à deux, trois, et même à six, sont très bien menés avec précision et beauté, sans sacrifier pour autant à l'expressivité du chant. Les choeurs nettement appauvris par le faible nombre et les masques, font ce qu'ils peuvent (c'est un peu le point noir de la soirée) et l'ensemble, sans esbrouffe, est mené tambour battant : dès l'ouverture le maestro donne un tempo très rapide, ne ralentissant que pour les arias les plus complexes des artistes les plus en difficulté.

Car le contraste entre les qualités des protagonistes est très impressionnant et si chacun se tire au mieux de son rôle (notamment grâce à l'attention portée par le maestro), il est clair que tous et toutes ne jouent pas dans la même catégorie.

Je me disais en souriant que le comte était deux fois plus grand que Suzanna, ce qui n'est pas un problème en soi. Mais aussi qu'il chantait (presque) deux fois plus fort ce qui est nettement plus embarrassant durant leurs duos...

Le plateau vocal est en effet dominé de plusieurs têtes par l'extraordinaire Comte de Peter Mattéi et le truculent Figaro de Luca Pisaroni. Ces deux là ont une maitrise vocale et scénique impressionnante, leurs projections sont idéales pour Garnier, leur sens de la scène fait merveille, et ils ne nous offrent pas un temps mort, en mouvement permanent tandis qu'il chantent, donnant une vraie leçon d'opéra (et de théâtre) comme à leur habitude d'ailleurs. Notons que Peter Mattéi est tout aussi capable de camper Don Giovanni (OnP, Haneke, excellent souvenir) qu'Eugène Onéguine ou le prisonnier de De La Maison des Morts (toujours OnP, toujours excellents souvenirs) avec le même bonheur. Et je pense qu'ils ont chanté ensemble plusieurs Don Giovanni dont celui mis en scène par Haneke lors de sa création à Garnier, leur complicité est évidente et très efficace. Ne serait-ce que pour eux deux, dirigés avec une jouissance évidente par Gustavo Dudamel qui n’en amuse beaucoup, le déplacement vaut le coup.

Côté femmes, c'est Dorothea Röschmann, mozartienne accomplie, qui déploie la voix la plus puissante en Marcellina, mais elle est nettement handicapée par le port du masque qui lui est imposé (et qu'elle ne cesse de triturer ce qui m'interroge sur l'efficacité ?) et c'est bien dommage. Espérons que certains auront la chance de l'entendre "en vrai" d'ici quelques jours.

Anna El-Khashem est une Suzanna spirituelle, belle voix et chant impeccable, joli jeu de scène (excellente interprétation du très beau « Al desio di chi t'adora » très applaudi d’ailleurs) mais la voix reste petite et si on l'entend sans problème, elle ne déploie pas toute la puissance attendue à Garnier, le son reste parfois  confiné sans franchir la rampe et manque de ce fait, de l'ampleur nécessaire pour créer l'émotion et nous toucher plus profondément. Le problème c'est qu'il en est de même pour Maria Bengtsson en comtesse, élégante et distinguée mais elle aussi dotée d’une vois assez légère, malgré de très beaux moments comme son « Dove sono i bei momenti », sensible et émouvant, ce qui conduit de temps à temps, à une certaine frustration née du déséquilibre entre les voix sonores des hommes et les voix trop légères des femmes. Dudamel prend bien soin de respecter chacune, conscient des difficultés, d'autant que Anna El-Khashem est arrivée tardivement dans la distribution. Ajoutons que la défection forcée et inattendue de Lea Desandre et le remplacement de dernière minute par une Chloé Briot reléguée dans un coin sombre de l'avant-scène avec son pupitre, fait que le compte n'y est pas tout à fait. Bravo et merci à elle (son chant était très beau) mais les conditions n'étaient vraiment pas réunies pour un Cherubino...ainsi dédoublé. Le rôle tient autant à la performance vocale qu’à la performance scénique, le petit page est le rôle le plus virevoltant et drôle de l’ensemble de l’œuvre.

Je n'oublierai pas la belle Barbarina de Kseniia Proshina, le rôle est petit et particulièrement valorisant (cavatina du dernier acte archi célèbre et très belle), mais elle se fait agréablement remarquer !

D'ailleurs les rôles dits secondaires, sont très bien tenus, James Creswell (Bartolo) et son "la vendetta" d'entrée, Michael Colvin (Basilio) et son "In quegli anni in cui val poco" et Christophe Mortagne (Curzio), ce qui nous donne deux très beaux "ensembles" à 7 avec le « Voi, signor, che giusto siete » et surtout à 6 avec le fameux "Sestetto « Riconosci in questo amplesso ». Notons également une très belle prestation de Marc Labonnette en jardinier (Antonio), véhément, bien chantant et remarquable de présence sur scène à un moment-clé de l'opéra.

Un bilan globalement positif comme dirait l'autre, mais à qui il manque encore ce petit quelque chose qui fait les grandes soirées qui pourrait bien intervenir dans les prochaines séances si le COVID veut bien laisser tranquilles nos artistes que je tiens encore une fois à féliciter pour leur courage dans des conditions très précaires puisque du jour au lendemain chacun peut être empêché de chanter....(et bon courage à Lea Desandre pour son prochain retour !

 

A noter

Ce spectacle sera retransmis en direct sur Culturebox le 3 février 2022 à 19h30 et également, avec le concours de Fra cinéma, dans les cinémas UGC, dans le cadre de leur saison « Viva l’opéra ! », dans les cinémas CGR et dans des cinémas indépendants en France et dans le monde entier. Il sera retransmis ultérieurement sur une chaîne de France Télévisions.

Diffusion sur France Musique le 26 février 2022 à 20 h

 

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