La vibrante et magnifique Manon Lescaut d'Asmik Grigorian à Vienne

Manon Lescaut



Giacomo Puccini

Livret de Luigi Illica, Giuseppe Giacosa et Marco Praga, d’après L’Histoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut (1731) de l’abbé Prévost

Création en 1893 à Turin

 

Reprise au Staatsoper de Vienne de la production de Robert Carsen (1996 et 2005 pour Vienne) du 1er au 13 Février.

Direction musicale : Francesco Ivan Ciampa

Mise en scène : Robert Carsen

avec

Manon Lescaut : Asmik Grigorian

Lescaut : Boris Pinkhasovich

Chevalier René Des Grieux : Brian Jagde

Edmondo : Josh Lovell

Le maitre de danse: Josh Lovell

L'allumeur de réverbère : Josh Lovell

Geronte de Ravoir : Artyom Wasnetsov


Représentation du 7 février

La Première de cette reprise de la mise en scène de Robert Carsen créée à Vienne en 2005, avait été annulée pour cause de COVID. La deuxième a pu avoir lieu et la représentation d'hier soir, était la troisième dans l'Opéra de Vienne libéré des contraintes de test PCR qui venaient s'ajouter à l'obligation vaccinale complète (2G en allemand) imposée aux spectateurs.

Elle était retransmise en direct et l'on peut admirer une technique très au point car utilisée de longue date désormais par l'Opéra de Vienne, puisque depuis la salle où j'étais, aucune caméra n'était visible. 

Vienne, théâtre de troupe dont les principaux rôles solistes sont généralement confiés à des distributions alléchantes, multiplie les séances de prestige depuis sa reprise : une Dame de pique très bien servie par la distribution russe sous la baguette de Valéry Gergiev, ce Manon Lescaut où Vienne pouvait découvrir en direct l'étonnante Asmik Grigorian, le difficile Peter Grimes où pas moins de trois stars internationales figurent, deux dans des prises de rôles, Jonas Kaufmann et l'autre étoile montante du chant Lise Davidsen, aux côtés d'un habitué du rôle et de la mise en scène, Bryn Terfel, habitué également de Vienne.

Pourtant la salle, bien remplie, n'affichait pas complet pour ce Manon Lescaut, le retour du public ayant été manifestement mise à mal par une trop longue période d'exigences excessives de contrôles qui ont souvent découragés le public international. Risquer de se faire refouler pour test positif à la dernière minute, a refroidi pas mal de spectateurs, on le comprend...

La mise en scène de Robert Carsen est décevante non par sa modernité mais par son incapacité à faire vivre la tension et le désespoir des deux derniers actes, et donc plus généralement, le nécessaire contraste absolu entre la rencontre romantique de l'acte 1, les frivolités et les tentations de l'acte 2, la déportation tragique et la mort dans le désert des actes 3 et 4.

Pourtant les premiers tableaux sont relativement convainquants dans le décor de ce centre commercial avec l'entrée de l'hôtel ou la tentative de fuite désespérée à la fin de l'acte 2 avec ce monceau de valises et de bijoux que Manon ne pourra jamais emmener et auxquels elle ne veut pas renoncer.

Mais même pour illustrer les vrais changements dans la vie des amants, qui vont conduire au drame, on a vu plus inspiré et plus parlant.

Jonathan Kent à Londres en 2014, proposait quatre décors radicalement différents, depuis la place où les étudiants chantaient et plaisantaient, jusqu'à cet autoroute désert et détruit, en passant par une garçonnière bonbonnière et l'attente sinistre des prisonnières, tout faisait sens et participait d'une mise en scène réelle, par ailleurs servie par les excellents acteurs qu'étaient les chanteurs de la distribution.

Avec Carsen on reste sur sa faim d'autant plus que nos artistes sont très souvent laissés à eux même, avec un Des Grieux qui chante les trois quarts du temps tourné exclusivement vers le public (il a tort de croire qu'on pourrait mal l'entendre :mrgreen: ), des choeurs qui bougent insuffisamment sur une scène où l'espace libre semble toujours trop étroit, et une Manon, heureusement magnifique actrice, qui tourne très souvent sur elle même, symbolisée finalement essentiellement par les changements de costume incessants.

Le décor identique pour les deux derniers actes, contribue à diminuer d'emblée leur portée dramatique, à en banaliser le sens et c'est bien dommage.

Côté orchestre par contre, on est très très bien servi par la formation viennoise de luxe qui a assuré cette soirée sous la baguette attentive et intelligente de Ciampa qui dirigeait, je crois, pour la première fois à Vienne.

Placée au premier rang, j'ai pu profiter d'ailleurs de ce grand art des instrumentistes dans une partition qui laisse de la place aux solistes (violoncelle puis flûte, harpistes, percussions...) et à l'orchestre d'ailleurs avec de splendides passages souvent joués seuls dans le cadre de concerts comme le fameux intermède symphonique qui annonce l'acte 3.

Côté plateau vocal, on a le plaisir d'entendre l'une des meilleures sopranos actuelles, Asmik Grigorian et c'est un plaisir de chaque instant.

Dès son arrivée, en tenue de ville, avec sa vieille valise en carton bouilli, elle capte l'attention, elle sait être jeune, très jeune, primesautière et séductrice déjà, amoureuse certainement, belle, attirante et même charismatique. Elle devient sans mal la belle Manon courtisane chez Geronte, puis la prisonnière bannie et enfin, la "Sola, perduta, abbandonata » qui meurt. Elle sait parfaitement rendre crédible sa Manon, un peu inexpérimentée qui va sans cesse hésiter entre l'attirance vers une vie de plaisirs et de richesse et l'amour de Des Grieux, pour finalement toujours faire "le mauvais choix". La technique vocale est tout aussi superlative que son très beau jeu d'actrice, très naturel et sans doute pour partie spontané sur scène d'ailleurs, et l'on ne sait qu'admirer d'abord, du timbre capiteux, de la ligne vocale impeccable, des aigus faciles, jamais criés, des crescendos, diminuendi ou morendo sur certaines phrases, le tout d'une maitrise parfaite, couleurs vocales et intelligence musicale en sus.

J'aurais autant de louanges pour l'étonnant Lescaut de Boris Pinkhasovich qui campe un vrai personnage, assez grossier au début dans l'intérêt qu'il montre à l'exploitation de la beauté de sa soeur (jeu, posture et chant pour exprimer très clairement ce caractère peu sympathique) puis il se déploie dans l'acte 2, notamment lors d'un splendide duo d'affrontement avec Grigorian, où sa voix décidément très belle (chatoyante même) et son style musical travaillé et subtil, s'harmonise parfaitement avec celui de sa partenaire.

On sent d'ailleurs le chef très attentif à leur permettre de déployer ces trésors de subtilité musicale sans risquer d'être couverts par l'orchestre.

Plus difficile hélas, est pour lui, le fait de réfréner le chant fort en décibels de Brian Jadge en Des Grieux.

Si fort qu'il balaye littéralement le plateau d'autant plus qu'il ne bouge quasiment pas de sa place et ne nuance jamais son chant. De fortissimo en fortissimo, on cesse d'ailleurs assez rapidement de s'intéresser au personnage qu'il ne parvient pas vraiment à incarner....Dès son "Donna non vidi mai simile a questa ", presque récité sur un ton monocorde où la recherche de l'effet sonore domine, le ton est donné (et être au premier rang est une épreuve...) Dommage qu'avec un tel instrument, il n'ait pas acquis une technique suffisante pour le dominer et le plier à l'interprétation d'une partition qui demande bien davantage de musicalité pour être respectée.

Josh Lovell est un Edmondo à la jolie voix, bien modulée, un peu juste parfois dans l'acte 1 où l'orchestre le domine un peu, mais il sait bouger intelligemment sur scène et son "retour" en maitre de danse puis en allumeurs de réverbère, le montre vraiment bien chantant face à un orchestre moins exubérant. Surprenant Geronte de Ravoir de Artyom Wasnetsov, assez monolithique et pas tout à fait dans le style qu'on attend du rôle, mais qu'on remarque grâce à sa grande taille....

Une ovation très chaleureuse pour toutes et tous (Asmik Grigorian en tête, Brian Jadge en queue) mais pas vraiment de rappels et une salle qui s'est très rapidement vidée, n'ayant quasiment rien applaudi durant la séance, à part la romance de Manon et l'intermède.

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