Les Vêpres siciliennes de Verdi dans la version originale française à Palerme pour l'ouverture du Teatro Massimo !

Les Vêpres siciliennes

 

Giuseppe Verdi

Livret de Eugène Scribe

Création : Opéra de Paris, salle le Pelletier, 1855 

 

Teatro Massimo à Palerme, représentation du 20 janvier 2022 (Version française.)

 

Erwin Schrott (Jean Procida)

Selene Zanetti (la duchesse Hélène)

Carlotta Vichi (Ninetta)

Leonardo Caimi (Henri)

Mattia Olivieri (Guy de Montfort)

Matteo Mazzaro (Thibault)

Francesco Pittari (Danieli)

Pietro Luppina (Mainfroid)

Alessio Verna (Robert)

Andrea Pellegrini (Le sire de Béthune)

Gabriele Sagona (Le comte de Vaudemont)

 

Direction musicale : Omer Meir Wellber

Mise en scène : Emma Dante

Direction du chœur : Ciro Visco

Chorégraphie : Manuela Lo Sicco

Costumes : Vanessa Sannino

 

Le premier "grand opéra français" de Verdi est assez rarement donné dans sa version intégrale (ballet compris) et originale (en français donc) et c'est bien dommage car l'ouvrage est assez grandiose même s'il est très exigeant au niveau des voix. 

Le fait d'ouvrir l'année 2022 du Teatro Massimo de Palerme avec cette histoire ancrée au coeur de la Sicile, est également un coup de maitre salué comme il se doit par un public manifestement chauffé à blanc.

Si l'on rajoute le fait que c'est la sicilienne Emma Dante qui s'est chargée de la mise en scène, on comprend la charge symbolique globale de cette représentation, captée fin janvier par Arte et encore disponible à la retransmission.

Ces Vêpres sont pour moi, l'un des grands Verdi sur le plan musical : ouverture grandiose et suffisamment caractérisée pour être souvent donnée en concert symphonique, ballet très reconnaissable lui aussi (et que j'ai déjà entendu également en concert d'ailleurs...), choeurs omniprésents, grands airs pour chacun des protagonistes et duos, trios, ensembles époustouflants.

L'intrigue est assez bien menée et facile à suivre, narre un épisode tragique qui remonte à 1282, celui de la révolte de Palerme contre le joug de l’occupation française d’alors, et la montée dramatique est impressionnante. La reprise des thèmes dans le final, avec une accélération, une déformation des tempi, l'urgence de la mort et du massacre est une grande réussite orchestrale et lyrique.

Et il faut le dire car ce n'est pas toujours le cas : Omer Meir Welber dirige un orchestre suvitaminé avec un talent fou assurant tout à la fois la tension nécessaire et les moments plus joyeux, qui ne sont qu'un bonheur en sursis, menant tambour battant les parties orchestrales et les joyaux vocaux.

Emma Dante procède à un mélange des genres, des époques, des lieux, des costumes comme elle en a l'habitude. On croise donc des Français très "cosa Nostra", des siciliens habillés de noir pour l'ordinaire et parés d'or et de dentelles pour les cérémonies religieuses, un Montfort très élégant et chamarré avec grande cape de fourrure et un Henri tout vêtu de sombre à l'instar d'Hélène et de Procida, sans parler des violentes scènes de foule, de viol, de violences diverses qui émaillent la scène. Pour le décor Emma Dante joue sur les statues de pierre, escaliers et autres représentations de Palerme, de ses églises et de ses monuments. C'est très brouillon mais bon... cela ne va pas à l'encontre de cette histoire dans l'Histoire, qui se termine par un massacre de masse... (de l'oppresseur).

J'ai plutôt apprécié que le très long ballet soit divisé en quatre séquences, situées entre chaque acte, même si j'ai été surprise de la première partie, joué par un trio instrumental très vif dès la fin du premier acte car je n'attendais nulle danse à cet endroit. C'est assez bien vu par la chorégraphe Manuela Lo Sicco mais c'est probablement dans ce cadre officiellement ludique, que la mise en scène situe les pires scènes de violence (dans le cadre d'un ballet à chaque fois).

Mais la difficulté principale des Vêpres, surtout en version française, c'est de rassembler un plateau à la hauteur du défi vocal.

Et de ce point de vue, le compte n'y est pas tout à fait.

Tout le monde, excepté Mattia Olivieri en Montfort, mais y compris les choeurs, a des soucis avec la prosodie française, le pompom étant décroché par le Henri de Leonardo Caimi, qui ne parvient presque jamais à caser les syllabes dans les notes ce qui donne un chant débraillé, sans style et pénible le plus souvent voire carrément faux.

Petit à petit, l'ensemble s'améliore sensiblement, même la performance du ténor, mais le démarrage est vraiment fastidieux et l’on se demande s’il tiendra tout l’opéra.

L'une des raisons qui m'attirait vers ces Vêpres était justement d'entendre Mattia Olivieri dans un vrai grand rôle principal (il apparait très souvent dans des rôles secondaires mais s'y fait toujours remarquer) et de ce point de vue, la prestation est plus que satisfaisante. Son chant est magnifique, très stylé, très verdien, legato parfait, timbre opulent, élégance de l'artiste sur scène, son " Au sein de la puissance " est magnifique de même que son duo avec Henri (on aimerait bien que le ténor la mette en veilleuse...), bref, c'est un baryton passionnant qui a été d'ailleurs à juste titre, littéralement ovationné lors de ses arias.

J'avais déjà entendu le Procida d'Erwin Schrott à Londres il y a quelques années (2017 exactement). Le rôle à Palerme semblait lui poser plus de problèmes que mon souvenir londonien, notamment quelques difficultés avec le français et avec les graves extrêmes du rôle (de basse). Il reste un très beau "Palerme" moins propre cependant qu'à l'habitude, une voix de stentor (on sent une projection supérieure aux autres) et une très belle présence scénique notamment lors des affrontements avec Olivieri. Les deux artistes maitrisent parfaitement la scène ce qui n'est pas le cas de leurs deux comparses.

Selene Zanetti  est une Hélène agréable mais un peu crispée lors des vocalises et dont on pressent aussi une difficulté à articuler le français avec une partition assez acrobatique et complexe. Elle est plutôt expressive, sans plus cependant, a des problèmes avec les graves extrêmes elle aussi et surtout avec les les descentes chromatiques très approximatives qu'elle nous livre tout comme les quelques trilles et vocalises assez peu précises et souvent brouillonnes. Elle a aussi de grands moments surtout vers la fin et beaucoup de charme, ce qui fait une Hélène plutôt agréable et qui laisse une empreinte globalement positive.

Le ténor, Leonardo Caimi est un cran en dessous (et même plusieurs crans ...), d'autant plus qu'il met à peu près deux actes à chauffer sa voix qui part dans tous les sens et ne se rattrape vraiment que lors du final de l'acte 5 ce qui est assez frustrant. Pour mémoire, il avait remplacé le ténor américain Bryan Hymel après l'acte 1 de la Première des Vêpres à Munich début 2018 puis il avait pris sa place, pour toutes les séances suivantes. Il ne s'est pas amélioré depuis (hélas) et je me suis demandée si nous disposions d'un Henri (ou Arrigo pour la version italienne) digne du rôle depuis le crash vocal de Bryan Hymel qui avait été tout simplement formidable à Londres quelques mois avant Munich et cet accident rédhibitoire. Ce fut sans doute le meilleur Henri de ces dernières années. J’étais déjà très dubitative concernant Caimi à Munich et je l’avais considéré comme l’un de ces remplacements de dernière minute inévitablement provisoire. Malheureusement il semble être devenu le titulaire incontournable faute de mieux... pourtant c'est un sacré beau rôle de l'opéra... français qui n’a guère d’adeptes parmi nos très nombreux ténors !

Notons que les econds rôles sont plutôt pas mal dans l'ensemble.

Les choeurs sont masqués ce qui ne facilite pas leur prestation, inégale, avec de très grands moments mais aussi des passage par trop à côté de la prosodie française pour correspondre vraiment à la partition.

Et belle ovation finale (et quelques huées de circonstances pour Emma Dante...)


Retransmission sur ARTE concert disponible jusqu'à fin avril 2022. N'hésitez pas !

https://www.arte.tv/fr/videos/105766-000-A/giuseppe-verdi-les-vepres-siciliennes/


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