Le disque en or du ténor Pene Pati

Pene Pati - LE CD...

 


Emmanuel Villaume, Orchestre National Bordeaux Aquitaine & Pene Pati

Warner Classics. 

 

Pene Pati a soigné son premier enregistrement et le moins qu'on puisse dire, est qu'il allie audace et qualité non sans prise de risque sur certains titres.

Il est d'abord très bien entouré par l'orchestre national de Bordeaux, son chef Emmanuel Villaume, les choeurs, tout y est pour faire de chaque air, un véritable petit morceau d'opéra. Et ce, dès les premiers titres. On regrette d'ailleurs que les plate-forme musicales, pour faire la publicité de leurs nouvelles sorties discographiques, nous offrent des "tranches" prises parmi les "tubes" du classique, alors que c'est bien l'ensemble du CD qui fait sens dans sa progression et ses choix groupés de plusieurs airs de la même oeuvre.

En commençant ainsi par pas moins de quatre airs de Rigoletto dans l'ordre où le duc les chante d'ailleurs, terminant donc par le fameux tube "la donna e mobile", Pati montre d'entrée de jeu son adéquation à l'un des rôles les plus emblématiques de Verdi. Certes, ce n'est pas un Duc de la puissance d'un Vittorio Grigolo, mais c'est un Duc absolument parfait dans la diction, qui déploie un très beau timbre, colore magnifiquement son chant et nous offre de très beaux aigus longuement tenus sans instabilité. Sa technique est encore à parfaire dans les descentes chromatiques mais son art des nuances est déjà superlatif. Rien n'est crié, rien n'est forcé, tout parait naturel et diablement séduisant.

Et l'on monte d'un cran dans l'adhésion au chant du jeune ténor avec les deux airs (célèbrissimes) de son Roméo. Les écarts de notes sur "pa-rait" sont parfaits de précision, une certaine langueur sur "l'amour, porte-lui mes voeux" et les phrases qui suivent est du plus bel effet. La diction française est idéale, moelleuse et rêveuse, on tomberait amoureuse de ce Roméo juste en l'écoutant. Et le "viens, parait" final parfois "crié" par certains ténors en difficulté dans les aigus, est là souverain de douceur et de maitrise. 

J'attendais beaucoup Pene Pati, ténor lyrique de rêve, dans le difficile répertoire de Guillaume Tell, oeuvre tardive de Rossini. L'orchestre introduit fort bien le suspens et le tragique dès le premier air "ne m'abandonne pas" et la richesse de la composition de Rossini qui va littéralement entourer les phrases chantées presque a capella entre deux parties orchestrales. Le chanteur n'est pas directement soutenu lors des premières phrases, son expressivité personnelle, l'incarnation de son personnage est donc fondamentale. Et à nouveau Pene Pati, étonne par la maturité de son interprétation, le tragique de ses mots, ce talent qui annonce les grands chanteurs et qui lui permet d'enchainer sur l'aria "Asile héréditaire" sans difficulté. La gestion du souffle est déjà très impressionnante même si l'on entend parfois des micro difficultés dont le ténor se sort sans dommage. Le legato est littéralement bouleversant sur "je viens vous voir pour la dernière fois".

Descente en arpège et en notes continue parfaite, aigu très bien maitrisé, jamais crié, tout l'art des bons ténors.

Saluons là encore l'intervention parfaite des choeurs qui enrichit la scènette allant bien au delà d'une simple addition de "tubes" pour offrir une vision réduite mais réelle de l'oeuvre magnifique de Rossini.

Et dans l'accélération du soliste au milieu des choeurs, Pene Pati montre qu'il sait parfaitement épouser le rythme nécessaire. Le "amis, amis" est vaillant, énergique avec un médium solide, et des aigus élégants (l'aigu final est tenu très très longtemps sans effort apparent...).

 Pati nous offre ensuite un unique air de l'Elisir, le plus célèbre, le "una furtiva lacrima", chanté avec grâce et élégance et dégageant énormément d'émotion. Moins martial que d'autres ténors, plus doux, plus délicat. On pense à son Nemorino vu récemment à Bastille, son côté grand garçon tout malheureux, et cette interprétation est particulièrement émouvante. Sans accroc, avec une messa di voce impressionnante de maitrise (déjà) qui amène tout doucement le final "d'amore"...

Son adéquation exceptionnelle au chant français se confirme ensuite avec son Raoul des Huguenots qu'on ira volontiers écouter en salle dans le rôle complet un de ces jours. ll nous donne de très belles pages avec "Ah quel spectacle enchanteur" et "plus blanche que la blanche hermine" accompagné par un orchestre superlatif encore une fois. Legato très bien maitrisé encore sur la "blan-an-anche hermine-i-i-ne".  Le périlleux "je t'ai-ai-ai-me" connait un tout petit décalage mais la conclusion "je t'aimerais toujours", avec choeur pour finir, est grandiose.

Les deux airs du rare « Battaglia di Legnano » de Verdi, sont classiques de la facture verdienne et fort bien interprétés. Personnellement j’ai apprécié d’entendre ainsi chantée « la pia materna mano » du jeune archer Arrigo, sans esbrouffe en recherchant juste le beau son émouvant. Et le timbre sompteux du jeune ténor est particulièrement mis en valeur.

Par contre la suite immédiate déçoit un peu et l'on se demande pourquoi avoir choisi ces airs de Moise et Pharaon qui donne surtout de la place au baryton, et d'avoir choisi Mirco Palazzi dont la rigueur vocale laisse à désirer. Pene Pati n'y parait d'ailleurs lui même pas aussi agile que précédemment même si on prend du plaisir à certains passages. Dommage. Vocalises et trilles sont un peu savonnées, on sent le ténor moins à l'aise...

Mais on revient rapidement à l'excellence avec le très bel air de Polyeucte de Gounod "source délicieuse" suivi des airs de Roberto Devereux de Donizetti où je trouve que Pati montre un vrai talent dramatique dans les rôles lyriques assez soutenus. Des performances vraiment très prometteuses quant à la carrière de ce ténor d'ores et déjà hors norme par la qualité et la variété de son répertoire. Et quelle variété de couleurs, c'est impressionnant et très excitant...

Les deux airs du Manon de Massenet étaient sans doute incontournables tant ils font partie du répertoire « type » du ténor lyrique et Pene Pati y apporte sa touche personnelle agréable sans me convaincre cependant de l’intérêt d’un opéra dont je ne suis décidément pas fan, le mot est faible. Mais il plaira aux amateurs de Massenet…

Plus rare est cet extrait de l’Etoile du Nord de Meyerbeer, qui comprend ces redoutables variations vocales autour d’une note à chanter en legato. Beaucoup de charme là aussi.

Et tant qu’à faire d’opérer une sorte de tour des compositeurs français du 19ème, ce choix pour finir de l’air de Jocelyn dans l’opéra de Godard, est intéressant et là encore prouve une grande maitrise impressionnante, gestion fabuleuse du souffle sur les longues phrases musicales sans reprise, « Oh ne t’éveille pas encor’ »…

Un magicien du beau chant qui termine en beauté en piano et en murmure sur le beau texte de Paul Armand Silvestre.

Un disque en or.

 


Détails du CD 

 

1 Rigoletto, Act 2: "Ella mi fu rapita..." (Duca)

2 Rigoletto, Act 2: "Parmi veder le lagrime..." (Duca)

3 Rigoletto, Act 2: "Possente amor" (Duca, Chorus)

4 Rigoletto, Act 3: "La donna è mobile" (Duca)

5 Roméo et Juliette, Act 2: "L’Amour!..." (Romeo)

6 Roméo et Juliette, Act 2: "Ah! Lève-toi soleil" (Romeo)

7 Guillaume Tell, Act 4: "Ne m'abandonne pas, espoir de la vengeance!" (Arnold)

8 Guillaume Tell, Act 4: "Asile héréditaire..." (Arnold, Chorus)

9 Guillaume Tell, Act 4: "Amis, amis" (Arnold, Chorus)

10 L'elisir d'amore, Act 2: "Una furtiva lagrima" (Nemorino)

11 Les Huguenots (Meyerbeer), Act 1: "Non loin des vieilles tours..." (Raoul)

12 Les Huguenots, Act 1: "Ah, quel spectacle enchanteur..." (Raoul)

13 Les Huguenots, Act 1: "Plus blanche que la blanche hermine" (Raoul, Chorus)

14 La battaglia di Legnano (Verdi), Act 1: "O magnanima e prima delle città lombarde..." (Arrigo)

15 La battaglia di Legnano, Act 1: "La pia materna mano" (Arrigo)

16 Moïse et Pharaon (Rossini), Act 2: "Vous avez entendu..." (Pharaon)

17 Moïse et Pharaon, Act 2: "Moment fatal!" (Aménophis, Pharaon)

18 Polyeucte, Act 4 (Gounod): "Source délicieuse" (Polyeucte)

19 Roberto Devereux, Act 3: "Ed ancor la tremenda porta..." (Roberto)

20 Roberto Devereux, Act 3: "Come un spirto angelico..." (Roberto, Chorus)

21 Roberto Devereux, Act 3: "Bagnato il sen di lagrime" (Roberto, Chorus)

22 Manon, Act 2: "Instant charmant, où la crainte fait trêve..." (Des Grieux)

23 Manon, Act 2: "En fermant les yeux" (Des Grieux)

24 L'Étoile du Nord (Meyerbeer), Act 3: "Quel trouble affreux" (Danilowitz)

25 Jocelyn, Act 2 (Godard): "Cachés dans cet asile... Oh! ne t'éveille pas encor" (Jocelyn)

Commentaires

Les plus lus....

Magnifique « Turandot » à Vienne : le triomphe d’un couple, Asmik Grigorian et Jonas Kaufmann et d’un metteur en scène, Claus Guth

Salomé - Richard Strauss - Vienne le 20/09/2017

"Aida" mise en scène par Michieletto au festival de Munich : les horreurs de la guerre plutôt que le faste de la victoire