Le vibrant plaidoyer pour la Paix du maestro russe Vladimir Jurowski à Munich les 7 et 8 mars

"Plaidoyer pour la paix". 





Akademiekonzert: Vladimir Jurowski

Les 7 et 8 mars au Bayerische Staatsoper de Munich


Direction musicale : Vladimir Jurowski

Soprano : Sabine Devieilhe

Orchestre de l’Etat de Bavière

 

Benjamin Britten

Sinfonie da Requiem op. 20

Les Illuminations op. 18

 

Claude Debussy

Pelléas et Mélisande – Suite 

 

Maurice Ravel

La valse

 

L’opéra d’état de Bavière paré aux couleurs de l’Ukraine nous proposait durant deux soirées, un concert en forme de plaidoyer pour la Paix. Composé d’œuvres majeures marquées par la guerre et ses destructions, le concert était dirigé par le nouveau directeur musical du Staatsoper, le russe Vladimir Jurowski qui n’a jamais fait mystère de ses positions critiques à l’égard de Poutine et de son système.

C’est donc tout naturellement mais avec une intense émotion, que les spectateurs de de concert exceptionnel ont vu arriver le maestro d’un pas décidé, traversant les rangées de ses musiciens installés sur la scène, devant un écran bleu et jaune, et lançant aussitôt l’hymne ukrainien comme il l’avait fait à Berlin dès les premiers jours de la guerre.

Le public connait désormais ce morceau et s’est levé dès les premières notes. 

Jurowski était aussi ému que nous et le discours, fort inhabituel de la part d’un musicien, qui a suivi durant de longues minutes, était impitoyable à l’égard du régime qui sévit dans sa patrie. C’est un discours aussi fiévreux et passionné que l’était son interprétation de l’hymne. On sent l’artiste et l’homme vraiment secoué par cette guerre injuste et indigne. Il la qualifie d'attaque des plus brutales, parle des milliers réfugiés jetés hors de chez eux, cite le début de l’hymne « Chtche ne vmerla Ukraïna (« L'Ukraine n'est pas encore morte »). Il n’hésite pas à fustiger la folie du dictateur Poutine, son action génocidaire contre les Ukrainiens mais aussi contre ses jeunes soldats qu’il envoie à la mort.

Son discours enflammé est chaleureusement applaudi, et c’est finalement tout naturellement que le programme du concert commence. 

Il gardera tout au long de son déroulement ce caractère enfiévré et stimulant où l’ensemble de l’orchestre semble avoir mangé du lion et se déchaine tout particulièrement dans l’extraordinaire morceau final, « La Valse » de Maurice Ravel, ce « poème chorégraphique pour orchestre », écrite par le compositeur contre la Guerre (la première guerre mondiale) vécue comme un anéantissement de la civilisation. Les mouvements de valse se répètent entourés de manifestations musicales discordantes et hostiles avant de disparaitre progressivement comme la civilisation occidentale s’était perdue dans la boucherie de 14-18 pour le compositeur français. 

Incroyable écho de la situation contemporaine que le chef russe dirige avec la rage que lui inspire sans aucun doute, cette catastrophique descente aux enfer d'aujourd'hui.

Véritable apocalypse qui voit les musiciens déchainés et laisse le public sans voix avant un tonnerre d’applaudissements qui se répercutera longtemps dans l’univers soyeux et un peu suranné de cette salle d'où l'on perd parfois de vue la réalité.

Mais c’est l’ensemble de la soirée qui a été marquée par la tragédie du monde réel.

Il commence en effet par la Symphonia da Requiem de Benjamin Britten, composée en 1940 et créée à Carnegie Hall dans l’exil américain du compositeur résolument pacifiste et militant qui se compose de trois parties assez tumultueuses où l’on ressent la colère, là aussi, du musicien contre la guerre, la deuxième guerre mondiale et l’Allemagne nazie cette fois.

Les « Illuminations » de Rimbaud, mises en musique par le même Britten, avec beaucoup plus de légèreté comme en contrepoint avec la complexité du recueil, donne une respiration bienvenue après le tumulte d’autant plus que Sabine Devielhe excelle dans la lecture précise et aérienne de ces chansons. Diction parfaite, intelligence du texte, voix angélique et pure, accompagnée d’une formation réduite à quelques cordes comme la partition le prévoir, elle séduit totalement une salle subjuguée. Et puis saluons sa simplicité, sa capacité à faire vivre ses émotions tout en s’effaçant derrière la musique et les mots qu’elle illustre. Elle a fait récemment ses débuts à Munich en Reine de la Nuit. Elle a conquis ce soir là le public de fins connaisseurs de cette maison et leur a offert un petit « bis » juste accompagné de Jurowski au piano. 

Enfin la suite de Pelleas et Mélisande est interprétée un peu comme le peintre impressioniste traiterait sa palette : par petites touches se succédant pour créer cette atmosphère très spéciale, cette ambiance feutrée de la musique de Debussy. C’est sans doute moins achevé que l’interprétation exceptionnelle de La Valse de Ravel mais l’état d’esprit du chef comme de l’orchestre, décidément en très très grande forme, correspondait manifestement davantage à la force de l’œuvre anti-guerre.

Un concert dont on se souviendra. Où retentiront longtemps les mouvements de cette valse straussienne peu à peu étouffée dans le chaos de la destruction.

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