Soirée de charme et d'émotions à la Philharmonie de Paris avec Diana Damrau et Jonas Kaufmann, Brahms et Schumann (et Helmut Deutsch)

Diana Damrau/Jonas Kaufmann/Helmut Deutsch

Tournée "love songs", Lieder de Johannes Brahms et Robert Schumann


 Dimanche 3 avril 2022 — 18h00 à la Philharmonie de Paris

Après l’émouvante soirée d’hommahe à Nelson Freire, récemment disparu, par les deux pianistes superstar Martha Argeritch et Nelson Goerne, la Philhatmonie de Paris se remplissait à nouveau pour accueillir les superstars du chant lyrique Jonas Kaufmann et Diana Damrau luxueusement accompagnés par le pianiste Helmut Deutsch pour une série d’une quarantaine de Lieder croisés de Schumann et de Brahms autour du thème de l’amour.

Belle réussite que ces deux concerts où la foule de mélomanes se presse et se salue, public de connaisseurs qui sait apprécier les exceptionnelles prestations.

L’amour, pour les deux compositeurs, c’est celui de Clara Schumann épouse du premier, après bien des difficultés, l’opposition de son père, et de longues amours secrètes où ils communiquent par l’intermédiaire de petits écrits, et confidente et inspiratrice du second après la mort tragique de Robert Schumann. Clara a elle-même composé de nombreux Lieder, qu’on regrette un peu de ne pas voir insérés dans ce superbe programme. 

Il n’en est pas moins riche, astucieux, intelligent, évident résultat d’un travail précis fait par les trois artistes autour de ces œuvres, et qui mérite sans aucun doute un enregistrement, au-delà de cette tournée de onze soirées de Essen à Hambourg en passant par Baden Baden, Londres, Paris, Berlin, Luxembourg, Barcelone, Madrid.

Le trio nous avait déjà offert généreusement le rare « Italienisches Liederbuch » d’Hugo Wolf, tournée passant également par la philharmonie de Paris, et se terminant par un bel enregistrement capté au merveilleux Palau de la Musica de Barcelone. Leur maitrise collective est incontestable et ils savent nous raconter de petites histoires, drôles ou tristes, émouvantes ou amusantes, en alternant les rôles, voir en chantant quelques airs ensembles, voix entrelacées. Il n’y a pas de coupures entre les airs, tout juste les trente secondes qui permettent à Helmut Deutsch de tourner la page de sa partition, tout s’enchaine en deux cycles par partie, l’entracte s’insérant au milieu.

C’est la veille de son mariage avec Clara que Robert Schumann lui offre les « Myrthen », cycle mélancolique qui inaugure le programme avec le célèbre « Widmund » (Du meine seele, du mein Herz, toi mon âme/toi, mon cœur) chanté par un Jonas Kaufmann dont la voix superbe résonne avec force d’entrée de jeu dans la grande salle de la Philharmonie. Le ténor montre aussitôt à quel point son art du Lied lui permet d’y glisser tout autant le style héroique de ses rôles wagnériens que la douceur de son mezzo voce, de ses pianis, et surtout la richesse des couleurs de sa voix qui fait paraitre un peu plus réduite l’interprétation en réponse de Diana Damrau. On gardera cette impressions de légère inadéquation entre les deux voix durant les premiers airs. Par la suite, ce défaut va s’estomper et Diana Damrau se montrera de tous les points de vue, brillante et à l’aise, tant dans l’incarnation que dans la souplesse et la richesse vocale. Saluons tout particulièrement son délicieux Liebeslied (« Dir zu Eroffnet… » presque murmuré et sublime).

Le difficile « Stille Tranen » (larmes silencieuses) montrait de nombreux crescendo/diminuendo bien maitrisés par Kaufmann dans l’entrelacs du texte de Kerner.  Autant de variations de styles et de richesse des couleurs de sa voix barytonnante aux aigus faciles et au medium très stable, qui donne du sens à tout ce qu’il chante dans cette première partie assez grave.

Kaufmann sait interpréter l’intériorisation des compositions, et l’on saluera tout particulièrement la richesse de son incarnation dans le très introverti « Resignation » de Schumann (nous nous aimerons dans l’au-delà) ou dans « in Waldeseinsamkeit » (du cycle des 6 Lieder) de Brahms. A l’issue de ce magnifique opus (dont le dernier vers « et un rossignol chanta ») Kaufmann se tourne vers Damrau qui entonne à la perfection le « Nachtingall » (Rossignol) de Brahms. Cette dynamique se retrouvera tout au long de la soirée, pour le plaisir de ceux qui maitrisent l’allemand évidemment, mais beaucoup de spectateurs, hier soir, étaient manifestement assez familiers du Lied, sinon des arcanes de la langue de Goethe.

Et Diana Damrau montrera qu’elle peut aussi se montrer très puissante avec le « Anklange » de Brahms à l’issue du cycle de ce compositeur.

La première partie se termine par trois superbes Lieder extraits de la Tragödie, opus 64 de Schumann, ensemble de trois mélodies, qui vont crescendo dans l’émotion avec un superbe pianissimo, d’une puissance évocatrice incroyable sur le dernier Lied « Es fiel ein Reif in der Frühlingsnacht », suivis d’un vrai duo « An der Abendstern », le quatrième des Op.103 Märchenlieder.

La deuxième partie est à l’inverse de la première, essentiellement espiègle et malicieuse, et permet aux deux chanteurs de montrer d’autres facettes de leurs talents, notamment leur capacité à jouer littéralement les scénettes devant nos yeux, par de petits regards, des gestes, simples, des postures corporelles discrètes mais évocatrices.

Sans doute le choix des Lieder censés se répondre est-il artificiel puisqu’ils n’ont pas forcément été composés dans cette idée, mais le résultat est très satisfaisant et démontre un joli travail effectué en amont de la tournée et qui marche bien, entrainant à plusieurs reprises des applaudissements entre deux Lieder, et des rires du public. 

Les deux chanteurs adoptent d’ailleurs un ton plus léger, adaptant leurs voix au sens des airs interprétés avec beaucoup de bonheur.

Le délicieux dialogue de Brahms dans « Vergebliches Standchen » (sérénade inutile), « lui : bonsoir mon enfant, elle : ma porte restera fermée », où Kaufmann de plus en plus insistant mime celui qui se gèle dehors « si froide est la nuit, si froid est le vent », est ainsi suivi du monologue solitaire de Kaufmann dans la « Sérénade » qui se termine par la question « peux-tu me le dire » à laquelle Damrau répond dans « Thérèse » par un cinglant « Jeune blanc-bec, quel est ce regard ? » et ainsi de suite sans temps mort.

D’autres Lieder évoqueront les promenades dans la nature, à la belle étoile, au crépuscule avec reprise en cours du programme du cycle « Myrthen » de Robert Schumann, dans lequel Damrau nous offre un superbe « Lied der Suleka », d’une fraicheur qui contraste parfaitement avec le sombre « Mein schöner Stern! » de Kaufmann et sa montée "vers le ciel" dans « Heb' auf vielmehr Zum Himmel mich ».

Et belle idée de terminer par deux magnifique Lieder de Brahms,Von ewiger Liebe (de l’Amour éternel) et Die Boten der Liebe (les messagers de l’amour) avec cette belle phrase de conclusion « Ich liebe dich so heiss » (je t’aime si passionnément). Comme un message pour la route dans cette sombre période.

La belle entente et la réussite du concert repose sur un pilier incontournable : la talentueux pianiste Helmut Deutsch, grand spécialiste du Lied, qui interprète lui aussi, bien au-delà de l’accompagnement, ces petites chansons ciselées et harmonieuse. Il sait donner à son jeu tout l’art de son clavier, introduisant avec chaleur, subtilité et grande classe, chacun des Lieder, infatigable et attentif. Sans lui, la soirée aurait moins d’unité et de qualités musicales et même musicologiques.

Longuement ovationnés par un public conquis, les artistes ont donné deux bis très légers et très drôles pour parfaire la soirée. Notons également qu’ils ont été littéralement couverts de cadeaux…

 

Programme (un programme papier était distribué comprenant également l'ensemble des paroles des Lieder en allemand, avec traduction française).


Robert Schumann

Myrthen, « Widmung », op. 25 n°1

Myrthen, « Jemand », op. 25 n°4

Spanisches Liederspiel, « Geständnis », op. 74 n°7

Myrthen, « Der Nussbaum », op. 25 n°3

Drei Gesänge, « Resignation », op. 83 n°1

Lieder und Gesänge, « Liebeslied », op. 51 n°5

Zwölf Gedichte, « Stille Tränen », op. 35 n°10

 

Johannes Brahms

Fünf Gesänge, « Verzagen », op. 72 n°4

Sechs Lieder, « Waldeseinsamkeit », op. 85 n°6

Sechs Lieder, « Nachtigall », op. 97 n°1

Acht Lieder und Gesänge, « Ach, wende diesen Blick », op. 57 n°4

Acht Lieder und Gesänge, « Es träumte mir », op. 57 n°3

Vier Lieder, « Meerfahrt », op. 96 n°4

Sechs Gesänge, « Anklänge », op. 7 n°3

 

Robert Schumann

Spanisches Liederspiel, « In der Nacht », op. 74 n°4

Romanzen und Balladen, « Tragödie », op. 64 n°3

Tragödie, « Entflieh mir und sei mein Weib », op. 64 n°3/1

Tragödie, « Es fiel ein Reif in der Frühlingsnacht », op. 64 n°3/2

Tragödie, « Auf ihrem Grab, da steht eine Linde », op. 64 n°3/3

Mädchenlieder, « An den Abendstern », op. 103 n°4

 

Johannes Brahms

Fünf Romanzen und Lieder, « Vergebliches Ständchen », op. 84 n°4

Vier Gesänge, « Serenade », op. 70 n°3

Sechs Lieder, « Therese », op. 86 n°1

Acht Lieder und Gesänge, « O komme, holde Sommernacht », op. 58 n°4

Fünf Gesänge, « Geheimnis », op. 71 n°3

Vier Lieder, « Wir wandelten », op. 96 n°2

 

Robert Schumann

Vier Duette, « Er und sie », op. 78 n°2

Minnespiel, « Mein schöner Stern », op. 101 n°4

Myrthen, « Lied der Suleika », op. 25 n°9

Fünf Lieder, « Ihre Stimme », op. 96, n°3

Minnespiel, « Liebster, deine Worte », op. 101 n°2

Vier Gesänge, « Lehn’ deine Wang an meine Wang », op. 142 n°2

Fünf Lieder, « Verratene Liebe », op. 40 n°5

 

Johannes Brahms

Drei Duette, « Weg der Liebe », op. 20 n°2

Lieder und Gesänge, « An die Tauben », op. 63 n°4

Fünf Lieder, « Die Liebende schreibt », op. 47 n°5

Acht Lieder und Romanzen, « Sehnsucht », op. 14 n°8

Neun Lieder und Gesänge, « Meine Liebe ist grün », op. 63 n°4

Sechs Lieder, « Versunken », op. 86 n°5

Vier Lieder, « Von ewiger Liebe », op. 43 n°1

Vier Duette, « Boten der Liebe », op. 61 n°4

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