Un Rheingold en Or massif sous la direction de Yannick Nézet-Séguin

Das Rheingold



Prologue du Ring des Nibelungen (L'Anneau du Nibelung ou tétralogie).

Richard Wagner

 

Théâtre des Champs Elysées, le 23 avril 2022.

 

Michael Volle | Wotan

Gerhard Siegel | Loge

Samuel Youn | Alberich

Thomas Ebenstein | Mime

Wiebke Lehmkuhl | Erda

Stephen Milling | Fasolt

Mikhail Petrenko | Fafner

Jamie Barton | Fricka

Issachah Savage | Froh

Thomas Lehman | Donner

Christiane Karg | Freia

Iris van Wijnen | Wellgunde

Maria Barakova | Flosshilde

Erika Baikoff | Woglinde

 

Yannick Nézet-Séguin | direction

Rotterdams Philharmonisch Orkest

 

 

Comment rendre compte sans la trahir d’une représentation à tous points exceptionnelle ? Sans doute en prenant un peu de recul pour se rappeler de chacune des formidables émotions distillées au cours de la soirée par l’ensemble des interprètes, instrumentistes comme solistes sous la direction d’un chef d’une intelligence musicale sidérante, l’actuel directeur musical du MET, Yannick Nézet-Séguin.

L’or du Rhin, das Rheingold, est le prologue de cette formidable aventure de la Tétralogie, l’histoire de l’Anneau des Nibelungen, cette « arme » redoutable du pouvoir absolu, celui qui donne « der Welt Erbe », « la richesse du monde », enviée et redoutée, forgé à partir de l’Or qui git au fond du Rhin et que les ondines n’ont pas su garder face au maléfique gnome Alberich. 

Prologue, présentation, introduction, c’est sans doute l’opus le plus complet sur le plan des fameux leitmotivs wagnériens, et celui qui comporte le plus de personnages qu’on retrouvera dans divers épisodes des trois autres œuvres qui suivent. C’est aussi celui où se situe l’acte fondateur, celui du vol de l’Or et du façonnage de l’Anneau, qui sera restituée dans la toute dernière image du crépuscule des Dieux à l’issue de cette histoire complexe de mondes opposées, de dieux et de démons, de désir humains, d’amour et de haine, de tromperies et de ruses et même d’amours incestueuses.

Le Prologue se situe dans les eaux du Rhin puis au sommet de la montagne des dieux, au château du Walhalla puis dans le monde sombre et souterrain du Nibelheim où s’activent les forges, avant retour dans un paradis désormais menacé par la prophétie d’Alberich  «Le seigneur de l'anneau sera l'esclave de l'anneau !».

La farandole des personnages est remplie de l’imagination débordante de Wagner qui a tout écrit, l’histoire, les dialogues, le livret, la musique, l’orchestration, les thèmes pour en faire davantage encore qu’une légende, une leçon de vie.

Pas de mise en scène pour cette série de concerts donnés par l’Orchestre de Rotterdam sous la direction de Yannick Nézet-Séguin, avec une distribution étincelante qui a su immédiatement s’adapter pour donner vie et corps à chacun des personnages admirablement incarnés.

Les trois Filles du Rhin ondulent côté cour, en chantant avec grâce et malice, leur innocence ludique qui sera bientôt mise à mal (saluons tout particulièrement la très jolie performance de Maria Barakova en Flosshilde)  tandis qu’arrive Alberich, prenant aussitôt une posture grotesque et grimaçant ou ricanant, se déguisant même en dragon, en serpent à l’aide de sa veste, sautillant, éructant, bref une performance d’acteur et de chanteur tout simplement fabuleuse pour Samuel Youn qui donne le « la » dès les premières mesure et ne cessera de nous séduire et de nous surprendre durant toute la représentation.

Mais la belle allure, chevelure argentée et élégance naturelle, du Wotan de Michael Volle lui donne la réplique avec talent et montre la subtilité et la force de son chant dès le dialogue avec l’impressionnante Fricka de Jamie Barton. L’un et l’autre possèdent l’art de la nuance tout en possédant des organes à la projection insolente, et peuvent à l’infini colorer leurs chants, et maitriser la prosodie wagnérienne en donnant tout son sens à leurs paroles.

En contraste la douce voix de la belle Freia de Christiane Karg symbolise admirablement la victime des envies, l’otage impuissant des échanges entre puissants, la déesse de la jeunesse éternelle dont les pommes d’or font bien des envieux.

Un autre des grands moments de cette soirée est l’arrivée des Géants, l’immense basse Stephen Milling en Fasolt et son « frère » Mikhail Petrenko en Fafner. Ils se tiennent par leur bras et avancent au rythme du leitmotiv qui les accompagne. On est littéralement saisi par l’osmose totale entre l’orchestre et les chanteurs, et leur gestuelle en rythme est fascinante et nous vaut, une fois encore, beaucoup de frissons. On tremple pour la frêle Freia quand leurs rudes voix réclament leurs proies. Et il est temps de saluer à son tour, l’incroyable Loge de Gerard Siegel, lui aussi rompu au rôle (il incarne souvent également Mime assez souvent sur toutes les scènes wagnériennes) et sa voix souple et subtile, sa prononciation impeccable des consonnes qui sonnent dans le texte, son sens des nuances, ses accélérations, ses mimiques, en bref, là aussi, sa véritable incarnation du demi-dieu, maitre du feu.

Admirables intermèdes musicaux qui représentent la descente de Wotan et de Loge au royaume de Nibelheim om retentit le bruit de la forge, pour tenter de reprendre l’anneau à Alberich.

Au passage nous avons également fait connaissance avec deux excellents protagonistes de rôles plus secondaires, le dieu du printemps, le Froh du ténor Issachah Savage et le dieu du tonnerre, le Donner du baryton Thomas Lehmann particulièrement impressionnant quand il créée l’orage qui dissipera les nuées tandis que Froh le pont arc-en-ciel vers le château et que tous les chanteurs se donnent la main. Et le Mime de Thomas Ebenstein n’est pas en reste avec son long monologue halluciné où il décrit l’atroce escalavage que lui fait subir Alberich pour le contraindre à travailler pour lui dans la confection de l’Anneau puis du Heaume d’invisibilité, les deux instruments de pouvoir.

Et pour finir, et parfaire une perfection déjà inédite à ce niveau pour un Rheingold, arrive Erda, la déesse de la Terre, la belle contralto Wiebke Lehmkuhl dont le timbre opulent et grave domine aussitôt le plateau tandis que tous les protagonistes s’effacent devant ses prophéties inquiétantes en se tournant vers l’orchestre. Longues notes tenues, voix profonde, style et beauté, tout y est pour que nous tremblions face aux orages qui vont s’accumuler dans ce semblant de victoire de Wotan et des dieux qui se terminera tragiquement trois épisodes plus tard.

Leçon de chant, leçon de théâtre, leçon d’opéra comme on l’aime, il y avait tout ce soir là pour un Or du Rhin qui restera longtemps gravé dans nos mémoires. 

Merci à tous et toutes et merci à YNS d’avoir dirigé avec autant de fougue et de précision, cette œuvre magistrale.

 

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