Elektra de Richard Strauss à l'Opéra de Paris : beauté vocale et visuelle, magistrale direction musicale, splendeur esthétique de la mise en scène.

Elektra


Richard Strauss sur un livret de Hugo von Hofmannsthal

1909


Photos Emilie Brouchon

 

Séances des 10 et 26 mai 2022 à l’Opéra de Paris Bastille

 

 

Quel est donc cet attrait sans cesse renouvelé pour la tragédie sanglante des Atrides ? Rarement légende aura été l’objet d’autant de récits, de pièces de théâtre, et même d’opéras.

Sophocle, (et dans une moindre mesure Eurypide puis Eschyle) pour l’antiquité, aux alentours de 400 avant JC, avaient déjà mis en scène l’épisode que reprendra Hugo von Hofmannsthal dans sa pièce du même nom écrite en 1903, puis pour le livret pour l’opéra de Richard Strauss, composé en 1909. La collaboration entre ces deux grands noms donnera lieu à 6 œuvres lyriques majeures du compositeur allemand.

J’ai connu l’histoire d’Electre très jeune, au lycée, quand l’atelier théâtre des grandes classes avait monté la version de Giraudoux et avait besoin de trois petites filles pour figurer les Erynies « enfants » faisant appel à la classe de sixième à laquelle j’appartenais.

L’histoire m’a toujours fascinée, sans doute du fait de cette approche très spéciale, et ma découverte plus tardive de l’opéra de Strauss, s’est faite elle aussi sous le signe des violentes émotions. Elektra est en effet un long cri de haine, celui d’une fille trahie, enfermée dans sa douleur, emprisonnée par ses obsessions, qui ne vit que pour tuer sa mère Clytemnestre (et l’amant de celle-ci) à coup de hache pour venger son père Agamemnon assassiné.

Musicalement c’est un véritable coup de poing, une déferlante orchestrale phénoménale où cuivres, cordes et percussions se répondent ou se doublent, obligeant les interprètes vocaux et les chœurs à se surpasser en permanence tout en gardant une sens des nuances indispensable à l’incarnation de rôles complexes et contradictoires, aux sentiments extrême et placés dans des situations fascinantes.

C’est le plus gros orchestre composé par Strauss dans ses opéras, on y retrouve la puissance des instruments utilisés avant lui par Wagner et surtout l’usage des obsédants leitmotivs, musique sombre et violente et des interludes orchestraux qui ponctuent la tragédie inéluctable en marche.

La mise en scène de Robert Carsen proposée en ce moment à l’Opéra de Paris est l’une des plus abouties. Elle épouse parfaitement le style de la tragédie antique telle qu’elle était donnée dans les théâtres grecs comme Epidaure : nudité du décor qui semble enserrer les personnages dans une étreinte mortelle, omniprésence du chœur ou des ensembles de personnages tout vêtus de robes noires, véritable acteur de toute tragédie antique, qui faut de raconter l’histoire comme au théâtre, la mime et la danse en permanence, épousant les gestes des solistes dans un ballet hallucinant de beauté esthétique, simplicité des symboles, le tombeau ouvert au milieu, le lit de Clytemnestre (en blanc) qui raconte ses nuits agitées, la hache que brandit Elektra (en noir).

Epurement des lignes, stylisation des mouvements de foule, rythme du ballet en étroite communion avec la musique, véritable prouesse que cette ronde infernale sans fin dans ce jeu de lumières et surtout d'ombres, littéralement envoûtant jeu d’acteurs (et surtout d’actrices) très précis, cette perfection est rare dans la mise en scène d’opéra, il faut s’en féliciter (et en profiter !).

J’ai donc été voir d’abord la Première, le 10 mai, avec Camilla Nylund en Chrysotémis.

J'ai trouvé à cette occasion, les trois rôles féminins équilibrés, avec un "plus" pour Christine Goerke, qui campe une Elektra dont le désespoir et la colère sans cesse perceptibles vous touche profondément. Personnellement, j'apprécie ce timbre assez corsé, cette voix assez costaud qui ne m'est jamais apparue ni criarde ni en surchauffe au contraire. Le seul reproche que je pourrais lui faire dans ce rôle meurtrier, c'est une tendance au saut de registre dans les graves (voix de poitrine ?) qui n'est pas très élégant. Mais quel abattage, quelle énergie, quelle vérité dans cette Elektra qui habite son rôle avec tant de fièvre qu’elle en créée une sorte d’hallucination hyptnotique chez le spectateur qui ne parvient plus à la quitter des yeux. Et tandis qu’elle décrit à sa mère les horreurs que le bourreau vengeur fera subir tandis que la pauvre Clytemnestre fuit dans tous les sens sur le plateau dont elle ne peut sortir, pour échapper aux imprécations, on ne voit plus qu’elle, habitée par la haine. Et quelle voix, quelle performance alors… 

La voix de Angela Denoke est à peu près ce qu'elle est d'habitude, chaude et fine, et sa Clytemnestre est plutôt convaincante, très femme chic de la haute société, bien que parfois inégale. Elle a été bien davantage admirable et juste, lors de « ma » deuxième représentation le 26, où elle avait trouvé le ton juste, incarnant cette femme assassin et victime, dont les nuits sont agitées, qui ne trouve jamais le repos et doit faire face à l’impitoyable vindicte de sa fille.

Quant à Camilla Nylund, arrivée à la dernière minute en renfort, a assuré avec un peu moins de projection que les deux autres mais finalement en illustrant de manière assez crédible la petite soeur qui aime la fête et pas le bruit et la fureur. Elle a gardé ce timbre suave et délicieux qui sait se jouer des écueils de la partition tout en restant profondément lyrique.

J'ai trouvé tous les autres rôles bien tenus, l’Oreste solennel et grave de Tomas Tomasson (à la voix un peu moins stable le 26, comme parfois un peu fatiguée), comme l’Egisthe mal attiffé et détonnant de Gerhard Siegel qui donne (comme il se doit) un léger aspect comique et ridicule au personnage fantoche d’Egisthe. Et mention spéciale au jeune ténor Lucian Krasznec, le jeune serviteur très à l’aise et très tranchant dans sa courte réplique très bien chantée. Mais l’ensemble des solistes nombreux dans des rôles courts de plus ou moins grande importance, observe une qualité qui enrichit l’ensemble du spectacle lui conférant une vraie classe qui rajoute à la beauté visuelle, la beauté sonore.

Mais ce qui rend avant tout la soirée exceptionnelle, c'est l'interprétation de Simon Bychkov, novatrice, colorée, remplie de nuances, valorisant certaines orchestrations fascinantes de richesse de Strauss et collant avec le très beau livret de cette oeuvre magistrale.

Très belle ovation du public que j'ai trouvé beaucoup plus jeune que d'habitude, avec des applaudissements particulièrement chaleureux pour le chef d’orchestre, venus de l’orchestre lui-même et de la salle manifestement profondément séduite à juste titre par cette très belle réussite.

Deux changements pour ma « deuxième », le 26 : d’abord la Chrysothémis de Elza van den Heever, titulaire du rôle, parfaitement rétablie et que je vois toujours avec grand plaisir : de sa silhouette longue fine, en contraste intéressant avec l’allure plus massive de la sévère et autoritaire Elektra, à son chant élégant et racé, tout incarne en elle la sœur tout à la fois soumise et plus indépendante qu’il n’y parait ce que le talent d’Elza nous fait parfaitement ressentir par des accents et des postures qui suggèrent le tumulte de ses pensées.

Changement de chef aussi avec le jeune Case Scaglione, moins précis que Bychkov mais dirigeant l’orchestre que son prédecesseur a préparé et plaçant soigneusement ses pas dans les siens avec talent malgré de micro imprécisions et un peu moins de rigueur dans les tempo.

Et nouvelle ovation d’un public absolument conquis réservant une ferveur toute particulière à Christine Goerke, sans doute la meilleure Elektra actuelle avec Nina Stemme et à Elza Van den Hever sans oublier d’applaudir tous les autres !

Deux belles soirées pour une œuvre inoubliable.

 

Distribution

Direction musicale : Semyon Bychkov - (10 > 22 mai) / Case Scaglione - (26 mai > 1 juin)

Mise en scène :Robert Carsen

Chorégraphie : Philippe Giraudeau

Décors : Michael Levine

Costumes : Vazul Matusz

Lumières : Robert Carsen et Peter Van Praet

Chef des Choeurs : Alessandro Di Stefano

 

 

Elektra : Christine Goerke

Chrysothemis : Elza van den Heever / Camilla Nylund

Klytämnestra : Angela Denoke

Aegisth : Gerhard Siegel

Orest : Tómas Tomasson

Le précepteur d'Oreste : Philippe Rouillon

La Confidente de Klytämnestra : Stéphanie Loris

La porteuse de traîne : Marianne Croux

Un jeune serviteur : Lucian Krasznec

Un vieux serviteur : Christian Tréguier

 

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