Parsifal de Wagner à l'Opéra de Paris : le miracle des cheffes Simone Young et Ching-Lien Wu pour l'orchestre et les choeurs sublimes et une magnifique Kundry !

Parsifal



Richard Wagner

Festival scénique sacré en trois actes.

Création en 1882 lors du second festival de Bayreuth.

 

Première du 24 mai 2022, Opéra de Paris Bastille.

Photos Vincent Pontet, OnP 2022.

 

A l'issue de la soirée, on est tenté de dire une fois encore "Et à la fin, c'est Wagner qui gagne" tant l'oeuvre est musicalement excitante et créée une incontestable addiction, à tel point que comme tout wagnérophile qui se respecte (et que je suis), on regrette de devoir retourner dans la dure réalité extérieure après cinq heures de rêve éveillé.

Chacun ses goûts, je comprends qu'on puisse préférer Massenet ou Offenbach mais pour moi, il n'y aura jamais photo. Une soirée "Parsifal"restera toujours exceptionnelle même quand, comme ce soir, tout n'est pas parfait loin de là.

Reprendre la production de Richard Jones, créée à Paris Bastille en 2018 et qui n'avait eu droit qu'à trois séances il y a quatre ans, les autres ayant été annulées suite à un grave problème technique, n'était finalement pas une si mauvaise idée. 


Je l'avais vue à l'époque, depuis j'en ai vu d'autres (Pierre Audi à Munich quelques mois plus tard, Serebrennikov à Vienne en 2021).

Elle ne trahit pas l'oeuvre et en respecte même l'esprit et la lettre malgré une transposition qui n'a guère de conséquences pratiques. Les filles-fleurs, qui sont réellement pour une fois, des filles fleurs créatures de Klingsor pour séduire les chevaliers du Graal, avaient beaucoup choqué. Aucune raison particulière à cela, tout prend la forme d'un ballet un tantinet lubrique sans plus, et le retour de l'ensemble brûlé, mort, éteint, à la fin de l'acte 2 symbolise parfaitement la défaite de Klingsor. 

Leur chant (magnifiquement interprété hier soir) et leurs postures ont pour objectif clair de réveiller sexuellement le héros qui ignore tout des choses de la vie. Et Parsifal monte et descend les escaliers de cette "colline" de fleurs en train d'éclore sans en comprendre la magie.

Simon O'Neil est assez "gauche" (mais Andreas Schager, créateur de ce Parsifal en 2018, l'était aussi dans cette scène) ce qui nuit un peu à la crédibilité que pourrait avoir un Parsifal plus interactif qui montrerait à la fois sa curiosité et son incompréhension.


Les bras et jambes qui sortent du nid de feuilles de chacune des filles fleurs caressent bien le héros sur son passage. Elles disparaissent quand Kundry arrive (ce qui est conforme au livret), Kundry transformée, vêtue d'une belle robe claire (qu'elle enlève à la fin de l'acte 2 pour réapparaitre en noir après avoir "réveillé" Parsifal). Lors de la scène de séduction de la magicienne, ils sont seuls sur scène, éclairés par un faisceau dirigé exclusivement vers eux, le reste est dans l'obscurité, dans laquelle Klingsor se cache pour observer. Son anéantissement voit revenir la pyramide des filles fleurs sur la scène, symbole de la puissance du château de Klingsor, ne présentant plus que des formes noires calcinées.


En fait, ce qui m'a frappé chez Richard Jones, c'est qu'il n'y a rien de génial, mais rien de gênant non plus (ce qui n’était pas le cas de sa célèbre mise en scène de Lohengrin à Munich que j’ai revue récemment). Le calice est une coupe dorée, la lance, une vraie lance, les chevaliers sont propres, sages et sérieux lors de l'acte 1, bien moins nombreux, sales et bagarreurs dans l'acte 3 quand Parsifal réapparait après avoir cherché durant des années le chemin de Montsalvat. Kundry lui verse un baume sur les pieds et Gurnemanz l'ondoie. Soulignons une belle réalisation de « cascades » et un magnifique comportement de « groupe » sur scène qui dénote une vraie théâtralité de la mise en scène.

Des "quatre pièces" qui forment le château de Montsalvat, habilement installées en enfilade qui se déplace latéralement, la première est un extérieur avec fontaine (la source), la deuxième une sorte de pièce commune avec les casiers personnels des Chevaliers (presque vides à l'acte 3 où beaucoup de chevaliers sont morts), au dessus se situe la chambre de Titurel, la troisième est la chambre d'Amfortas et la quatrième le lieu des récits des choeurs, où les Chevaliers sont installés sur des galeries situées les unes au dessus des autres, leur ensemble formant une sorte d'image de vitrail d'Eglise, très impressionnante vue d'en-haut. Bref, on s'y retrouve sans problème.


Ce décor à "quatre" pièces de l'acte 1 et de l'acte 3 se révèle également assez fonctionel et particulièrement sympathique pour les voix, toutes globalement parfaitement audibles dans le grand vaisseau de la Bastille, dont, depuis les hauteurs encore une fois (après Elektra) je vais encore saluer l'acoustique exceptionnelle.

De là haut l'équilibre solistes/orchestre/choeurs est parfait et l'effet "cathédrale" des choeurs féminins très impressionnant et pour tout dire presque biblique.

L'orchestre est en pleine forme et la battue de Simone Young exceptionnelle de richesse musicale, valorise l'ensemble des instruments avec talent et doigté. Exactement comme pour Peter Grimes à Vienne, j'apprécie énormément cette lecture personnelle de l'oeuvre qui aide à sa compréhension et souligne sa richesse, l'une des raisons de son succès, dans les deux cas, auprès du public (et parfois moins auprès des "critiques" mais bon...).

Elle a été d’ailleurs très nettement ovationnée à la fin et au début de chaque acte par un publicen état de grâce et totalement suspendu à l’œuvre durant les cinq heures. Signalons qu’elle a également été applaudie par ses propres musiciens rendant un hommage appuyé à son travail d’orfèvre.

La distribution des solistes est un peu plus problématique.


Vocalement, j'ai trouvé la Kundry de Marina Prudenskaya d'une très grande subtilité, musicalement au dessus de ses partenaires, diction impeccable et aigus souverains, "hurlements" grande classe (ce qui est rare) et interprétation du personnage tout en nuances, voix magnifique qui occupait tout l'espace sans jamais crier et jeu scénique très crédible. Kundry est un rôle essentiel dans cet opéra « d’hommes » et comme Wagner la malmène sans cesse (lui offrant d’ailleurs une partie assez casse-voix), savoir maitriser le rôle dans toutes ses contradictions, reste pour moi source d’amiration et valorise l’ensemble de la représentation.

Brian Mulligan est un Amfortas satisfaisant (ce n'est pas Wotan et il a pu être médiocre en Wotan et bon en Amfortas, soit dit en passant), en dessous de son prédécesseur dans la production, Peter Mattéi (le meilleur Amfortas du circuit actuel à mon sens), mais au dessus d'autres Amfortas entendus récemment. Il exprime avec force sa douleur insupportable et son désir de mort pour en finir, sans jamais en rajouter, avec une justesse de ton et un timbre plutôt agréable à l'oreille.


Le Gurnemanz de Kwangchul Youn (habitué du rôle) commence plutôt bien sa longue partie, le récit de l'acte 1 le trouve assez profond, longues notes tenues et nuances dans le chant, mais il peine davantage à l'acte 3, vibrato parfois envahissant et problèmes avec la justesse, comme si le rôle était trop long pour son endurance (ce qui est possible d'ailleurs...). Dommage. On est loin de René Pape, Gunther Groissbock ou Georg Zeppenfeld (Munich et Paris 2018, Vienne 2021).

Le Parsifal de Simon O'Neill a quelque chose de celui du créateur du rôle dans cette production, Andreas Schager, dans le style de heldentenor puissant, dans une certaine gaucherie sur scène et même dans le timbre. Mais là où Schager parvenait à convaincre notamment à l'acte 3 par une vaillance d'infatigable marathonien (qui lui permet de ne pas paraitre fatigué à l'acte 3 de Tristan) O'Neil s'essouffle vite, et adopte alors une diction pâteuse très éloignée de celle de Schager, qui rend son personnage brouillon et peu charismatique (je précise que pour moi, Parsifal n'est pas le meilleur rôle de Schager). Son entrée à l’acte 1 est complètement ratée (non maitrise d’une sonorité qui doit souligner sa jeunesse et sa naiveté), l’acte 2 le voit meilleur dans son affrontement avec Kundry (qui lui fait cependant beaucoup d’ombre par la qualité de son incarnation) que lors de ses débuts mais l’acte 3 le retrouve très inégal, avec un timbre très ingrat dès qu’il chante « héroique » et insuffisamment suave dans les passages lyriques malgré quelques nuances réussies qui montrent ses potentialités.


Je pense que le plus problématique est le Klingsor de Falk Struckmann à la voix très très fatiguée qui ne parvient pas à rendre justice au personnage, ce qui commence à devenir récurrent d'ailleurs car peu de Klingsor m'ont paru dignes du rôles dans les derniers Parsifal vus ici ou là (Wolfgang Koch notamment à Munich comme à Vienne).


Les choeurs et les ensembles sont vraiment très bons (rythme, style et diction parfaite) et parmi eux, le choeur des voix célestes atteint le sublime dans une acoustique qui évoque la cathédrale et qui est particulièrement bien adaptée pour valoriser une qualité exceptionnelle. Il faut saluer sans réserve le travail effectué par leur cheffe Ching-Lien Wu.

La voix céleste qui chante « L'innocent au cœur pur accédera à la connaissance par la compassion : attends celui que j'ai élu. » à la fin de l'acte 1, apparait à l'extrémité de la galerie 8.

Et effectivement, si la distribution n'est pas l'idéal (à part Kundry), l'orchestre, les choeurs et la cheffe, font suffisamment bien le job pour rendre justice à l'une des plus belles partitions de Wagner. 

 


Direction musicale : Simone Young

Mise en scène : Richard Jones

Décors et costumes ULTZ

Lumières : Mimi Jordan Sherin

Chorégraphie : Lucy Burge

Chef des Chœurs : Ching-Lien Wu

 

Amfortas : Brian Mulligan

Titurel : Reinhard Hagen

Gurnemanz : Kwangchul Youn

Klingsor : Falk Struckmann

Kundry : Marina Prudenskaya 

Parsifal : Simon O'Neill

Erster Gralsritter : Neal Cooper

Zweiter Gralsritter : William Thomas

Vier Knappen : Tamara Banjesevic, Marie-Andrée Bouchard-Lesieur, Tobias Westman, Maciej Kwaśnikowski

Klingsors Zaubermädchen : Tamara Banjesevic, Marie-Andrée Bouchard-Lesieur, Ramya Roy, Kseniia Proshina, Andrea Cueva Molnar, Claudia Huckle, 

Eine Altstimme aus der Höhe : Claudia Huckle

 

Orchestre et Choeurs de l’Opéra national de Paris

 

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