"Capriccio" de Richard Strauss, de retour à Munich pour le festival de l'été 2022

Capriccio


Richard Strauss

Sur un livret de Richard Strauss et Clemens Kraus

Créé à Munich en 1942.

 

Séance du 25 juillet 2022, Opéra de Munich, salle du Prinzregent.

 

Chef d'orchestre  Léo Hussain remplaçant Lothar Koenigs

Mise en scène David Marton

Conception des décors Christian Friedländer

Conception des costumes Pola Kardum


La comtesse Diana Damrau 

Le comte Michael Nagy

Flamand Pavol Breslik

Olivier Vito Priante

La Roche Kristinn Sigmundsso

L'actrice Clairon Tanja Ariane Baumgartner

Monsieur Taupe Toby Spence

Une chanteuse italienne Deanna Breiwick

Un ténor italien Galeano Salas

Orchestre de l'État de Bavière

 

Munich affichait encore Strauss ce 25 juillet au soir mais cette fois, il s’agissait de Capriccio, cette œuvre tardive de Richard Strauss sur un livret de lui et du chef d’orchestre Clémens Kraus, cet exercice de style musical et littéraire sur l’opéra et la création. Composé et présenté pour la première fois à l’opéra de Munich fin 1942, tout à la fois à l’apogée du nazisme et aux débuts de la contre offensive des Russes et des alliés (l’Opéra de Munich, cible des bombes alliées, fut entièrement détruit quelques mois après), l’œuvre offre un étrange contraste entre l’exacerbation des querelles du 18èmesiècle purement esthétiques pour savoir quelle sera la primauté – de la musique ou des paroles- de l’œuvre offerte par le directeur du théâtre La Roche, et la gravité dramatique de l’époque où Strauss composa son œuvre. Mais elle lui avait été inspirée par Stefan Zweig dans les années 30, alors que ce dernier prenait conscience des derniers feux de l’âge d’or de l’Europe, devant lui-même s’exiler devant la montée du nazisme. Quelle est la signification profonde de cette sorte d’hédonisme que pratique alors le vieux compositeur réfugié dans sa maison de Garmisch près de Munich durant le crépuscule qui s’étend sur la civilisation et la culture ?

C’est ce paradoxe qui a inspiré la mise en scène de David Marton, créée à Lyon dix ans auparavant et que Serge Dorny qui en était alors le directeur, a reprise pour Munich comme l’une des deux nouvelles productions qui auront marqué ce festival d’été très centré sur le Lied d’une part, Richard Strauss d’autre part.

Le décor est somptueux, surtout pour la petite salle du Prinzregent qui contient deux fois moins de places que le Staatsoper et est plutôt le réceptacle d’opéras baroques avec décors simplifiés. Marton nous propose une mise en abyme parfois double ou triple où se mêlent le théâtre sur scène que regardent d’autres artistes, la vie vraie qui s’insinue au milieu de la fiction, le tout dans un décor unique sorte de coupe longitudinale d’une salle d’opéra à l’italienne avec sa scène, ses dessous de scène, sa fosse, ses rangs de sièges au parterre et ses loges de côté. L’idée est astucieuse puisqu’elle permet de créer un foisonnement d’actions diverses mêlant la fiction, la création et la réalité sans trop de temps morts dans une œuvre essentiellement intellectuelle et qui est d’abord une curiosité du texte et des recherches de liens entre texte, voix, orchestre au complet ou en sextuor voire en trio.

Un jeu de lumière permet d’éclairer tour à tour divers lieux du plateau, et notamment tout ce qui relève des scènes de la « réalité » de l’époque sinistre de la création de ce jeu intellectuel de haut niveau. Ainsi monsieur Taupe (le bien nommé) est-il en réalité un espion nazi qui contrôle les corps et les âmes et n’hésitera pas à désigner et dénoncer trois danseuses qu’il considère comme ne relevant pas des canons de l’aryanisme alors en vigueur dans tous les rouages de la société.

Il y a d’autres allusions mais elles restent, somme toutes, assez discrètes, comme pièce rapportée plutôt que comme fil conducteur, celui-ci restant ce jeu complexe de la création et des affrontements verbaux entre le musicien Flamand et le poète Olivier, doublés d’une rivalité amoureuse pour gagner le cœur de Madeleine. Et là, la transposition dans les années 30-40 est plutôt prétexte à quelques beaux clins d’œil au théâtre d’alors notamment avec le beau personnage de la Clairon.

La « querelle des Gluckistes et des Piccinistes » dont s’inspire le livret eut lieu en 1775 et opposa l’opéra français à l’opéra italien, dans le propos de Strauss il s’agit de savoir si la primeur est au texte ou à la musique et l’ensemble de l’exercice est particulièrement brillant ce dont Marton rend très bien compte par le foisonnement de ces « créations » artistiques directement sur scène : l’improvisation au piano, le trio et le sextuor à cordes sur scène, les danseuses en tutu qui font leurs exercices, la Clairon qui déclame, les chanteurs italiens qui démontrent leur art avec brio, bref, rien ne manque et ce petit monde du théâtre dans le thépatre ne semble que très indirectement percuté par les événements extérieurs.

Mais ce grand travail qui procure un incontestable plaisir de l’œil et en particulier le décor complexe et son utilisation, m’ont paru, au moins dans la première partie, problématique pour les chanteurs et le caractère nécessaire chambriste de l’œuvre qui commence, rappelons le, par une longue introduction jouée uniquement par un sextuor instrumental en fosse, que l’on retrouvera d’ailleurs sur scène pour sa deuxième intervention.

Cette véritable « conversation en musique » selon la volonté du compositeur, doit être « dite » par les chanteurs « aussi rapidement que s’ils parlaient » et le dialogue avec un orchestre dont la taille et le style évolulent sans cesse, est en soi un exercice très difficile. Il faut donc une synchronisation parfaite et une concentration des artistes qui ne doivent pas être gênés par une acoustique capricieuse.

Or le décor avec ses multiples recoins, se révèle à mon sens, un peu piégeant pour certains de nos artistes, dont le timbre se disperse par à coup, les privant d’une cohérence de ligne de chant et rendant parfois leurs propos peu intelligibles. Lors de la deuxième partie, les chanteurs se rassemblent davantage et dialoguent à multiples voix installés sur le devant de la scène, ce qui leur permet une plus grande cohérence de chant et de très grands moments de virtuosité.

J’ai parfois eu l’impression également d’une légère désynchronisation d’ensemble lors de la première partie, largement corrigée par la suite. Le chef d'orchestre Léo Hussain remplaçait Lothar Koenigs à la dernière minute ce qui n’a sans doute pas facilité les choses même s’il a pris rapidement son propre rythme et donné quelques pages straussiennes élégantes dans un ensemble un peu pataud et après un début terne et parfois décalé.

Mais je reste moyennement convaincue du traitement fait à cette œuvre à l’exécution délicate et qui était pourtant servie par un plateau talentueux de voix qui auraient du être davantage valorisées par la taille modeste de la salle, qu’elles ne le furent réellement.

Une fois ces réserves émises, il me faut saluer les performances des instrumentistes, des solistes en particulier, tous remarquables, et bien sûr celles des chanteurs. 

C’était la prise de rôle de Diana Damrau en Madeleine, une artiste que j’apprécie énormément par sa faculté toujours intacte à incarner un personnage et à en proposer une lecture personnelle, toujours renouvelée (de sa célèbre Reine de la nuit, à sa Violetta, en passant par le souvenir d’une Antonia/Giuletta/Stella époustouflante sur la scène de Munich mais au théâtre national il y a quelques années). Mais hélas, il me semble que cette fois, si le chant est tout à fait satisfaisant, l’interprétation laisse à désirer par trop de coquetterie et de minauderies bien loin de cette « Madeleine » de Strauss et Kraus. Cette dernière est certes tiraillée entre deux beaux jeunes gens, mais elle ne se contente pas de nous livrer les hésitations de son cœur : elle participe avec passion au débat sur « prima la musica » versus « prima la parole » avec sincérité et authenticité. Il faut donc rendre la dimension « charme » en même temps que l’aspect intellectuel en quelque sorte de la femme du monde tenant salon et à qui l’on offre une pièce lyrique pour son anniversaire. Avoir la classe et la retenue d’une Renée Fleming par exemple. Pourtant Damrau a le physique de l’emploi, c’est une très belle femme et sa prestation vocale est magnifique dans le cadre des limites dont j’ai parlées plus haut. Je lui souhaite une nouvelle Madeleine dans le cadre d’une acoustique plus régulière et plus sécurisante pour sa très belle voix, en espérant qu’elle approfondisse son jeu en abandonnant tout comportement artificiel sur scène pour valoriser ce qu’elle exprime si bien vocalement.

Ses partenaires sont également de très haut niveau sur le plan vocal : le La Roche de la basse islandaise Kristinn Sigmundsso est même absolument parfait, projection, gouaillerie, autorité, propension à imposer son point de vue, bref, il joue aussi bien qu’il chante et sa présence sur le plateau est un vrai plaisir.

Les deux frères siamois, le muscien et le poète, Flamand et Olivier, incarnés par le ténor Pavol Breslik et le baryton Vito Priante, sont brillants tant par la répartie que par la présence sur scène et le contraste de leurs timbre, très clair et plutôt léger pour l’égégant Breslik, sombre et sonore pour son compère Priante, permet de très belles joutes oratoires et un jeu de séduction des plus crédibles.

Le comte de Michael Nagy est également très bien chantant et très à l’aise sur scène, son baryton a d’ailleurs un timbre assez différent de celui de Priante ce qui renforce la diversité appréciable des tesstitures. Magnifique Clairon de la contralto Tanja Ariane Baumgartner que j’avais déjà hautement appréciée en Clytemnestre dans un récent Elektra à Genève et qui ajoute à sa voix d’une beauté profonde, le talent de comédienne. Un nom à retenir.

Les chanteurs italiens Deanna Breiwick et Galeano Salas sont parfaits dans leurs courtes apparitions. Salas était déjà le « chanteur italien » la veille dans Rosenkavalier, clin d’œil munichois amusant d’autant que, subtilement, il incarne très bien cette tendance à l’emphase artificielle de la voix dans les montées vers les aigus, typique du chanteur « italien » préparant ses effets…

Le Monsieur Taupe du ténor Toby Spence, chante peu mais bien et incarne à la perfection ce personnage inquiétant que la mise en scène a partiellement créé.

Une belle soirée en définitive pour le plaisir de voir cette œuvre difficile d’accès dans un cadre qui en facilite l’approche. 

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