Idoménéo, un très grand "Mozart", magnifiquement servi par la scénographie luxueuse de Miyagi, l'orchestre inspiré de Raphaël Pichon et d'excellents solistes

Idoménéo, re di Creta

Mozart


Festival d'Aix en Provence, séance du 6 juillet 2022, Grand Théâtre de l'Archevêché.

Direction musicale : Raphaël Pichon

Mise en scène: Satoshi Miyagi

Décors : Junpei Kiz

Costumes : Kayo Takahashi Deschene

Lumière : Yukiko Yoshimoto

Chorégraphie : Akiko Kitamura

Assistant à la direction musicale :Nicolas Ellis

 

Idomeneo : Michael Spyres

Idamante : Anna Bonitatibus

Ilia : Sabine Devieilhe

Elettra : Nicole Chevalier

Arbace : Linard Vrielink

Gran Sacerdote : Krešimir Špicer

Voce di Nettuno : Alexandros Stavrakakis

Crétoises et Troyens : Adèle Carlier, Anaïs Bertrand, Clémence Vidal, Constantin Goubet, René Ramos Premier

Danseuses et danseurs : Sophie Blet, Idir Chatar, Apolline Di Fazio, Anaïs Michelin, Yumi Osanai, Ken Sugiyama

Chœur et orchestre Pygmalion

 

Quand Mozart compose son premier opéra « seria », Idoménéo, il a 25 ans et il est débarrassé de la tutelle salzbourgeoise et libre de composer ce qu’il veut, ce qu’il aime. Et l’œuvre ouvre la voie au gigantesque travail lyrique qu’il accomplira alors. Tragédie à l’état pur, Idoménéo comporte toutes les audaces musicales dont le jeune prodige est capable en son temps, s’appuyant délibérément sur les capacités orchestrales d’un ensemble de musiciens dirigés par Christian Cannabich, dont il admire les infinies ressources, il n’hésite pas à mêler toute sa connaissances des formes lyriques alors en vogue – récitatifs simples, doubles, arias solennelles ou virtuoses, duos, trios et même quatuors, ensembles vocaux, instrumentaux, en bref, véritable traduction musicale de la tragédie antique qu’il illustre.

L’orchestre baroque démontre ses grandes capacités illustratives, les tempêtes, la fureur des vents, celles des flots déchainés, tout est « joué » par des ensembles d’instruments très sollicités et très brillants, avec une place nouvelle et décisive occupée par les vents (ensemble de cors, clarinettes, bassons, solo de trompette) tout comme d’ailleurs, les intermèdes nombreux qui valorisent l’orchestre ou l’accompagnement de ballets étourdissants de virtuosité où se mêlent parfois les chœurs. Il a su opposer les caractères de ses personnages au travers des airs qu’ils leur attribue et même des tessitures requises : Ilia, victime courageuse et personnage féminin lumineux et exemplaire, est une soprano légère, aux airs comme ciselés dans le métal le plus fin, qui cache une volonté d’airain sous son apparente fragilité alors qu’en opposition absolue Elettra est une femme de caractère colérique et obsédée par les tragédies familiales, et le génie précurseur de Mozart fait que l’on songe à l’Electre de Strauss qui aurait rejoint après la dernière scène, les rives de la Crète malgré l’écart considérable générationnel entre les deux compositeurs. Idoménéo est un ténor au registre très étendu,  dont la noblesse et les tourments doivent systématiquement s’entendre dans ses longues déclamations magistrales. A l’opposé le magnifique rôle de son fils Idamante, confié à une soprano ce soir à Aix (un castrat lors de la création) reflète la jeunesse, la naiveté, les idéaux et l’amour fou qu’il porte à Ilia, fille des ennemis de sa terre.

Personnellement j’ai un faible pour cette œuvre que je recommande assez systématiquement pour découvrir la complexité de Mozart compositeur, loin de ses œuvres postérieures généralement plus connues. Idoménéo est l’accomplissement de ce que Mozart esquissait déjà dans Mitridate 10 ans plus tôt.

Et pour une première découverte, la mise en scène de Satoshi Miyagi et de son équipe, est très valorisante. Respectant à la lettre la tragédie qui voit s’affronter des personnages qui vont tous évoluer dans leurs certitudes et leurs passions pour se rendre à la raison de l’amour contre la logique de la guerre et de la destruction, Miyagi organise une magnifique scénographie qui place les « seigneurs », les rois, princes et reines, sur les hauteurs de piédestals d’où ils, elles dominent le monde, et souligne leur incommunicabilité, l’inconséquence de leurs décisions, la cruauté insupportables de leurs valeurs. A leurs pieds, la piétaille, le peuple victime de leurs choix, qui doit payer le plus lourd tribut aux caprices des dieux et des rois, peuple représenté par une armée de soldats fantomatiques, aux uniformes nippons de la deuxième guerre mondiale, qui assurent le déplacement des socles où sont juchés les « Grands » de leur monde, habillés, eux, de magnifique costumes orientaux, riches en symboles divers et d’une esthétique fascinante de beauté. Le tout est magnifiquement orchestré et dirigé sur le plan théâtral, et l’on peut lire sur les traits et les postures des solistes, l’ensemble des sentiments qui les traversent comme dans un livre ouvert. Cette mise en scène évoque immédiatement l’admirable travail de Graham Vick pour Mitridate : lenteur de la gestuelle des personnages, façon théâtre nô japonais, lourdeur des costumes qui les caractérisent chacun dans une mythologie très ancienne, harmonie parfaite avec la richesse musicale de l’œuvre.

Le jeu des lumières est fascinant et de nombreuses scène laissent une empreinte inoubliable au spectateur qui entre littéralement dans la tragédie qui se déroule sous ses yeux. N’oublions pas les étonnants décors, outres les colonnes qui supportent les seigneurs, comprend un jeu de paravents géants qui favorisent l’acoustique et se transforment en tableau superbe d’une scène de massacres de masse très stylisée, tandis qu’une lumière rouge inonde les spectateurs.

La dernière tirade d’Arbace se déroule en contraste sur une scène vide, il a le Livre à la main et allume un feu dans la pénombre. A l’inverse, la scène de folie presque finale d’Elettra, la place sur le devant de la scène, elle semble presque vouloir sauter sur les premiers rangs des gradins et sort d’elle-même dans les sens du terme. 

Raphael Pichon et sa formation musicale font des miracles après un démarrage un peu difficile (éternel problème des instruments qui se désaccordent facilement et des vents et cuivres dont il faut contrôler le son régulièrement), et déploient une sonorité phénoménale, renforcée par quelques spatialisations des chœurs en particulier (ou d’une partie d’entre eux), en se servant de la configuration unique de ce théâtre en plein air et entre des murs de pierre. 

Les chœurs très sollicités, savent tout faire : jouer, danser, chanter, se couler dans une sénographie qui les valorise à juste titre, entourant la tragédie des solistes dans un ensemble social et sociétal très riche.

Côté solistes, l’excellence est au rendez-vous : à juste titre ce sont les prestations de Nicole Chevallier – Elettra hallucinante dans sa folie meurtrière et violente- et de Sabine Devielhe – qui incarne là l’un de ses meilleurs rôles, le plus touchant dans volonté farouche de justice et dans son amour inébranlable pour Idamante- qui recueillent les plus grandes ovations. Mais Michael Spyres, même s’il a paru un peu précautionneux lors de ses premières apparitions, campe un Idoménéo magistral, à la puissance impressionnante. Sa technique maitrise tous les écueils d’une partition qui l’oblige à descendre dans les graves d’un baryton à plusieurs reprises, et surtout, il interprète à chaque instant le personnage complexe et tourmenté d’un roi dont la lâcheté face aux dieux en pleine tempête, a conduit sur le chemin involonaire de la cruauté ignoble. L’Idamante de Anna Bonitatibus est également très bien interprété, sa passion pour Ilia comme son effroi face aux dilemmes de son père, se ressentent dans un chant très bien maitrisé là aussi et très mozartien. Son timbre plus corsé et ses assises solides dans le medium, constrastent parfaitement avec la douceur de la voix de rêve de Sabine Devieilhe. Là aussi, on entre totalement dans l’histoire, avec passion même si on en connait le dénouement, on tremple pour le futur des protagonistes.

Un peu en dessous, l’Arbace de Linard Vrielink propose un personnage plus terne au timbre un peu acide, un peu moins dense mais émouvant malgré tout notamment du fait de la mise en scène : il est le seul personnage à rejoindre les foules d’anonymes au sol et dont l’humanité s’exprime régulièrement.

Un très belle lecture visuelle, picturale, et musicale d’un chef d’œuvre de Mozart pour une nouvelle, troisième, très belle soirée au Festival. 

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