La belle Salomé d'Elsa Dreisig à Aix en Provence sous la direction musicale vertigineuse d'Ingo Metzmacher. Magistral.

Salomé


Richard Strauss

 

Drame en un Acte, Op. 54

Livret De Richard Strauss d’après Salome d’Oscar Wilde

Créé le 9 Décembre 1905 À l’Opéra Royal De Dresde


Festival d’Aix-en-Provence, séance du 5 juillet 2022

Direction musicale Ingo Metzmacher

Mise en scène Andrea Breth

Décors Raimund Orfeo Voigt

Costumes Alexandra Charles

Lumière Alexander Koppelmann

 

Salome Elsa Dreisig

Jochanaan Gábor Bretz

Herodes John Daszak

Herodias Angela Denoke

Narraboth Joel Prieto

Ein Page der Herodias Carolyn Sproule

Erster Jude Léo Vermot-Desroches

Zweiter Jude Kristofer Lundin

Dritter Jude Rodolphe Briand

Vierter Jude Grégoire Mour

Fünfter Jude / Zweiter Soldat Sulkhan Jaiani

Orchestre de Paris

 

Dans l’œuvre margistrale de Richard Strauss il est impossible de dissocier la partition musicale du texte adapté par le compositeur lui-même à partir de la nouvelle d’Oscar Wilde. On tient là en effet l’une de ces associations musicales et littéraires de génie, un matériau qui s’apparente au diamant brut où chaque parole doit être savourée dans le cadre de cette histoire courte et célèbre, celle de Salomé jeune fille d’une grande beauté qui incarne en contraste total, le mal absolu, la perversité cruelle, le désir sans limite toujours inassouvi, sans doute le trait d’union entre sa mère et son beau-père, symbole de la tyrannie et de la débauche.

Dès les premières notes orchestrales, le décor est campé : la toute jeune Salomé est l’objet de l’admiration et du désir de plusieurs hommes dont son beau-père le roi Hérode, les soldats qui veillent sur le palais du Roi, et tout particulièrement le jeune Narraboth qui se consume d’amour. 

Il n’est nul besoin pour illustrer Salomé, tragédie antique qui respecte la règle des unités, de déployer des trésors d’imagination. Les paroles décrivent fort bien les différents lieux et les différentes scènes, depuis la terrasse extérieure, éclairée par la lune, que chaque personnage va voir de manière différente (le page y voit une femme morte, annonçant le destin fatal de Salomé), la citerne où est enfermé Jonachaan le prophète qui annnce la venue de Jésus, jusqu’au banquet à l’intérieur du palais où se dérouleront les principales scènes emblématiques de l’œuvre.

Andrea Breth (dont j’avais vu la Médée de Cherubini à Berlin il y a quelques années) respecte scrupuleusement ce cadre, donnant ses touches personnelles dans une très belle et très efficace direction d’acteurs, et lors de la danse des sept voiles qu’elle illustre par la démultiplication des jeunes Salomé, dans une sorte de spectacle hallucinatoire discutable mais qui ne pose pas de problème en soi. La terrasse dans la pénombre est baignée par la lumière subtile et blafarde de la lune, les personnages sont tous habillés de noir sauf Salomé, blanche et lumineuse symbolisant la virginité, le banquet prend l’allure de la fameuse « cène » ce qui entre en phase parfaite avec les prophéties d’un Jochanaan (assez dépenaillé tel que le décrit Salomé dans sa magnifique tirade), dont on ne voit que la tête comme posée sur la table, la folie criminelle de Salomé et sa dernière scène se déroulent dans un étroit espace carrelé de blanc façon toilettes de gare où elle tient entre ses mains un seau très peu romantique, voire dégoûtant comme l’évoque Hérode avant d’ordonner sa mise à mort.

Le plus remarquable est sans doute la capacité qu’a eu Andrea Breth de diriger ses chanteurs-acteurs pour créer dans les mouvements des personnages cette cacophonie apparente orchestrale et vocale qui caractérisent quelques moments clé de l’œuvre : la querelle des « Juden », le désir exacerbé d’Hérode qu’Herodiade tente vainement de contrecarrer, puis à l’inverse celui de Salomé réclamant la tête du Prophète tandis qu’Hérode tente de la dissuader et que sa mère l’encourage.

De la belle ouvrage efficace et esthétique qui valorise une œuvre foisonnante, riche et fascinante. Mais la grande réussite de la soirée c’est incontestablement l’extraordinaire direction d’orchestre d’Ingo Metzmacher, incroyablement novateur dans une partition qui permet toute sorte d’audaces, qui valorise chaque instrument, voix comprises, dans une intelligence de lecture de la partition qui ne laisse aucun temps mort sauf pour mettre en exergue les parties les plus contrastées d’une œuvre dont on ne se lasse jamais.

Une partie de la salle s’est levée pour saluer sa prestation quand il est apparu sur scène au moment des saluts et nous nous sommes dit qu’après la magnifique interprétation de la deuxième de Mahler la veille, nous étions vraiment privilégiés pour les débuts de ce festival de très grande qualité musicale.

Et l’on sent les chanteurs parfaitement à l’aise dans cette mise en scène globalement très dépouillée et avec ce chef qui les couve d’un œil attentif dans chacune de leurs prestations les plus difficiles.

Elsa Dreisg incarnait sa première Salomé ce soir-là. Le rôle est difficile du fait d’une orchestration déferlante souvent très dense qui nécessite une Isolde ou une Turandot pour assurer l’ensemble de la partition. Il ne comporte pas d’aigus stratosphériques mais ils sont presque toujours en mode « forte » et parfois font suite à une note médium voire grave, le saut n’étant pas évident à réussir. Si la note la plus aigue est un « si » (qui nécessite quand même l’emploi d’une soprano), la plus grave plonge dans le bas du registre d’une mezzo voire d’une contralto (sol grave), l’ambitus demandé est donc très exigeant. 

Elsa Dreisig a manifestement beaucoup travaillé ces dernières années. On est très loin de la jeune soprano aux aigus un peu criés de ses débuts, elle occupe la scène vocalement comme scéniquement. On a connu des Salomé à la voix plus ample et plus puissante mais elle s’investit corps et âmes avec tant d’aplomb, de charme vénéneux et de vaillance, qu’elle recueille à juste titre une très belle ovation totalement méritée. Toutes les notes y sont, le timbre est somptueux, la projection et la puissance sont assez remarquables et l’on prend beaucoup de plaisir à la voir développer ainsi un talent qui ne demandait qu’à exploser loin de Mozart ou du bel canto qui ne sont pas son répertoire « naturel ». 

Son allemand est parfait et elle sait « dire » son texte avec une intelligence remarquable, bien des sentiments passent dans la voix et la gestuelle précise, sensuelle et élégante de la jeune soprano. J’ai été séduite, la salle aussi et on la reverra avec grand plaisir dans ce type de rôle qui la mettent au défi dans un challenge qu’elle aime relever. Pieds nus, robe blanche, silhouette nimbée de lumière, c’est une Salomé qui fixe le regard et qu’on ne quitte plus des yeux, même quand le dispositif du décor la cache aux spectateurs des extrémités.

Elle est très brillamment accompagnée par l’Hérode puissant et percutant de John Daszak qui exprime admirablement les contradictions d’un roi cruel mais pleutre, dévoré de désir pour sa jeune belle-fille mais terrorisé par les prophéties d’un illuminé. C’est la voix la plus sonore de tout le plateau et il domine parfaitement son sujet pour l’avoir assez souvent chanté et joué. Il était déjà Hérode à Salzbourg aux côté d’Asmik Grigorian en 2019 au Rocher, il était plus récemment Tambourmajor dans le Wozzeck donné à Bastille il y a quelque mois et, le trimestre précédent, il nous avait impressionné en Golitsine dans la Khovanchtchina. De même niveau de tous les points de vue, sa femme, la cruelle Hérodiade est idéalement incarnée par Angela Denoke, que j’avais d’ailleurs entendue et apprécié en Salomé à Bastille il y a une dizaine d’années. La voix n’est jamais forcée, elle est naturellement en phase totale avec la tension du rôle, ses « querelles » avec son époux les montrent tous deux très naturels et très à l’aise avec ces exigences vocales pourtant difficiles et l’ensemble est tout à la fois harmonieux et crédible.

J’ai été un peu moins convaincue (sans drame) par le Jochanaan de Gábor Bretz, dont la projection est un peu « mate », et semble à plusieurs reprises s’effacer derrière les timbres plus coupants et plus brillants de Salomé et d’Hérode en particulier. La prestation est honnête et très bien jouée mais elle est vocalement un peu terne.

Joel Prieto est un agréable Narraboth dans un petit rôle qui marque malgré tout les débuts de l’œuvre. Très engagé il déploie un très beau timbre de ténor, là aussi jamais forcé, avec une présence scénique remarquable (et remarquée).

Le page d’Hérodias de Carolyn Sproule est charmant et très bien incarné tout comme les rôles incroyablement bien mis en scène des cinq « Juden », Leo Vermot-Desroches, Kristofer Lundin, Rodolphe Briand, Grégoire Mour et Sulkhan Jaiani.

Une très belle soirée à nouveau pour le deuxième jour de ce festival qui se présente sous les meilleures auspices jusqu’à présent.

  

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