Le massacre des innocents - Castelluci illustre la symphonie Résurrection de Mahler. Un spectacle d'émotion absolue dont on ne sort pas intact.

Symphonie N°2 Résurrection 



Gustav Mahler

En Ut Mineur 

Pour Soprano, Alto, Chœur Mixte et orchestre, en cinq Mouvements

Créée Le 13 Décembre 1895 À Berlin

 

Stadium de Vitrolles, Festival d'Aix-en-Provence 2022

Séance du 4 juillet

 

Direction musicale : Esa-Pekka Salonen

Mise en scène, décors, costumes, lumière : Romeo Castellucci

Soprano Golda Schultz

Alto Marianne Crebassa

Chœur de l'Orchestre de Paris, Jeune Chœur de Paris

Chef de chœur Marc Korovitch

Orchestre de Paris

Construction des sculptures de scène

Giovanna Amoroso et Istvan Zimmermann

 

La chaleur est suffoquante en ce premier jour du festival d’Aix intitulé « Renaitre » et le décor du lieu se prête à la gravité morbide et dramatique de la symphonie numéro deux de Mahler. Le Stadium de Vitrolle désaffecté depuis 1998 après diverses mésaventures, est un parallélépipède gris juché sur le sommet d’une colline qui domine quelques rares pinèdes et beaucoup d’étendues d’herbes déjà desséchées en ce début d’été. 

Un spectacle grandiose alors que le soleil décline et que se presse la foule très mélangée des événements festivaliers de musique classique. Quelques noms pour attirer le mélomane : Mahler d’abord et l’une de ses plus grandes œuvres orchestrales (et vocale), Esa-Pekka Salonen l’un des grands chefs d’orchestre de cette musique du début du 20ème siècle particulièrement brillammant illustrée par le génial compositeur autrichien (qu’il fallut quelques décennies et l’aide puissante de Visconti pour porter au sommet dans la deuxième partie du 20ème siècle seulement), Romeo Castelluci l’un des metteurs en scènes les plus inventifs et les plus humanistes de l’époque actuelle, Mariane Crebassa et Golda Schultz deux solistes de luxe pour de courtes mais percutantes interventions lyriques.




Résurrection avant de chanter la renaissance est un hymne funèbre, violent, âpre, désespéré où dans l’esprit du compositeur, le premier mouvement représente des funérailles et exprime l’interrogation existentielle de la résurrection : la vie et la mort ont-elles un sens, et y a-t-il une vie après la mort ? Le second mouvement, plus léger et plus chantant, est un rappel des moments heureux de la vie du défunt, le troisième exprime la perte de la foi sur un mode cruel et ironique, et le quatrième la renaissance d'un espoir "primaire" (« Je viens de Dieu et veux retourner à Dieu »). Le cinquième mouvement voit le Jugement dernier, la réalisation de l’amour de Dieu et la proclamation de la résurrection et de la vie éternelle (« Je mourrai pour vivre… Ce que tu as vaincu te portera vers Dieu ! »). Les paroles se basent sur l’ode de Friedrich Gottlieb Klopstock Auferstehen pour chœur et soprano.

C’est dans le quatrième mouvement, Urlicht (Lumière originelle), noté « Sehr feierlich aber schlicht. Choralmäßig » (« Très solennel, mais sobre. Comme un choral »), que se situe le très beau chant pour contralto basé sur le Lied du même nom dans Des Knaben Wunderhorn.

La mort et la douleur de la perte sont donc au centre d’une œuvre âpre et rude qui n’appelle guère au divertissement et a conduit assez naturellement Romeo Castelluci à illustrer de la manière la plus sobre et la plus violente à la fois, ce qu’est la mort, le massacre de masse d’humains par d’autres humains et la découverte du charnier qui n’a épargné personne ni les hommes, ni les femmes, ni les enfants, ni les tout tout petits…

Dès qu’on entre dans le stadium aux gradins serrés et pente assez raide, on est saisi par la tristesse des lieux, murs gris de béton, fosse d’orchestre étirée à l’infini du jardin (chœur des femmes, violons, flûtes) à la cour (percussions, contrebasses, chœur des hommes), scène gigantesque elle aussi recouverte d’une terre grise minérale, sans la moindre parcelle de vert ou de vie, vague tumulus au centre et sur les côtés, flaques d’eau de ci de là.

Castelluci aime les animaux, les vrais, sur scène. Il nous avait proposé un taureau à Paris pour son Moise et Aaron, inaugurant l’ère Lissner (lequel était présent d’ailleurs hier soir). Là c’est un superbe cheval de labour blanc qui entre le premier sur scène et va découvrir dans son périple, des traces d’étoffes embourbées. La jeune femme qui le cherche et arrive à son tour sur la scène comprendra qu’il y a là les traces de la mort des humains et appellera aussitôt qui de droit pour organiser la fouille du secteur.

Là commence la symphonie, dans une acoustique très belle, et sous la direction toujours inspirée de Salonen, l’un des maitres de Mahler.

Les bataillons médicaux qui envahissent peu à peu la scène dans un véritable ballet de découvertes macabres de plus en plus nombreuses, sont silencieux, affairés, en rythme parfait avec les phrases musicales de Mahler, les thèmes développés tout au long de l’œuvre, se figeant dans un immobilisme quasi religieux quand Marianne Crebassa entonne de sa magnifique voix d’alto son « O Röschen rot / Der Mensch liegt in größter Not! » (Petite rose rouge/L'humanité gît dans une très grande misère/L'humanité gît dans une très grande souffrance. »).

Le Final « choral » voit d’abord la superbe voix de la soprano Golda Schultz s’élever dans le silence de l’orchestre avant cette montée crescendo des chœurs et de l’ensemble des instruments, qui porte au paroxysme l’émotion dégagée par cette soirée.

Ils sont tout vêtus du blanc des combinaisons de protection, sortent des corps assombris et comme momifiés par leur séjour dans la terre noire qui exhale ses odeurs dans la salle, les étendent sur des draps blancs de plus en plus nombreux, qui formeront linceuls que l’on referme pudiquement, avant d’emporter dans des camionettes blanches vers de plus dignes sépultures. Grande émotion quand l’un d’eux découvre le premier bébé qui sera suivi d’autres découvertes d’enfants dans ce qui est un immense charnier à ciel ouvert, l’un de ces massacres d’humains par d’autre humains, qui ont enterré leur crime lequel est dévoilé sous nos yeux. L’épreuve est rude, à l’image de la musique de Mahler. Et l’on vit les gestes délicats des deux infirmières qui couchent les petits enfants morts avec tendresse et désespoir. Tout comme on pleure avec ce dernier « sauveteur » de cadavres qui continue, seul, inlassablement, à fouiller la terre noire, pour trouver encore que sais-je, un proche, un ami, une preuve de cet abominable massacre. Et que deux autres viendront chercher pour le persuader de partir avec eux, parce que c’est fini, ils ont fait le tour de l’horreur. Il jette comme geste ultime de protestation, sa chasuble blanche qui reste là, symbole de paix sur une terre martyrisée par la guerre.

Le rideau de pluie qui s’abat alors sur la terre souillée et désertée, est comme une immense absoute qui lave nos mémoires et symbolise l’espoir d’une résurrection.

Depuis les premiers rangs nous avons entendu quelques vociférations venant des sommets de gradins de quelques olibrius qui s’attendaient sans doute à un divertissement et ont probablement mal supporté le choc émotionnel créé en direct, sans effets spéciaux, par la création de Castelluci dont je salue l’empathie, le sens profond de l’humanité et la richesse de pensée et de sentiments.

Chacun ses valeurs dira-t-on. Les miennes, ce soir, étaient toute entières tournées vers le drame qui se déroulait sous nos yeux et dont on sait, hélas, à quel point il n’est nullement sorti de l’imagination de ce metteur en scène attentif aux choses de la vie et aux conséquences dramatiques des guerres passées comme tristement actuelles.

Hommage aux morts massacrés et jetés dans les multiples fosses communes qui ponctuent l’Histoire. 

A voir absolument. On n’en sort pas intact.



Photos © Monika Rittershaus 

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