Moise et Pharaon, la fresque épique de Rossini, dans une modernisation réussie (et insolente), et quelques beaux solistes

Moise et Pharaon ou le Passage de la mer rouge



Gioacchino Rossini

 

Représentation du 7 juillet, Théâtre de l'Archevêché, Festival d'Aix 2022


Direction musicale : Michele Mariotti

Mise en scène : Tobias Kratzer

Moïse : Michele Pertusi

Pharaon : Adrian Sâmpetrean

Anaï : Jeanine De Bique

Aménophis : Pene Pati

Sinaïde : Vasilisa Berzhanskaya

Eliézer : Mert Süngü

Marie : Géraldine Chauvet

Osiride, Une voix mystérieuse : Edwin Crossley-Mercer*

Aufide : Alessandro Luciano

Elegyne, princesse syrienne : Laurène Andrieu


Photos © Monika Rittershaus

 

Le récit biblique façon grande fresque historique avait connu une « première version » avec un Mose in Egitto, créé en 1822 au Théâtre-Italien. Mais ce Moise et Pharaon, opéra écrit en français, a une toute autre ampleur puisqu’il comporte en particulier un ballet et passe de trois à quatre actes ouvrant la voie à ce qui sera le « Grand Opéra français » illustré notamment par les œuvres de Meyerbeer.

Et l’ouvrage gagne à être découvert ou redécouvert surtout quand on connait de Rossini essentiellement ses opéras « buffa ». Celui-ci destiné aux chanteurs formés à l’école française donc moins rompus à l’époque aux virtuosités acrobatiques, s’appuie beaucoup plus sur l’art de la déclamation que sur celui du bel canto pour aller vite et il comporte peu d’airs vraimente excitants par leurs vocalises et autres trilles. Par contre, la puissance globale du message est constante et la force spirituelle des personnages impressionnante.

Tobias Kratzer nous propose une mise en scène intelligente et astucieuse à son habitude, prenant le parti de l’actualisation politique de ce choc entre deux mondes, celui des Egyptiens puissants croyant en de multiples dieux et celui des Israélites prisonniers, réduits en escalavage mais tenus par une foi d’airain, celle de la fidélité à un Dieu tout puissant.

Les uns ont la froideur égoiste des dirigeants d’une multinationale dont les membres sont installés dans des bureaux chic à la froideur glacée, occupant la partie jardin de la scène du Théâtre de l’Arcevêché, les autres sont des réfugiés installés dans des tentes et des baraquements, quasiment à leurs pieds, rescapés de l’un de ces naufrages méditerranéen. 

Le décor immuable qui entoure la scène, est une prolongation des murs de pierre avec fenêtres qui enserrent les gradins où nous sommes assis. Il n’y a pas d’ailleurs pour Kratzer de frontière absolue entre scène et sièges des spectateurs, la pyramide de gradins servira aussi de scène lors du dernier acte. Nous sommes partie prenante de l’aventure.

Moise a l’allure et le costume du prophète des Dix Commandements de Cecil B de Mille, allusion presque sans âge mais très pertinente, et très « Tobias Kratzer » d’ailleurs. Il parait hors du temps, comme un personnage biblique de référence éternel qui brandit son bâton pour infliger la punition divine : les ténèbres d’abord, puis les sept plaies et enfin la noyade pour les troupes égyptiennes après le fameux passage de la mer rouge.

Et tout y est chez Kratzer. Actualisé évidemment. C’est la nature mise à mal par l’action des Humains les plus riches et les plus insouciants de sa préservation, qui multiplie les alertes, les plaies de l’Egypte sont alors autant de catastrophes dites « naturelles » très actuelles qui s’abattent sur la terre montrées dans un foisonnements d’images animées d’une rétrospective de Cnews projeté sur un écran, bande verticale fichée dans le mur du fond.



Mais c’est incontestablement, comme dans l’œuvre de Rossini, le final le plus spectaculaire. Tandis que sur un écran descendu devant la scène, les eaux montent et submergent les dirigeants et employés des bureaux de la multinationale, les noyant dans les flots tulmutueux, les réfugiés, eux, nous ont rejoint dans les gradins, tous équipés de gilets de sauvetage orange. Et lors de la prière finale, l’écran se lève à nouveau sur une paisible plage où l’on se fait bronzer serein et sauvé.

Kratzer n’a rien négligé même pas le sacro-saint ballet très joliment exécuté par une petite troupe de danseurs devant des rangées de spectateurs qui applaudissent (et nous aussi). Les affrontements entre les personnages sont très bien dirigés, chacun trouvant sa place sur la scène, le rôle de personnage à part entière du chœur étant également valorisé conformément aux intentions du compositeur.

On sourit souvent aux trouvailles de l’auteur, mais on est également profondément ému par cette immense fresque durant laquelle on ne s’ennuie pas une seconde malgré la longueur et le caractère tardif de la représentation puisque la nuit tombe sur l’archevêché rendant plus intime encore notre participation à l’histoire.

On dira à juste titre que tout ceci a déjà été vu et que ce type de transposition n’est pas en soi une innovation. C’est vrai mais la « patte » de Kratzer a toujours une touche d’originalité et concernant une œuvre assez rarement donnée, il s’acquitte de sa tâche, à savoir la faire découvrir sans que le spectateur ne décroche d’une histoire quand même fort longue.

Chœur et orchestre de l’Opéra de Lyon s’aquittent plutôt bien de l’exécution riche et colorée d’une partition qui comprend sa part de gravité et ses morceaux de bravoure, sous la direction très dynamique de Michele Mariotti mais l’ensemble manque un peu de souffle épique et surtout de continuité musicale, un peu comme des morceaux juxtaposés là où il faudrait ce génie rossinien que possédait par exemple un Alberto Zedda vous prenant par la main dès les premières notes et ne vous lâchant plus jusqu’au bouquet final.

Du plateau vocal qui nous est proposé, l’on retiendra d’abord la très belle performance de Vasilisa Berzhanskaya en Sinaide. Outre un timbre souverain et une très belle aisance dans ces pages musicales, elle joue son personnage de manière très convaincante emportant l’adhésion du public immédiatement et recueillant la plus grande ovation lors des saluts. Le Moise de Michele Pertusi est parfois moins bien chantant, la voix accuse quelques faiblesses intermittentes, l’usure se fait entendre un peu trop souvent, mais son incarnation comporte la puissance et la domination nécessaire au personnage principal de l’œuvre dont la présence sur scène est quasi permanente d’ailleurs. Pene Pati est un Aménophis à l’empathie très évidente et très bien traduite par le ténor, particulièrement à l’aise sur scène dans son personnage. Vocalement on reste un peu sur sa faim, ce n’est pas un « Rossini » à grands airs et la prestation demeure inégale, on le sent -comme Spyres la veille- sur la réserve, n’osant prendre des risques vocaux (il a été récemment souffrant), ses plus beaux moments étant ceux où il chante en duo avec son Anai.

Jeanine de Bique campe une Anai extrêmement émouvante dans sa simplicité et son amour interdit pour l’ennemi, l’occupant, l’oppresseur. Les aigus sont élégants, les vocalises légères et précises, la projection satisfaisante malgré ses limites. Vocalement, j’ai été moins convaincue par la prestation d’Adrian Sâmpetrean en Pharaon, le grain du timbre étant parfois un peu éraillé, et la voix insuffisamment puissante pour incarner le monarque et finalement globalement une prestation qui ne se situe pas au niveau attendue.

Très beau Eliézer du ténor Mert Süngü et parfaite Marie de Géraldine Chauvet. Quant à Edwin Crossley-Mercer (Osiride), je me demande s’il ne ferait pas un meilleur pharaon que Sâmpetrean. Mention spéciale à Laurène Andrieu (la princesse syrienne) qui s’acquitte fort bien de son rôle d’influenceuse sur les réseaux sociaux par sa « présence » sur scène.

Une soirée épique, qui s’est achevée vers une heure de matin, finissant mon séjour à Aix en beauté.

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