Fantastique Turangalîla-Symphonie de Messiaen sous la direction de Salonen, avec l'orchestre de Paris à la Philharmonie

Debussy/Ligeti/Messiaen par l'orchestre de Paris sous la direction d'Esa-Pekka Salonen




14 et 15 septembre, à la Philharmonie de Paris.

 

 

L'orchestre de Paris, cette fois sous la direction d'un des plus prestigieux chefs d'orchestre de la musique du 20ème siècle, Esa-Pekka Salonen, ne cesse de nous surprendre et de nous émerveiller en cette rentrée particulièrement brillante.

Sa maitrise d'un programme particulièrement difficile, avec deux entrées dans son répertoire et la flamboyante et complexe Turangalîlâ, le placent dans la cour des très grands, qui ont la qualité suprême à mes yeux, de nous offrir du rare, de l'inédit, de l'original, de ce qui fait les soirées inoubliables.

La première pièce, le poème lyrique de Claude Debussy, "la demoiselle élue" est une agréable introduction d'un concert dont la première partie est courte et plutôt calme sur le plan musical.  Quand Debussy compose cette oeuvre, il vient de fuir la "prison dorée" qu'est pour lui la Villa Medicis. Réfractaire aux règles alors imposées, il est par contre fasciné par les mouvements littéraires de l'époque et en particulier, on le sait, le mouvement symboliste à la mode de même que les artistes préraphaélites qui prônent le retour à l'esthétisme des peintres italiens d'avant Raphaël. Le poème qu'il met alors en musique, a été écrit en anglais par Dante-Gabriel Rossetti, grande figure littéraire et picturale de ce mouvement, puisqu'il écrit et peint ce "The blessed Damazel". 

La composition est assez évanescente (tout comme le texte d'ailleurs qui parle d'une jeune fille regardant son amant du haut de son paradis), très typique de l'art de Debussy, il faut se laisser entrainer par l'atmosphère qu'il sait créer, sans espérer trouver une structure solide, en plongeant plutôt dans ce qui ressemble très souvent à de l'improvisation. L'orchestre de Paris donne beaucoup de douceur et de sens à l'ensemble, magnifiquement servi par les très belles prestations des flûtistes, hautbois et autre cors, accompagnés par des cordes soyeuses et précises, les choeurs de l'orchestre de Paris et les deux solistes.

La soprano Axelle Fanyo interprète la demoiselle et nous offre une très belle prestation, timbre fruité, diction poétique, grande présence sur scène. Comme pour sa créatrice, on l'imagine très bien en Mélisande et le public a été manifestement séduit par la beauté de son chant. Fleur Barron, la récitante à la belle voix de contralto, nous a également offert une belle prestation en deuxième partie, sa première intervention étant victime de la très forte réverbération qui touche les voix trop fortes (ou mal adaptées), et résonnant malheureusement dans la salle comme dans une cathédrale ce qui est assez inadapté à la musique de Debussy mais tout est rapidement rentré dans l'ordre.

Le deuxième morceau proposé, est également une nouveauté dans le répertoire de l'Orchestre de Paris qui a manifestement énormément travaillé ces derniers mois (le dit-on assez ? De tels ajouts à un répertoire, peu classiques et difficiles d'exécution demande beaucoup de labeur pour nos instrumentistes comme pour les choeurs d'ailleurs).

Il s'agit de l'étrange "Cloks and Cloud pour douze voix de femmes et orchestre" de Gyorgy Ligeti, inspiré, comme le "Ainsi parlait Zarathoustra" de Strauss, par l'oeuvre littéraire d'un philosophe, en l'occurrence l'Autrichien Karl Popper, et son ouvrage "On Cloks and Cloud", réflexions sur les différentes mesures des phénomènes comme le mouvement d'horloge (précis), le mouvement des nuages (aléatoire). Et c'est ce que Ligeti tente d'exprimer dans un entrelacs de mélodies très serré et assez envoûtant quoique difficile d'accès.

Peu d'instruments sous la direction toute douce et presque mélancolique de Salonen, particulièrement doué pour interpréter ce genre d'orchestration assez légère mais qui produit un son intense par instant : saluons les performances des flûtistes, des clarinettistes, des hautbois, des bassons, instruments dominants de la partition, accompagnés par quelques cordes. Les douze fois féminines qui psalmodient des syllabes sont partie prenante de l'orchestre d'ailleurs, et deux voix d'hommes placés à l'arrière, complètent l'orchestration, avec un célesta et des percussions. Gros succès dans la salle pour cet opus original d'un compositeur rarement donné dans nos contrées mais régulièrement fêté dans le monde germanophone. 

Mais, tout le monde l'aura compris, le morceau de choix, c'est l'étrange Turangalîlâ-symphonie d'Olivier Messiaen, pour piano solo, ondes Martenot et grand orchestre.

Il s'agit cette fois d'une euvre démesurée par le nombre des instrumentistes (plus d'une centaine), par la présence d'un grand pianiste (Bertrand Chamayou littéralement « possédé » lors de ses interventions concentrées, nerveuses et efficaces), et de ces fameuses ondes Martenot (Nathalie Forget, ondiste), magnifiquement servies, je dois dire, par l'acoustique exceptionnelle de la Philharmonie de Paris qui ne leur donne jamais ce côté artificiel parfois perçu en enregistrement. Mais l'oeuvre est également hors-norme du fait de la longueur de son exécution qui nécessite une véritable endurance de la part des instrumentistes (et du chef !) au regard de la richesse de la partition ! Il n'y a guère de temps mort et si Esa-Pekka Salonen, très expressif dans sa direction musicale, marque de très brefs temps de repos entre chacun des dix mouvements de la symphonie, l'ensemble est mené tambour battant (et il ne manque pas d'effets "percussions", avec cloches, grosse caisse, timbales, et j'en oublie), semblant à chaque instant pousser tous les musiciens dans leurs extrémités dans un ensemble très sonore et harmonieux tout en même temps.

Il faut du génie et beaucoup de qualités musicales et instrumentales pour interpréter ce véritable monument de la musique contemporaine, et ce soir, nous avions l'exceptionnel réuni sous la baguette d'un chef qui sait transmettre sa passion et donner l'élan nécessaire à ces véritables explosions musicales des cordes par exemple, renforcées par les effets électroniques des Ondes, dialoguant avec les moments solos du pianiste, avant de reprendre à l'unisson, cette joie que Messiaen traduit si bien dans les trois parties elles-mêmes intitulées « Turangalîlâ » (qui signifie selon Messiaen « chanson d'amour, hymne de joie, mouvement, rythme, vie et mort »), dans les « chants d’amour » ou le « final » qui laisse les spectateur pantois avant une interminable ovation fort méritée malgré l'heure tardive...

On regrettera que la "décoration" ait cru bon de rajouter sur la scène de la Philharmonie qui n'a besoin de rien pour être belle, ces néons de couleur, verticaux, évoquant on ne sait quoi (?) qui font mal aux yeux, et on saluera par contre la richesse du programme distribué gratuitement, l'une des quelques mesures que prend toujours cette salle, et qu'il est facile de suivre.

Cette immense œuvre est entrée au répertoire de l’Orchestre de Paris en 1975 sous la direction de Seiji Ozawa et a, depuis, été régulièrement donnée (à Aix cet été notamment avant cette rentrée).

La Philharmonie affichait presque complet pour ce concert (une deuxième séance a lieu le 15) et prouve que l'originalité d'un programme, pour peu qu'il soit servi par de grands artistes, ne rebute absolument pas un public, plus jeune que la moyenne des autres salles de Paris, et qui recherche justement la nouveauté.

 

Claude Debussy

La Damoiselle élue

 

György Ligeti

Clocks and Clouds

 

Olivier Messiaen

Turangalîla-Symphonie (en dix mouvements) :

Introduction (modéré, un peu vif)

Chant d'amour I (modéré, lourd)

Turangalîla I (presque lent, rêveur)

Chant d'amour II (bien modéré)

Joie du sang des étoiles (vif, passionné, avec joie)

Jardin du sommeil d'amour (très modéré, très tendre)

Turangalîla II (un peu vif - bien modéré)

Développement de l'amour (bien modéré)

Turangalîla III (bien modéré)

Final (modéré, presque vif, avec une grande joie)

 

Axelle Fanyo, soprano

Fleur Barron, mezzo-soprano

Bertrand Chamayou, piano

Nathalie Forget, ondes Martenot

Accentus

Richard Wilberforce, chef de choeur

Choeur de l'Orchestre de Paris

Ingrid Roose, cheffe de choeur

Choeur de jeunes de l'Orchestre de Paris

Rémi Aguirre Zubiri, chef de choeur associé

Edwin Baudo, chef de choeur associé

Béatrice Warcollier, cheffe de choeur associée


Hélène Adam

pour le site ODB

https://www.odb-opera.com/viewtopic.php?f=6&t=24532#p426690

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