L'émouvant album d'airs d'opéra de Jonathan Tetelman, bouleversante et magistrale interprétation

Jonathan Tetelman- Arias 

Très agréable écoute que celle de ce premier enregistrement d’un jeune ténor américain très prometteur dans le répertoire lyrico spinto, essentiellement italien, dont la musicalité est admirable.

On rappellera d’abord que Jonathan Tetelman est né en 1988 à Castro, au Chili. Adopté à l'âge de sept mois, il est élevé par ses parents américains à Princeton, New Jersey. IL s'est récemment fait remarquer dans quelques rôles phares tels que Paolo Le Bello dans Francesca da Rimini à Berlin, Rodolfo dans la Bohème à Rome, Stiffelio dans l’opéra éponyme (et rare) à l’Opéra du Rhin. Il appartient à la jeune génération de ténors à suivre.

Il nous propose là un album somptueux, sorte de carte de visite de l’artiste, qui a enregistré avec l’orchestre de la Grande Canarie sous la direction de Marc Chichon, seize titres d’airs d’opéra célèbres et audacieux, n’hésitant pas dès sa première « apparition » à aborder quelques fameux morceaux du répertoire vériste qu’il sert fort bien.

Jonathan Tetelman pour ses débuts au disque, se concentre sur les langues françaises et italienne, puisqu’il propose l’émouvant et romantique « Martha » de Flotow dans la langue où Caruso l’avait immortalisé un siècle auparavant, même si, personnellement, j’apprécie davantage sa version originale en allemand. Tetelman y montre une énorme sensibilité lyrique qu’on retrouvera tout au long de ce CD, y compris dans les airs les plus véristes. Mais la douceur de son phrasé, la beauté de son timbre, son sens des nuances et sa grande musicalité, ne l’empêchent pas de donner de la voix en quelque sorte quand il exprime la passion, la colère, et enfle le volume avec une maitrise stupéfiante, soulevant des tonnes d’émotion. Il fait partie d’entrée de jeu, des artistes lyriques capables d’exprimer les sentiments du personnage qu’ils incarnent le temps d’une aria, au travers des couleurs de leur voix. Et cela nous change agréablement de ceux dont l’objectif premier et de concourir au nombre de décibels émis.

Cela dénote surtout d’ailleurs une grande technique vocale, car seuls les très grands chanteurs sont capables de respecter l’ensemble des nuances d’une partition qui correspondent à autant d’indications d’expressivité vocale écrites par le compositeur. Et de ce point de vue, bien que ce ne soit pas dans l’ordre enregistré, je commencerai par saluer ses « Verdi ». Par leur choix d’abord : l’admirable « la vita e inferno » suivi de « O tu che in seno agli angeli » sonne si bien qu’on voit immédiatement la douleur infinie de l’Alvaro de la Forza del destino, ce destin fatal et maudit qui l’amène au désespoir, « Leonora mia… » vous arrache des larmes et depuis Jonas Kaufmann, je n’avais pas entendu une aussi belle et complète interprétation d’un air de référence absolue pour qui veut aborder les rôles spinto du maestro italien. Nuances, rythme, ralentissements, accélération, crescendo, diminuendo, tout montre l’intelligence musicale de l’artiste. 

Après le très beau « non maledirmi, prode » des Due Foscari, dynamique et enlevé, parfaitement contrasté, presque enfiévré, le ténor nous offre en final de son CD, deux autres airs très emblématiques de Verdi, extraits du Trovatore, "si bien mio et di Quella pira", tous deux parfaitement exécutés, trilles d’ornementation comprises, contraste d'humeur du Trouvère entre les deux airs particulièrement soigné. On peut affirmer sans hésiter que le ténor pourra très prochainement aborder ces rôles au complet. Il en a les capacités, la technique, le souffle, le legato verdien, et son interprétation surpasse déjà la plupart des ténors actuels. Quelle expressivité dans le drame qu’il incarne…

Et, tout naturellement, le répertoire vériste et post wagnérien l’attend et accueille l’un de ses futurs interprètes de choix, n’en doutons pas. Il s’était déjà illustré dans l’ensemble de l’œuvre de Zandonai, Francesca da Rimini, donnée à l’Opéra de Berlin et qui a fait l’objet d’un DVD. Les deux airs qu’il propose là montrent à quel point il « vit » son personnage de Paolo le Bello, passionné et éperdu d’amour. Interprétation rare et inédite pour moi dans ce rôle.

Mais il poursuit sa quête en proposant des extraits de Cavalleria rusticana, Adriana Lecouvreur, Andrea Chénier, Fedora, la Gioconda, tous parfaitement maitrisés et très prometteurs, son « Come un bel di di maggio » annonce même un Andrea Chénier tout rempli de ses passions qu’on espère entendre un de ces jours sur scène en intégralité, tant on devine que le rôle lui ira comme un gant. Son Turiddu est terriblement émouvant également et dénote à son tour cette grande maitrise qu’il a des « mouvements » d’un air pour le faire vivre en variant à l’infini les couleurs de sa voix et le rythme de son chant. Très impressionnant. Ajoutons aux compliments, la "grande classe" de son chant dans le répertoire vériste où certains interprètes abusent de sanglots insupportables dans la voix, il n'use d'aucun de ces subterfuges, son instrument seul exprime sa peine et sa douleur. Et c'est tout simplement magnifique.

Les aigus, qu’ils soient en mode « forte » ou « pianissimo » voire « morendo », sont également divins et son timbre est riche en harmoniques sur l’ensemble de la tessiture.

Il choisit également deux airs célèbres de l’opéra français et son léger accent américain ne l’emêche pas de nous proposer une très belle prononciation de l’air de la Fleur de Carmen comme du « Pourquoi me réveiller, O souffle du printemps » de Werther. Deux magnifiques cartes de visite là encore. Avec un « O souffle du printemps » presque murmuré…puis rempris avec une intensité bouleversante. On sait que cet air annonce dans l’œuvre, le vertige du suicide du poète qui le hante littéralement. Et Tetelman ne manque pas de souffle pour exprimer sa douleur…

Découvrir au travers d’un très bel album, un véritable interprète qui semble avoir déjà « tout pour lui », est un vrai plaisir que j’espère vous serez nombreux à partager !

 

 

Ponchielli, Amilcare

1. Cielo e mar [La Gioconda, Act II]

 

Giordano, Umberto

2. Amor ti vieta [Fedora, Act II]

 

Verdi, Giuseppe

3. Non maledirmi, o prode [I due Foscari, Act II]

 

Flotow, Friedrich von

4. M'apparì tutt'amor [Martha, Act III]

 

Bizet, Georges

5. La fleur que tu m'avais jetée [Carmen, Act II]

 

Cilea, Francesco

6. La dolcissima effigie [Adriana Lecouvreur, Act I]

 

Verdi, Giuseppe

7. La vita è inferno [La Forza del Destino, Act III]

 

8. O tu che in segno aagli angeli [La Forza del Destino, Act III]

 

Giordano, Umberto

9. Come un bel dì di Maggio [Andrea Chénier, Act IV]

 

Zandonai, Riccardo

10. Paolo datemi pace [Francesca da Rimini, Act III]

 

11. Perché volete voi ch’io rinnovi [Francesca da Rimini, Act III]

 

Massenet, Jules

12. Toute mon âme est là - Pourquoi me réveiller [Werther, Act III]

 

Mascagni, Pietro

13. Mamma, quel vino è generoso (Addio alla madre) [Cavalleria rusticana, Scene 11]

 

Puccini, Giacomo

14. Addio fiorito asil [Madama Butterfly, Act III]

 

Verdi, Giuseppe

15. Ah! sì, ben mio, coll'essere [Il Trovatore, Act III]

 

16. Di quella pira [Il Trovatore, Act III]

 

Deustche grammophon

Duos de Zandonai (Francesca da Rimini) et de Verdi (Il Trovatore) avec la soprano Vida Mikneviciuté et de Mascagni (Cavaleria rusticana) avec Magdalena Lukawska.

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