Rentrée électrisante de l'Orchestre de Paris sous la direction de Klaus Mäkelä à la Philharmonie de Paris

Quel programme ! Quelle maitrise ! Quelle soirée !

Concerts symphoniques à la Philharmonie de Paris, les 8 et 9 septembre  

Saariaho, R. Strauss, López, Dusapin, Scriabine

Orchestre de Paris sous la direction de Klaus Mäkelä

 

La chance sourit aux audacieux dit-on, et c'est exactement la pensée qui s'impose après cette deuxième soirée de "rentrée" à la Philharmonie de Paris.

Le jeune Klaus Mäkelä, 26 ans seulement, est directeur de l'Orchestre de Paris depuis deux ans. Il nous avait déjà éblouis lors de la précédente saison et nous laisse dans un état proche de la sidération extatique pour cette rentrée. Et l'on est tenté d'ajouter que, le concernant, la valeur n'attend pas le nombre des années puisqu'il a déjà enregistré chez Decca une intégrale des symphonies de Sibelius.

L'éclectisme de ce fin musicien qui électrise son orchestre et la salle, est d'ailleurs l'une de ses qualités premières et la foisonnante et complexe musique orchestrale du 20ème siècle comme celle du 21ème siècle, même inédite, ne le rebute pas, bien au contraire. Il fait partager l'enthousiasme de ses découvertes à un public jeune et connaisseur qui vibre à chacune de ses notes avec une ferveur que l'on ne rencontre guère à Paris qu'à la Philharmonie, tout comme d'ailleurs, ces discussions d'experts en musicologie, souvent musiciens eux-même, que l'on surprend dans les coursives durant l'entracte. On est en famille en quelque sorte et l'orchestre de Paris a ses fans, ses fidèles, ceux qui suivent attentivement les progressions de la formation sous la baguette très inspirée de son jeune chef.

Pour cette deuxième saison à la tête de l'orchestre résident de la Philharmonie de Paris, Klaus Mäkelä propose dès la rentrée deux créations musicales, l'une de son ami Jimmy López Bellido formé à Helsinki et qui s'inspire de la légende finlandaise d'Aino, l'autre du célèbre compositeur Pascal Dusapin, A Linea, sorte de spirale musicale étourdissante où les instruments jouent en permanence à l'unisson comme une seule ligne où les instruments les plus graves prennent le relais des plus aigus, tandis que la ligne se divise en plusieurs lignes. Ces deux créations donnent une part belle à la mélodie.

La présence des deux compositeurs dans la salle, venant saluer à l'issue de la brillante exécutions de leurs oeuvres inédites, rajoute au caractère tout à la fois solennel et presque intime finalement de ce concert, comme les retrouvailles d'une grande famille heureuse de découvrir les nouveaux talents de la saison.

Le concert commence par un émouvant hommage à Lars Vogt, pianiste et chef d'orchestre, directeur musical de l'Orchestre de Chambre de Paris, décédé lundi dernier dans la fleur de l'âge, foudroyé par un cancer, à qui ces deux soirées sont dédiées.

Et c'est sous le signe de la théorie pythagoricienne de l'"Harmonie des sphères" que l'aérien chef dirige son orchestre au grand complet, orgue compris pour le premier opus, l'Asteroid 4179 de Kaija Saariaho, nommé "Toutatis". C'est l'astéroïde qui passe le plus près de la Terre, qui inspire ce morceau court et très percutant, créé en 2005 sur une commande la Philharmonie de Berlin. L'"Harmonie des sphères", cette idée fascinante qui prétend que l'univers est régi par des rapports numériques harmonieux, et que les distances entre les planètes correspondent à des intervalles musicaux, avait déjà conduit Gustav Holst à la composition de ses impressionnantes "Planètes". C'est en reprenant la représentation de la pièce de Holst que Simon Rattle alors directeur musicale de la Philharmonie de Berlin, eut l'idée de proposer à quatre compositeurs contemporains d'illustrer par un court morceau, cette oeuvre monumentale dont la Finlandaise Kaija Saariaho

Etrange atmosphère que crée d'ailleurs cette pièce aux longs aigus sur le fil de l'archet effleurant la corde du violon, auxquels répondent les sonorités murmurées des bois et des cuivres, le tout soutenu par un motif rythmique d'abord souterrain puis qui enfle par vagues successives comme autant de corps célestes se percutant dans un univers qui étouffe partiellement les sons. C'est très évocateur et tout à fait saisissant surtout aussi précisément dirigé par un chef qui ondule avec son orchestre, et dont les musiciens semblent littéralement accrochés à ses gestes précis et à son regard tout à la fois bienveillant et persuasif.

Et c'est sans la moindre pause que l'orchestre enchaine avec les premières et célèbres notes du poème symphonique de Richard Strauss, composé en hommage à Nietzsche, "Ainsi parlait Zarathoustra" que le film "2001, l'odyssée de l'Espace" de Stanley Kubrick a rendu célèbre bien au delà des sphères habituelles de la musique classique. Mais cette oeuvre magistrale et fascinant ne se résume pas à cette célèbre introduction très rythmée et très sonore. Elle est composée de huit sections qui se suivent sans interruption, évoquant des thèmes du célèbre ouvrage philosophique de Nietzsche, tantôt très mélodiques et lyriques comme "Von der Interweltern" dont le leitmotiv est obsessionnel, tantôt très agités et sonores comme "Von den Freuden und Leidenschaften" et très évocateurs comme l'étrange "Das Grablied" ou le très dansant "Das Tanzlied ". Et c'est pain béni pour Klaus Mäkelä qui sait admirablement donner vie à une histoire racontée par un orchestre symphonique, détaillant chacune des étapes, valorisant chaque groupe d'instruments qui se répondent parfaitement, nous donnant une "pâte" musicale d'une très grande richesse, exploitant chacun des contrastes de la partition et surtout chacune des nuances.  

Et ce très riche concert, presque luxueux dans son programme, nous propose encore un autre poème symphonique avant l'entracte, la création du jeune compositeur péruvien, Jimmy López Bellido, qui dédie son oeuvre à son ami Klaus Mäkelä. La légende d'Aino raconte l'histoire d'une jeune fille, promise à un vieillard, préfère se suicider en se noyant pour devenir un esprit de l'eau. Et le jeune compositeur "adopté" en quelque sorte par la Finlande et ses légendes, conquis par leur fraicheur et leur mystère, "raconte" littéralement la tragédie romantique, les sanglots de la jeune fille trahie, son désespoir, son rocher s'enfonçant dans la mer, le récit raconté, les arbres nés des torrents de larmes versées, le chant des trois coucous, sont autant d'inspirations que le jeune compositeur traduit en sons harmonieux et mélodieux pour une composition qui garde fraicheur et envoutement intacts et que là encore, l'Orchestre de Paris interprète avec talent et délicatesse.

La part belle est faite aux harmoniques des violons, parfaitement exécutées, et qui renforcent le caractère mystérieux, presque ésotérique de la légende. C'est une pièce superbe, un véritable coup de coeur pour le public enthousiaste d'ailleurs à l'issue de son exécution et ovationnant autant l'orchestre, son chef que le compositeur à suivre absolument !

Pascal Dusapin n'est plus à présenter, sa haute silhouette est tout aussi connue des amateurs de musique contemporaine que la richesse de ses partitions tant orchestrales que lyriques d'ailleurs. Il conserve un certain "classicisme", revendiquant d'ailleurs un retour à la mélodie qu'il illustre plutôt façon première moitié du 20ème siècle que deuxième moitié. Et son "A linéa" emporte l'adhésion à son tour sans difficulté pour un public qui apprécie encore une fois l'interprétation très convaincante et très valorisante d'un Orchestre à son mieux, parfaitement bien dirigé par ce jeune génie de la "mise en musique" de cette partition encore inédite.

Et finir cette soirée de découvertes et de haute tenue par le magnifique Poème de l'Extase d’Alexandre Scriabine, apparaissait comme une véritable apothéose de la beauté musicale des post-romantiques du début du 20ème siècle alliant richesse thématique et harmonique dans un subtil mélange évoquant l'univers planant de son titre.

Depuis longtemps décoiffé mais toujours serein et maitrisant son art, le chef semble vraiment à son affaire dans ce registre dont il sait exploiter chaque détail de l'orchestration, soutenant tour à tour, les trilles des flûtes, les solos des cuivres, le romantisme des cordes ou le rythme insufflé par les percussionnistes qui jouent des multiples instruments dont Scriabine a littéralement ornementé sa partition. 

Il semble "habité" à plusieurs reprises comme le sont les très grands chefs et maintes fois, je dois le dire, il m'a fait penser alternativement à Claudio Abbado et à Kiril Petrenko. Pas d'esbroufe, mais de la passion, la vraie, celle qui communique avec l'orchestre comme avec le public.

Magnifique accueil final, ovation interminable et méritée.

 

Hélène Adam

Pour ODB

https://www.odb-opera.com/viewtopic.php?f=33&p=426539#p426539



On peut voir ce concert sur le site de la Philharmonie "live"

https://philharmoniedeparis.fr/fr/live/concert/1143668-orchestre-de-paris-klaus-makela

 

Programme

Kaija Saariaho

Asteroid 4179 : Toutatis

 

Richard Strauss

Ainsi parlait Zarathustra

 

Jimmy López Bellido

Aino (Création *)

 

Pascal Dusapin

A Linea (Création **)

 

Alexandre Scriabine

Poème de l'extase 

 

* Aino de Jimmy López Bellido est une commande de l'Orchestre de Paris / Philharmonie de Paris, du Royal Concertgebouworkest, et du Chicago Symphony Orchestra (avec le généreux soutien du Helen Zell Commissioning Programme).

 

** A Linea de Pascal Dusapin est une commande de l'Orchestre de Paris / Philharmonie de Paris. 

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