Rouen : un Rigoletto très dynamique, une équipe artistique formidable menée par un Pene Pati éblouissant !

Rigoletto


Giuseppe Verdi

Livret de Francesco Maria Piave

Sources littéraires : Le roi s'amuse de Victor Hugo

Création le 11 mars 1851 au Teatro La Fenice, Venise 

 

Représentation du 24 septembre au Théâtre des arts à Rouen.

 

Direction musicale : Ben Glassberg

Mise en scène Richard Brunel


Rigoletto Sergio Vitale

Gilda Rosa Feola

Le Duc de Mantoue Pene Pati

La Mère de Gilda Agnès Letestu

Sparafucile Paul Gay

Maddalena Katarina Bradic

Le Comte Monterone Jean-Fernand Setti

Giovanna Aurélia Legay

Marullo Richard Rittelmann

Matteo Borsa Julien Henric

Le Comte Ceprano Nicolas Legoux

La Comtesse Ceprano Juliette Raffin-Gay

Page de la Duchesse Héloïse Poulet

Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie

Chœur accentus / Opéra de Rouen Normandie


Photos Jean-Louis Fernandez

 

Deuxième séance de ce Rigoletto mis en scène par Brunel à l'Opéra de Rouen, celle-ci était retransmise sur FR3/France TV et sur grand écran à l'abbatiale de Rouen (faute de pouvoir assurer la projection sur le parvis de la cathédrale comme prévu initialement), et dans d'autres villes normandes. Cette opération "opéra pour tous" est la même que celle qui se pratique depuis quelques années maintenant à Rennes. Dès que l'on sort de la gare des panneaux amovibles présentent "l'événement" avec photos en gros plan des artistes, "Pene Pati, le nouveau Pavarotti", "Rosa Feola, la meilleure Gilda actuelle" etc (courtes citations de la presse ou des webzines).

Selon la tradition (semble-t-il ?), une présentation de l'oeuvre et de la mise en scène était faite devant le foyer du théâtre, et le dépliant distribué donnait beaucoup d'éléments détaillés de "l"intrigue". J'en profite pour dire que, placée plein face mais au deuxième balcon, j'ai trouvé l'acoustique très avantageuse pour les voix ce qui n'était pas forcément le cas partout dans la salle.

L'une des raisons de l'agitation médiatique autour de ce Rigoletto, on l'a compris, n'était certainement pas la mise en scène, mais la distribution exceptionnelle pour une ville de région, surpassant largement ce que proposent aujourd'hui les plus grandes salles parisiennes en cette rentrée.

Ceci expliquait cela et la présence massive d'habitués de l'opéra venus voir notamment le fameux Pene Pati. Ce qui n'empêchait pas une importante présence de Rouennais, venus parfois en famille d'ailleurs avec des enfants assez jeunes et manifestement captivés.

Mais commençons par la mise en scène, qui transpose l'action dans le milieu de la danse. 

Les transpositions "spatiales" (celle ci est aussi temporelle mais ce n'est pas l'essentiel), sont toujours assez casse-gueule, surtout quand les dialogues du livret sont aussi explicites que ceux de ce Rigoletto dont l'intrigue est inspirée par Victor Hugo. Pour autant, si le concept n’est pas idéal et ne fonctionne pas très bien, paradoxalement ce choix artistique ne m'a pas gênée et a permis au contraire à quelques scènes de foules dont Rigoletto regorge, d'être réglées comme les ballets qu'elles sont, de manière particulièrement impressionnante visuellement. 

Rigoletto est un opéra musicalement très rythmé, d'une très grande richesse mélodique, avec des arias, des duos, des ensembles particulièrement réussis (et célèbres d'ailleurs), qui s'inscrivent parfaitement dans le déroulé de l'intrigue. C'est une oeuvre sans "diversion" (comme le sont les choeurs dans la Traviata par exemple) et la mise en scène exploite son filon dansant en rajoutant finalement une dimension dansante à l'ensemble, et en créant un personnage dont il est question au début de l'opéra, la mère de Gilda, incarnée par une véritable danseuse, sorte de miracle de beauté au milieu d'une intrigue très trash. Excellente Agnès Letestu, aérienne. 

J’ai lu quelques critiques concernant les costumes mais depuis le deuxième balcon, en salle, tout ceci est très secondaire, d’autant que les chanteurs sont le plus souvent habillés d’un costume noir, avec en contrepoint la pureté de la roble blanche de la danseuse.

Le décor est composé d'un plateau nu avec dispositifs de danse (barres, vestiaires de costumes, loges de côté). La "maison" (parfois la loge) de Rigoletto passe de la droite du plateau à sa gauche, s'agrandit ou se rétrécit selon le déroulé de l'action, offrant un cadre très adéquat aux scènes intimistes.

Dans ce cadre, le Duc est un maitre de ballet, qui semble facilement passer d'un sentiment amoureux passionné à un autre, en gardant toujours une certaine légèreté voire une insouciance, animé surtout du désir de s’amuser. Gilda est beaucoup moins fleur bleue qu'à l'accoutumé et Rigoletto souffre d'une infirmité de la jambe qui le fait boiter en permanence. Et tout le monde autour d'eux danse, dans une esthétique globalement très entrainante et très réussie. Même le Duc se risque à lever les bras au dessus de sa tête pour entrainer son groupe de danseurs en chantant le difficile « Parmi veder le lagrime », tout comme Gilda qui fait les pointes.

Et effectivement le public a "marché" à cette présentation très ludique d'une sorte de vaste chorégraphie moderne. 

Ce, d'autant plus, que vocalement on atteignait un très haut niveau global.

Soulignons d'abord les qualités de l'orchestre et des choeurs dirigés par Ben Glassberg et qui brillent littéralement durant toute la représentation menée plutot à tambours battants ce qui convient bien à Verdi quand les chanteurs suivent (ce qui était le cas...). Bien dirigé, Rigoletto comporte de véritables morceaux de bravoures, très rythmés, presque acrobatiques et du plus bel effet musical, que tout habitué attend au tournant tandis que les novices découvrent leur intensité et leurs effets : je pense notamment au fameux « Cortiginani » et au « si vendetta », qui concluent la première partie. 

Mais dès les premières mesures chantées, avec le "Questa o quella" on sait que Pene Pati est en forme olympienne et qu'il va nous offrir une très belle prestation, de sa voix riches en couleurs et en nuances et littéralement ensoleillée (terme souvent galvaudé mais qui le caractérise parfaitement), qui accompagnent un petit air ingénu (c'est un Duc facétieux et inconscient), un sourire communicatif et une intelligence musicale impressionnante. Et quand bien même il ne ferait que ses montées vers les aigus où sa voix s'épanouit, s'élargit et termine par des aigus souverains sans effort apparent, longuemen tenus, cela suffirait à songer à Pavarotti, comparaison qui n'est pas usurpée du tout. Seul son médium est parfois un peu moins sonore juste avant que le ténor ne reprenne ses ascensions vers les sommets qui ont soulevé l'enthousiasme lors des saluts finals (et évidemment lors de son air le plus connu "la donna e mobile").

Sergio Vitale est également un Rigoletto tout à fait remarquable en tous points même si j'ai noté quelques menus soucis en tout début de prestation, il a rapidement repris ses très beaux moyens pour nous offrir globalement un Rigoletto impressionnant de rage et de détermination, dans le style vindicatif et revanchard plus que pleurnichard, incarnation très convaincante globalement et qui sonnait très bien. Un baryton verdien efficace dont il faut retenir le nom !

La Gilda de Rosa Feola a montré beaucoup de caractère également, la forte personnalité des protagonistes très bien dirigés scéniquement et vocalement, a très largement contribué au succès de cette représentation. Elle a aussi globalement rempli les attentes : très beau timbre, voix corsée et large, beaucoup de couleurs et de nuances qui montrent une belle sensibilité musicale alliée à une technique solide, duo avec Rigoletto très impressionnant en fin d'acte 2, très grande aisance sur scène, alliant grâce et détermination. Tout juste pourra-t-on noter une esquive du suraigu de « Caro Nome » qui laisse à penser que sa voix évolue désormais vers d'autres répertoires. Les deux chanteurs (mari et femme à la ville) nous ont offert par ailleurs un très beau jeu d'acteurs, très convainquant, avec une réelle complicité.

D'une manière générale, l'équipe de solistes sur scène, était soudée dans ce projet commun et l'ensemble des rôles dits secondaires, montrait une qualité globale exceptionnelle rarement atteinte ailleurs.

Jean-Fernant Setti en Monterone, belle voix et magnifique expressivité, a d'ailleurs été immédiatement remarqué dès sa première intervention en début d'opéra, plaçant la barre assez haut sur le plan de la qualité vocale d'ensemble. Notons également les excellents Sparafucile de Paul Gay et remarquable Magdalena de Katerina Bradic qui complétaient très bien le quatuor. Et jusqu'aux rôles plus courts encore comme la Giovanna d'Aurélia Legay ou le Marullo de Richard Rittelmann et le Matteo Borsa de Julien Henric tous très bien tenus.

C'était une affiche très attendue pour ce début de saison, elle a tenu ses promesses et on ne peut que féliciter le Théâtre des Arts de Rouen d'avoir réussi une aussi belle rentrée !


 

 

Saluts



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