Angela Meade, Lucrezia Borgia impressionnante dans la mise en scène de Loy à Munich aux côtés de Pavol Breslik et Erwin Schrott

Lucrezia Borgia


Gaetano Donizetti

Libretto de Felice Romani d'après Victor Hugo. 

 

Opéra de Munich, reprise pour trois séances de la production de Loy (2009)

Séance du 15 octobre.

 

Direction musicale : Antonino Fogliani

Mise en scène : Christof Loy

 

Don Alfonso : Erwin Schrott

Donna Lucrezia Borgia : Angela Meade

Gennaro : Pavol Breslik

Maffio Orsini : Teresa Iervolino

Jeppo Liverotto : Granit Musliu

Don Apostolo Gazella : Christian Rieger

Ascanio Petrucci : Andrew Hamilton

Oloferno Vitellozzo : Joel Williams 

Gubetta : Alexander Köpeczi 

Rustighello : Liam Bonthrone 

Astolfo : Bálint Szabó

Bayerisches Staatsorchester

Bayerischer Staatsopernchor

© W.Hösl - 2022

 

C’est en 2009, quelques années après le prodigieux succès de Roberto Devereux du même Donizetti, que le metteur en scène Christof Loy créée cette scénographie très dépouillée de Lucrezia Borgia, à l’Opéra de Munich, avec Edita Gruberova dans le rôle-titre. Soprano reine de l'Opéra de Munich, où elle a réalisé une bonne partie de sa carrière, elle avait déjà séduit le public, précédemment dans ce rôle d’Elisabetta, reine d'Angleterre, même si elle n’avait pas forcément les aigus « forte » nécessaires à ces rôles de coloratura dramatique. Sa présence sur scène et l’aisance de ses vocalises, en faisait une Lucrezia très appréciée, véritable star dans ce rôle depuis une décennie.

Après sa disparition tragique et récente, Munich a attendu avant de reprendre ce Lucrezia Borgia attaché à sa légende pour finalement nous proposer en cette rentrée, trois représentations, cette fois avec l’une des coloratura dramatique les plus en vue actuellement, Angela Meade.

La mise en scène de Cristof Loy garde sa simplicité qui en avait dérouté plus d’un lors de sa création et n’a généralement été que peu appréciée des critiques au cours de multiples reprises. Personnellement, je l’ai trouvée toujours fort adéquate au drame assez trivial qui se joue en deux actes et un prologue de Venise à Ferrare autour du poison des Borgia et du formidable personnage de Lucrezia en mal d’amour maternel alors que ses démons vengeurs guident toujours tous ses gestes et actes criminels.

Construit pour Gruberova (que le dramaturge appréciait énormément), le fil conducteur s’adapte parfaitement à l’impressionnante Lucrezia d’Angela Meade. Avec ses trois déguisements, un pour chaque partie, Lucrezia n’est jamais elle-même (d’ailleurs qui est elle exactement ?) sauf à l’instant suprême où son fils Gennaro refuse d’être sauvé par elle, rejetant par la même occasion cette filiation qu’il a en horreur, conduisant sa mère à se tuer elle-même après avoir oté sa dernière perruque.

L’ensemble du plateau est juché sur une estrade en bois en légère pente, barré par un mur noir dans lequel s’ouvre une porte par laquelle arrive ou part Lucrezia. Le temps de l’ouverture de la porte, une lumière aveuglante nous saisit. Sur le mur s’affichent comme une publicité éclairée, les lettres formant Lucrezia Borgia. Le mur glisse vers la cour au fur et à mesure du spectacle, faisant disparaitre les lettres de Lucrezia. Quand Gennaro pour venger les pères de ses amis, commet l’acte qui conduira au drame, arrachant la lettre «B » pour ne laisser que cet « Orgia » qu’ils vont tous entonner, il ne reste plus que ces 5 lettres infâmantes qui disparaitront lentement à leur tour pour laisser le fond de la scène vide, noir, comme l’enfer qui va tous les engloutir.

Pour le reste, la scène est peu occupée, de quelques chaises parfois comme pour un spectacle, d’une table pour la distribution des verres de vin, solennisant ces moments du poison des Borgia, et de quelques détails qui permettent très simplement aux chanteurs de « jouer » parfaitement bien leurs rôles : Don Alfonso qui ne s’intéresse qu’à sa personne, fier, puissant et fanfaron, qui n’écoute que distraitement les récriminations et exigences de Lucrezia quand elle lui demande la tête de celui qui a commis l’outrage de retirer le « B » du fronton du palais, les amis de Gennaro, bande de garçons dont la jeunesse est représentée par leurs pantalons au genous, leurs fiers mollets ainsi valorisés avec une allure de collégiens dont les actes oscillent entre des jeux de main et bousculades de jeunes gens, et des allures de complotistes bien décidés à venger leurs pères. 

Et, marque de fabrique de Loy, les personnages masculins portent (presque toujours) des costumes sombres, gris ou noirs, des chemises très blanches, tachées discrètement de sang très rouge. 

Lucrezia la toute-puissante arbore au départ du drame une superbe robe rouge chamarrée sur la quelle elle a jetée une étole en fourrure. Mais c’est à son tour en costume d’homme sombre avec perruque peroxydée façon diva de cabaret, qu’elle arrive ensuite pour finir en longue robe noire de deuil, perruque aux cheveux longs et défaits qu’elle arrache lors de l’acte final.

Loy avait créé cette production pour Edita Gruberova qui restera la principale titulaire du rôle jusqu’en 2018 sur la scène de Munich.

Ce n’était donc pas facile, in loco, pour Angela Meade de prendre son habit et sa succession. Hier soir elle a séduit et totalement conquis un public globalement enthousiaste pour l’ensemble des performances vocales et scéniques de toutes et tous.

Mais bien sûr dans Lucrezia Borgia, œuvre d’une grande richesse musicale sur un fil dramatique assez ténu, l’héroine c’est Lucrèce.

Angela Meade est une Lucrèce combattante : vocalement, ses qualités technique de coloratura dramatique, sa voix large et puissante tout en restant agile, ses aigus qui dominent avec aisance l’orchestre et les chœurs, son médium et le bas de son registre très corsés et sa formidable présence, séduisent dès son arrivée sur scène. Elle a le port royal de la grande dame puissante et cruelle, les fêlures et le charme de celle qui aime son fils malgré toute la cruauté dont elle fait preuve, elle domine, tempête, ordonne avant de s’écrouler terrassée par le destin. Certes, ce n’est pas la grande Montserrat Caballé dans toutes ses nuances et la virtuosité étourdissante de ses vocalises et ornementations, mais c’est une interprétation très travaillée et percutante. Et malgré le chant énergique de Meade, souvent plus dramatique de coloratura, on ressent sa tendresse envers ce jeune trublion de Gennaro qui fomente la révolte de ses pairs après avoir joué à la marelle et s’être écorché le genou (Comm’e bello et Era desso il figlio mio).

Ce, d’autant plus, que Gennaro est incarné par Pavol Breslik. Le ténor slovaque, coqueluche de Munich, était de la première distribution aux côtés de Gruberova. Il avait alors 29 ans et ce rôle fut de ceux qui révéla ce jeune chanteurs aux multiples talents, qui s’est depuis illustrés dans de nombreux rôles du répertoire. Aujourd’hui, treize ans plus tard, il arbore, grâce à un physique de jeune premier, la silhouette du jeune homme avec la même élégance et la même efficacité qu’alors. Il incarne à merveille ce personnage qui oscille entre plusieurs destins, et son ténor chaleureux et soutenu, a gardé beaucoup de fraicheur et un engagement sans faille dans toutes les difficultés du rôle. Sans doute le timbre a-t-il un peu perdu de sa souplesse mais il a gagné en profondeur et en intensité, voire en chaleur, avec une clarté sur toute la tessiture qui rend irrésistible son personnage. Il est tout à la fois la victime et l’arme du destin, celui qu’on aime inévitablement et le charisme du chanteur sur scène fait merveille.

Le Don Alfonso, duc de Ferrare et quatrième époux de sa majesté Lucrezia Borgia, est, dans la mise en scène de Loy, une sorte de coq fier de lui, dressé en permanence sur ses ergots et qui vante et chante ses propres louanges. Il faut reconnaitre que le rôle va comme un gant à Erwin schrott qui n’a rien perdu de sa faconde et de sa présence sur scène, raflant de ovations enthousiastes à chacun de ses grands airs, d’une vois de stentor, notamment après son impressionnant "Eviva, viva, viva".

Mais en mode fortissimo, comme à son habitude (je me rappelle de son Procida des Vêpres Siciliennes dans cette même salle en 2018), sans trop de soucis des nuances, Schrott s’impose par l’autorité dont il fait preuve dans son chant, un timbre resté superbe et un style, sans doute simple et direct, mais très efficace.

Le Maffio Orsini de la contralto Teresa Iervolino est également remarquable, sans doute le chant le plus soigné et la diction la plus raffinée pour honorer les belles pages de Donizetti (magnifique Il segreto per Esser felici), une belle présence sur scène et une subtilité et connivence avec le Gennaro de Breslik lors du beau duo entre les deux protagonistes. On regrettera juste que lors du prologue, son chant est souvent couvert par orchestre et chœurs, jusqu’à ce qu’elle vienne sur le devant du plateau.

Mais l’ensemble des jeunes gens au service de Venise qui occupent la scène dès avant le début du Prologue, sont tous admirables : excellents chanteurs, parmi lesquels les ténors Granit Musliu (Jeppo Liverotto) et Joel Williams (Oloferno Vitellozzo), la basse Christian Rieger (Don Apostolo Gazella) et le baryton Andrew Hamilton (Ascanio Petrucci) qui, avec une partie des chœurs masculins, se livrent à de très beaux ensembles, d’où ressortent leurs prestations solistes, dans les belles pages de Donizetti notamment le splendide « bella Venezia ». 

Quant au tenor Liam Bonthrone qui incarne le serviteur très zélé et très soumis de Don Alfonso, Rustighello, il est cauteleux à souhait, cirant les pompes de son maitre au sens premier du terme, et nous gratifiant lui aussi d’une très remarquable prestation vocale et théâtrale. L’on ressent parfaitement dans la mise en scène de Loy tout à la fois comme il est prêt à n’importe quelle humiliation pourvu qu’elle permette de satisfaire son ambition. C’est ce qu’on aime tant à Munich d’ailleurs, cette capacité de nous offrir des seconds rôles remarquables. On n’oubliera pas de saluer les performances, excellentes également, des deux serviteurs de la tyran, le Gubetta de la basse Alexander Köpeczi et le Astolfo du ténor Bálint Szabó.

Pour sage et fidèle « aux notes » que fut la direction musicale de Antonino Fogliani, elle manquait singulièrement de génie et d’éclats, en rendant pas toujours justice à l’époustouflante partition de Donizetti. Il est vrai que cette dernière privilégie les chanteurs, en solo, en duos, en trio, en ensemble, les chœurs mais, même accompagnant, l’orchestre peut donner davantage de reliefs…

La soirée s’est achevée par une très chaleureuse ovation du public, saluant une belle représentation et venu fort nombreux à cette « reprise ». 

L’Opéra de Munich ne présentera sa première nouvelle production que le 26 octobre prochain, avec un Cosi Fan Tutte mis en scène par Benedict Andrews.En attendant les reprises fort bien choisies en cette rentrée et relevant de répertoires variés (de Peter Grimes à Lucrezia Borgia, du Barbier de Séville à la Fanciulla del West), font le plein notamment du fait de la qualité des distributions. 

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