Fleurettes, rêves, désir et sexe pour un Cosi Fan Tutte très bien chanté, belle direction musicale de Jurowski.

Cosi Fan Tutte 


Wolfgang Amadeus Mozart 
Sur un livret de Da Ponte 
Création à Vienne en 1790. 

Séance du 26 octobre, Opéra de Munich
Crédit photos Willfried Hösl.

Louise Alder (Fiordiligi), Avery Amereau (Dorabella), Sandrine Piau (Despina), Konstantin Krimmel (Guilelmo), Sebastian Kohlhepp (Ferrando), Christian Gerhaher (Don Alfonso) 
Bayerisches Staatsorchester, Vladimir Jurowski (direction musicale) 
Benedict Andrews (mise en scène), Magda Willi (décors), Victoria Behr (costumes.  

La dernière fois que j’ai vu en salle le chef d’œuvre du couple Mozart/Da Ponte, c’était justement à Munich, dans la mise en scène de Dieter Dorn (et du fabuleux scénographe, Jurgen Rose), créée à Munich en 1993 et devenue un véritable classique repris très régulièrement dans la capitale bavaroise. J’avais salué alors une mise en scène très inventive et très moderne, qui créait intelligemment un cadre jubilatoire à l’une des œuvres particulièrement difficile à éclairer et à laquelle tant de grands metteurs en scène se sont confrontés. Après des décennies d’expériences diverses et autant de Cosi Fan Tutte vus un peu partout dans les grandes maison d’opéra, je reviendrai d’ailleurs quant à moi à celle du grand Giorgio Strehler, décédé tragiquement durant les ultimes répétitions, et qui avait proposé un Cosi Fan Tutte dépoussiéré, rajeuni, dont les interprètes ne devaient pas avoir plus de 25 ans, tant le génial homme de théâtre tenait à redonner sa fraicheur teintée de naiveté à cette très belle réalisation. C’était en 1998 à Milan au Teatro Piccolo, autant dire une éternité. 
Ce que nous montre le cinéaste et metteur en scène australien Benedict Andrews est inégal. On se demande d’ailleurs exactement quel parti pris il propose de prendre au spectateur qui se trouve balloté d’un univers assez triste, trivial et d’une propreté douteuse, à une exubérance fleurie et romantique en total contraste sans perdre en route ses quelques points de repère fétiches, les « objets » qui ne quittent jamais la scène (le matelas qui en a vu d’autres comme on dit et n’est guère soigné, à l’inverse de la superbe BMW qu’on aperçoit encore derrière les bosquets de lauriers). 
Mettre en scène Cosi comporte certes pas mal de difficultés : il faut garder le côté « buffa » de l’œuvre et lui donner donc toute la légereté d’une comédie, tout en donnant de l’épaisseur au propos qui prétend illustrer « l’école des amants », sous-titre de Cosi fan tutte, il faut faire croire à une possibilité de confusion de la part des femmes à l’égard de leurs amants respectifs (ce à quoi la plupart des metteurs en scène renoncent…), il faut éviter un côté par trop misogyne de l’œuvre (très XVIIIème siècle), particulièrement problématique si on transpose l’intrigue de nos jours, et il faut tenir la longueur, car, sans coupures, avec une intrigue assez mince, il s’agit que le spectateur garde intacte son attention durant près de quatre heures. 
Benedict Andrews veut manifestement donner une dimension sexuelle dominante à son interprétation, choisissant paradoxalement d’en gommer le côté sensuel et romantique qui fait le charme de l’œuvre de Mozart, et histoire de nous mettre dans l’ambiance, campe dès le début un Alfonso qui, loin d’être le sage, prodigant une leçon magistrale aux jeunes amants, est un homme entre deux âges, pratiquant le SM avec une prostituée de passage qu’il paye de quelques billets, dans une pièce aux peintures défraichies sur un matelas à même le sol qui ne l’est pas moins. 
Autant dire que l’arrivée des deux jeunes hommes en chemises à fleurs et pantalons de couleur claire, nous soulage de la crainte de voir un Cosi particulièrement noir et sinistre. Mais là aussi, les obsessions sexuelles des protagonistes sont lourdement soulignées puisqu’ils s’emparent des instruments dédiés aux jeux sexuels d’Alfonso pour mimer diverses poses. De la même manière lors du tableau final, on retournera dans cette petite pièce du début, le rideau (sale) du fond aura disparu dévoilant un mur taggé d’un gigantesque et obscène dessin. Entretemps, certes, et sans qu’on comprenne forcément le sens de ces nouveaux lieux, ce Cosi se déroulera dans un garage (où les demoiselles expriment violemment leur désespoir du départ de leurs amants pour la Guerre, en tentant de se suicider au gaz d’échappement dans la belle BMW que Despina lustrait soigneusement), puis au milieu des fleurs, ou encore dans une chambre d’enfants et j’en oublie sans doute car la progression ne fait pas particulièrement sens. 
L’on constate simplement que cette sexualité exacerbée étouffe en quelque sorte toute la sensualité que contiennent ces premiers émois de tout jeunes gens pris dans la tourmente des doutes dans les premières relations. Et le fait d’avoir construit l’ensemble de la scénographie avec la présence à des tailles et dans des matériaux divers, du château de la Belle au bois dormant de Walt Disney, rend le propos encore plus ambigu. Ce sont donc des enfants piégés dans une sexualité qu’ils ne désirent pas ? Ou n’est-ce qu’une manière de ramener les deux jeunes femmes à leur enfance et à leurs rêves dont elles ne seraient pas sorties ? Ainsi passent-elles du petit château où elles logent leurs poupées Barbie à l’énorme château gonflable où elles se réfugient pour rêver sans que le sens en soit totalement éclairci, sauf sous la forme un peu brutale : finis les rêves d’enfance, il faut faire face à la trivialité d’aujourd’hui. 
Esthétiquement, il y a de très belles scènes et le jeu des costumes apparente un peu le traitement de l’opéra à celui des comédies musicales avec rappel de couleurs et d’étoffe entre elles deux et eux deux. Les « grands », les « vieux » qui organisent le piège tendu aux « jeunes », sont en noir : Alfonso dans un costume austère très clergyman et Despina dans un habit de soubrette très typé. Le monde des jeunes insouciants et des seniors donneurs de leçon, est parfaitement contrasté et la modernisation des vêtements, robes et chemises à fleurs, tennis blancs, est agréable à l’œil. Et même si l’on reste un peu sur sa faim, il faut reconnaitre à la « qualité Munich » de nous offrir toujours un spectacle complet qui se tient et ravit la salle (qui rit ou sourit beaucoup). Cela tient d’abord à une direction d’acteur très efficace qui voit chacun et chacune, jouer magnifiquement sa « partie » tout en incarnant parfaitement ces personnages, très jeunes ou moins jeunes, mais tous parfaitement à leur place, tels qu’on les imagine. 
Le plateau vocal est dominé par les prestations de Sandrine Piau (Despina) et de Christian Gerhaher (Don Alfonso). Munich ne connaissait pas encore Sandrine Piau, éblouissante mezzo rompue aux charmes de la musique de Mozart, et très à l’aise dans tous ses airs, solo, en duo, « tutti », dont Cosi regorge surtout quand l’ensemble est donné san coupure, avec tous les récitatifs et toutes les reprises. C’est un rôle en or puisqu’elle est le bras armé en quelque sorte d’Alfonso, elle se déguise pour les besoins du « scénario » diabolique imaginé pour confondre les deux sœurs, en médecin puis en notaire, avec toujours autant de bonheur et d’efficacité et quand elle chante le splendide « Una donna a quindici anni », on réalise qu’elle donne des leçons à des gamines de quinze ans sur ce qu’elles devraient savoir. Autres temps, autres mœurs. Christian Gerhaher, à l’inverse, est un habitué du plateau bavarois où je l’ai vu en Orfeo, comme en Wozzeck, en Lear ou en Amfortas, autant dire que son répertoire est aussi vaste que surprenant. Il est très à l’aise dans ce retour à Mozart, et son "Tutti accusan le donne, ed io le scuso/Se mille volte al dì cangiano amore/Altri un vizio lo chiama ed altri un uso/Ed a me par necessità del cuore » est presque paternel et rempli d’une empathie que j’ai trouvée bienvenue quand la mise en scène en fait un senior un peu libidineux, manquant de tenue et sexuellement frustré (voir voyeur…) ! 
Les jeunes sont jeunes et c’est désormais incontournable. On ne voit plus guère de Cosi de bonne tenue qui ne pratiquent pas ce choix décisif de chanteurs de moins de quarante ans, pour la crédibilité du propos. La soprano britannique Louise Alder est une délicieuse Fiordiligi, aux aigus souverains, qui, dans Mozart a déjà chanté Suzanna et Zerbina, mais qui possède un répertoire très varié. Les trilles et autres vocalises sont légères et agréables : son « Come scoglio » sur le capot de la voiture est diablement sensuel et son « Ei parte... Per pietà » superbe la soprano campe un personnage très séduisant dont l’évolution psychologique, les doutes et les passions, sont très bien exprimés, autant par le « jeu » scénique que par les couleurs dont elle pare son chant. 
Avery Amereau en Dorabella, a également ses moments prestigieux très bien tenus, ses phrasés sont agréables, son timbre très harmonieux et sa technique irréprochable. Et son charme personnel fait merveille dans ce beau personnage. Leurs duos sont également de très grands moments musicaux où le génie de Mozart est admirablement servi. Leurs voix se ressemblent
beaucoup et il n’est pas évident de les distinguer l’une de l’autre ce qui renforce le côté « gemellité » des deux femmes de manière assez troublante d’autant qu’elles portent de longs cheveux clairs également similaires. 
Concernant les deux garçons, le Gulielmo de Konstantin Krimmel (1), membre de la troupe munichoise et baryton de plus en plus remarqué, s’impose assez rapidement sur la scène munichoise d’une voix très mozartienne qu’on apprécie toujours beaucoup, d’autant que son extrême musicalité et sa belle technique lui permet de donner des nuances et des couleurs très riches. Scéniquement, il est parfait, regard sombre et séducteur, se prenant au jeu au départ mais peu à peu pris de doutes sur les conséquences imprévues d’un pari raté. Son comparse Sebastian Kohlhepp est un peu plus en difficulté en Ferrando, récemment souffrant il n’a pas retrouvé tous ses moyens et l’on sent des reprises de souffle non souhaitées, ainsi que quelques aigus qui ne possèdent pas le velours que l’on attend dans ce rôle très lyrique. Sob « Una aura amorosa » est cependant très bien mené et la suite des représentations devraient le retrouver en bonne forme. La diction italienne n’est pas non plus idéale ce qui renforce sans doute les difficultés à faire tomber les consonnances des syllabes dans les notes au rythme voulu alors que les tempi choisis par Jurowski sont globalement assez lents. 
Vladimir Jurowski dirigeait Cosi Fan Tutte pour la première fois. Comme toujours avec le directeur musical de l’Opéra de Bavière, il y a un travail remarquable fait autour de la partition pour valoriser tout ce qui est « dialogue » musical avec les chanteurs et respecter ces derniers dans leurs arias, dans les duos et ensemble (Cosi Fan Tutte possède des quatuors et des quintettes qui sont des modèles pour tout compositeur d’opéra). Mozart n’est jamais bousculé, bien au contraire, la lecture est attentive, précise, l’orchestre de l’Opéra de bavière qui sait si bien faire sonner Verdi et Puccini, se fait chambriste sous sa baguette délicate. Contrairement à de nombreux chefs superstar, il respecte Mozart en évitant de valoriser les instrumentistes au-delà de ce que le compositeur viennois a composé dans cette partition de génie. C’est presque discret tout en donnant de très belles pages, espiègles et presque primesautières, alternant avec des sonorités plus graves et la reprise du letimotiv avec un bel entrain très séduisant. Ce n’est pas le Mozart qu’on entend trop souvent sur des instruments trop sonores et un ensemble qui ne respecte pas toujours les chanteurs. C’est un Mozart plus authentique même si les tempi sont parfois un peu trop lents et puis, c’est un Cosi complet ce qui est également assez rare…

 

Ce fut donc une soirée très agréable qu’il faut saluer comme une très belle ouverture de saison à l’Opéra de Munich en attendant la nouvelle mise en scène, très attendue elle aussi, de Lohengrin pour début décembre. Crédits phographiques : © Wilfried Hösl (1) J’en profite pour signaler le très beau CD que Konstantin Krimmel vient de sortir sous le label Alpha, intitulé « Zauberoper ». A découvrir !

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