La Fanciulla del West en thriller, avec le sombre Dick de Jonas Kaufmann et la lumineuse Minnie de Malin Byström sous la direction énergique de Rustioni

La Fanciulla del West

Giacomo Puccini

 

Livret de Carlo Zangarini (1874-1943) et Guelfo Civinini (1873-1954) d'après le drame de David Belasco (1853-1931), La Fille du far-west (The Girl of the Golden West).

 

Première : 1910 au MET de New York 

Séance du 16 octobre Opéra de Munich

 

Photos © W.Hösl - 2022


Direction musicale :  Daniele Rustioni

Mise en scène : Andreas Dresen

Scénographie : Mathias Fischer-Dieskau

Minnie : Malin Byström

Jack Rance : Claudio Sgura

Dick Johnson : Jonas Kaufmann

Nick : Kevin Conners

Ashby : Bálint Szabó

Sonora : Tim Kuypers

Trin : Roberto Covatta

Sid : Roman Chabaranok

Bello : Benjamin Taylor

Harry : Andrés Agudelo

Joe : Jonas Hacker

Happy : Martin Snell

Larkens : Blake Denson

Billy Jackrabbit : Daniel Noyola

Wowkle : Lindsay Ammann

Jake Wallace : Sean Michael Plumb

José Castro : Thomas Mole

Ein Postillon : Ulrich Reß

Bayerisches Staatsorchester

Bayerischer Staatsopernchor


J’ai écrit tout le bien que je pensais de la mise en scène de Andreas Dresen, lorsque de sa création en 2018. Interprétée cette fois par une équipe assez différente, elle démontre sa capacité à s’adapter facilement, en restant sobre et efficace, avec une transposition discrète du monde des chercheurs d’or pauvres du fin fond de l’ouest à celui de mineurs, dans les mêmes montagnes froides, austères et enneigées. L’ensemble de l’œuvre est scrupuleusement respecté. L’acte 1 a pour cadre le bar que Minnie « tient » d’une main de fer accueillant ses « ragazzi » après leur dur labeur, pour leur donner un peu d’éducation (biblique) et leur prodiguer un semblant d’humanité au milieu de leurs beuveries et de leurs jeux de carte parfois violents. Un grand escalier descend des cintres vers le sol en bois sonore du saloon, qui permet les arrivées tonitruantes de Minnie d’abord (révolver au poing) puis de Dick Johnson plus tard, désinvolte et grand seigneur dans son immense manteau de cuir. A l’acte 2 la petite maison de Minnie est très simplement représentée, sorte de cabane avec un grenier plat qui permettra à Dick dans des conditions très inconfortables de se dissimuler lors de l’arrivée menaçante du shériff et de ses adjoints. Le dernier acte se situe dans un no man’s land boueux où se dresse un mât dont on devine qu’il servira à la future pendaison de l’infortuné bandit de grand chemin au grand cœur.

Le cadre est donc simplifié à l’extrême, dépouillé même et, le plus souvent, la scène est plongée dans une pénombre avec le seul éclairage blafard de lampes sporadiques au saloon, et celui, omniprésent des faisceaux dans la nuit formés par les lampes frontales des mineurs ou de torches des policiers. Dans cette « nuit » dominante, le seul havre de lumière et de calme, est la cabane de Minnie. Le reste est désespérément sombre, comme l’image d’un monde qui se meurt, l’une des dominantes de cet opéra très moderne de Puccini, qui préfigure si bien l’un des genres cinématographiques les plus fournis du siècle dernier.

Il y a des scènes d’une force inouie : la « machine à vent » qui se démène dans la fosse tandis que le sort de l’amour naissant des deux héros va se jouer avec l’arrivée du shériff qui blesse Johnson, Minnie jouant son amour aux cartes avec le shérif, tandis que leurs paroles sont à peine chantées, dans un silence presque total de l’orchestre juste ponctué par les pizzicati des seules basses, ou juste avant, 

Sombre Fanciulla donc, plus thriller que divertissement, vision assez éloignée de celle de Marco Arturo Marelli à l’Opéra de Vienne il y a près de dix ans lors du premier Dick Johnson de Jonas Kaufmann. Il avait repris le rôle d’ailleurs en 2018 dans une mise en scène très classique de Del Monaco. Ce dernier retour dans sa mère patrie de Munich, moins d’un mois après un Peter Grimes halluciné, lui permet de franchir encore une étape dans l’approfondissement d’un rôle qu’il aime manifestement. 

On est loin, très loin du bandit romantique, jeune et lumineux dont la Minnie aux cheveux orange tombait éperdument amoureuse sur la scène viennoise de 2013, mais loin aussi du beau cow boy de western auquel Eva Marie Westbroek résistait héroiquement avant de succomber à son charme vénéneux (et déjà beaucoup moins jeune et « romantique »). Cette fois, s’emparant du caractère désespérément sombre de la vision proposée par le dramaturge et s’appuyant sur la lecture hyper vériste de Rustioni, Kaufmann nous offre un troisième Dick Johnson, un homme déjà mûr, revenu de tout, limite blasé, qui offre son amour à une Minnie blonde, jeune et charmante (rencontrée par le passé…) et qui pourrait l’aider à se sauver de lui-même et de ses tentations de lui voler la paie des ouvriers, de ses poursuivants, de la corde qui le menace. Il la drague, l’invite à danser mais leur pas de danse eux même sont caricaturaux comme s’ils singeaient volontairement la beauté d’une valse exécutées en godillots face à la foule des mineurs agglutinés. Il s’agit surtout de donner le change, d’éloigner les doutes de la foule à l’égard de cet étranger débarqué. Et l’obsession du Johnson version numéro trois de Kaufmann, est d’abord de sauver sa peau, de sortir du sentier sinistre tracé pour lui avant d’y renoncer, comme fatigué, épuisé, vaincu.

Mais comme ces héros des westerns crépusculaires qui traine leur carcasse, pourchassés par tous les shérifs du coin, et quelques tueurs à gage, Dick-Kaufmann a son moment de bonheur presque pur avec Minnie, avant d’être tel le fauve blessé à mort, jouet et victime de la haine des autres. Il rejoint paradoxalement son Peter Grimes, à l’acte 3, avec un fabuleux plaidoyer pour épargner la femme qu’il aime, le fameux « Ch’ella mi creda libero et lontano », comble du romantisme noir du héros de Puccini, qui demande à ses bourreaux de laisser croire à Minnie qu’il est parti au loin, qu’elle ne sache jamais comment il a tristement péri. D’ailleurs, ne serait-ce que pour ces quelques minutes intenses de très très grand Kaufmann, la représentation valait le déplacement et tant qu’il sera capable de donner autant d’intensité à son chant et à son interprétation d’homme blessé, accablé par le destin, et prêt à en finir, il restera incontournable pour longtemps. La voix de Kaufmann s’est certes assombrie encore depuis son premier Dick Johnson en 2013, mais elle garde paradoxalement la luminosité étrange et très personnalisée d’aigus éclatants et surtout, elle n’a pas perdu l’essentiel de sa souplesse qui lui permet d’importantes nuances et couleurs même si la tendance de Rustioni à faire donner l’orchestre dans toute sa splendeur (incontestable !) a parfois conduit le ténor à éviter certains pianos pour ne pas être couvert.

Et c’est probablement l’une des petites réserves que j'aurais suite à cette représentation où parfois pesait la tendance de Daniele Rustioni à vouloir faire ressortir la beauté de son orchestre sans toujours tenir compte de ses chanteurs et de leurs styles vocaux respectifs. Ne boudons pas cependant notre plaisir : le chef d'orchestre sait donner des couleurs incomparables et manier des contrastes saisissant dans une oeuvre qui nécessite le doigté qu'il possède, la subtilité mais aussi la force que lui donne Puccini. 

L’héroine de l’œuvre, Minnie la tenancière au grand cœur de midinette et à l’autorité infaillible est campée par la lumineuse Malin Byström. J’aime beaucoup la soprano suédoise que j’ai entendue jusqu’à présent, essentiellement en retransmission (Elisabeth dans la VF de Don Carlos à Vienne il y a deux ans, déjà avec Kaufmann d’ailleurs, Tosca à l’Opéra d’Amsterdam dans la mise en scène de Barrie Kosky, Salomé au festival d’Edinbourg) et une seule fois en salle, en Hélène des Vêpres Siciliennes à Londres. Elle a un jeu naturel très séduisant, un très joli timbre et une voix fruitée, une grande maitrise de la diction et beaucoup de présence vocale et scénique. Il va de soi qu’elle ressemble guère aux Minnie vues récemment, Nina Stemme ou Eva-Marie Westbroek partenaires remarquées de Kaufmann ou à la maitresse femme qu’Anja Kampe incarnait avec tant de brillant et d’autorité, dans les mêmes décors il y a peu. En effet c’est une toute autre Minnie que défend Malin Bystrom et si on se laisse séduire comme Dick Johnson, par son opiniâtreté et sa naive attirance pour l’homme de l’Ouest sauvage, on doute davantage lors de la scène finale où elle « sauve » « son » homme, sa voix se perdant un peu dans l’immensité du plateau et la foule des mineurs présents et son chant est parfois tendu à l’extrême, en particulier dans les moments « climax » où elle doit passer l’orchestre tout en assurant quelques aigus « spinto » qui sont à la limite de ses moyens. C’est dans les parties les plus lyriques à l’inverse, qu’elle défend le mieux son style et que sa voix parvient à se déployer librement, notamment dans les très beaux duos d’amour avec Dick Johnson. Globalement, c’est un portrait touchant, qui se tient, mais qui demandera de s’affirmer davantage.

Le Jack Rance de Claudio Sgura ne manque pas de voix et de présence sur scène, il est impressionnant le plus souvent et campe un shérif assez monolithique - ce que lui demande la mise en scène- au chant très autoritaire mais parfois un peu saturé, voix en force ne permettant pas toujours les nuances nécessaires, notamment lors des scènes où il tente de séduire Minnie. J’ai vu pas mal d’affrontements aux cartes plus percutants que celui d’hier soir sans pour autant que les artistes déméritent dans leurs efforts. On peut juste se demander si ce sont des rôles parfaitement adaptés à leurs caractéristiques vocales et stylistiques. Le fait est que je les ai largement préférés l’un et l’autre dans d’autres rôles ici même. Sgura y avait campé un Iago très intéressant en particulier. 

C’était la Première, gageons que les séances suivantes verront Rustioni calmer un peu les ardeurs de son orchestre et ralentir certains tempi pour permettre aux voix de se déployer pleinement. Puccini offre une très belle partie orchestrale mais les parties vocales ne sont pas en reste, que ce soit les grands airs des solistes, les duos, souvent confrontation de voix, les ensembles où les chœurs sont extrêmement sollicités. Il ouvre également la voie au dépassement du « vérisme » pur en glissant dans sa partition quelques petites merveilles qui ne doivent pas être lourdement soulignées, comme l’accompagnement de la romance de Wallace par des harpes seules.

J’en profite pour saluer d’ailleurs orchestre et chœurs, magnifiques hier soir. La précision des chœurs d’hommes dans cette Fanciulla comme la veille dans Lucrezia Borgia devrait servir de modèle à bien des formations lyriques. 

On retrouve bon nombre d’interprètes présents lors de la création de cette mise en scène en 2018 et notamment le Jake Wallace remarquable de Sean Michael Plumb, mais aussi les rôles solistes « vedettes » de l’ensemble des « ragazzi » comme le Nick de Kevin Conners, le Ashby de Bálint Szabó ou le Sonora de Tim Kuypers. Signalons aussi le très joli ténor, clair et même claironnant de Jonas Hacker qui joue Joe, rôle tenu lors de la création par Freddie de Tommaso qui a fait son chemin depuis… j’avais déjà remarqué le jeune Jonas Hacker à Munich en Schulmeister dans la Petite Renarde Rusée cet été, et un peu avant en Hylas dans la nouvelle production des Troyens. Un nom à suivre (doté d’un prénom très prometteur à Munich.)Le public s’est montré très enthousiaste visiblement captivé par cette aventure tragique (à l’issue heureuse, ce qui est rare chez Puccini) servie par des chanteurs qui sont tous d’excellents acteurs. Et combien Munich sait mieux que beaucoup d’autres maisons, faire jouer son théâtre dans l’écrin d’un orchestre somptueux. Jamais l’opéra n’a autant de lettres de noblesse que lorsqu’il sait raconter une histoire en paroles et en musique. 



Commentaires

  1. Nous étions à la 3ème représentation et Rustioni dirige toujours du Verdi...très loin de la musique de Puccini qui vous prend au tripe et ne vous lâche plus. Et quelque soit le compositeur, il faut laisser les chanteurs exprimer toutes les nuances de leur voix sans les couvrir ... Très gros bémol de cette soirée.

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