"Si tu m'avais regardée, je suis sûre que tu m'aurais aimée". Salomé à l'Opéra Bastille. Prodigieuse Elza Van den Heever dans une mise en scène controversée

Salomé


Richard Strauss

Livret de Richard Strauss, d'après la traduction allemande de Hedwig Lachmann de la pièce de théâtre Salomé d'Oscar Wilde et créé le 9 décembre 1905 au Königliches Opernhaus de Dresde.

Direction musicale : Simone Young

Mise en scène : Lydia Steier

Décors : Momme Hinrichs


Salomé : Elza van den Heever

Herodes : John Daszak

Herodias : Karita Mattila

Jochanaan : Iain Paterson

Narraboth :Tansel Akzeybek

Page der Herodias : Katharina Magiera

Erster Jude : Matthäus Schmidlechner

Zweiter Jude : Éric Suchet

Dritter Jude : Maciej Kwaśnikowski

Vierter Jude : Mathias Vidal

Fünfter Jude : Sava Vemić

Erster Nazarener : Luke Stoker

Zweiter Nazarener : Yiorgo Ioannou

Erster Soldat : Dominic Barber

Zweiter Soldat : Bastian Thomas Kohl

Cappadocier : Alejandro Baliñas Vieites

Ein Sklave : Marion Grange

Séance du 24 octobre à l’Opéra de Paris Bastille

Salomé est l'une des oeuvres-phare de Richard Strauss, son premier opéra à succès (et à scandale), basé sur la sensuelle et sulfureuse pièce éponyme de Oscar Wilde. D'entrée de jeu l'oeuvre qui a suffisamment rapporté d'argent à Strauss pour qu'il puisse s'acheter la maison de Garmisch-Partenkirchen où il a vécu jusqu'à sa mort (et qu'on peut d'ailleurs visiter), a été l'objet d'interdictions diverses et de réprobations de grande ampleur du fait des thèmes abordés assez directement notamment celui du désir sexuel incestueux d'Hérode à l'égard de sa toute jeune belle-fille vierge. La danse des sept voiles symbolise sans ambiguïté la défloration de la jeune fille. Et c'est son personnage ambigu qui permet nombre d'interprétations lors des différentes mises en scène, mais aussi incarnation scénique et vocale des sopranos qui ont chanté le rôle. Le parti pris de Lydia Steier est de montrer le plus crûment possible, la dépravation des moeurs de la cour du roi Hérode, sorte de toile de fond de ce qui se déroule au premier plan, la cruauté de cette société qui exploite les êtres humains mais craint la loi divine, pour valoriser l'amour fou que porte Salomé au mystérieux prophète Jochanaan le Baptiste, prisonnier mais craint par le lâche tétrarque.

On peut à juste titre considérer qu'il n'était pas utile d'en "rajouter" à ce point pour évoquer la luxure et le comportement lubrique des puissants à l'égard de leurs proies, mais le sujet s'y prête, difficile de le nier. Deux "modes" illustrent ce choix : une scène derrière vitrine (façon quartier rouge d'Amsterdam), au niveau très au dessus de l'immense "carré" posé à même la scène en biais, qui représente la terrasse enserrée dans de hauts murs de pierre, et plus tard, un immense escalier qui sort du mur du fond, avec la foule des invités d'Hérode, installés sur les marches ou sur de confortables canapés. Ces scènes secondaires, qui illustrent l'état de la Cour de Judée, disparaissent lors de la scène finale, un moment d'émotion pure qui éclaire l'ensemble des choix de cette mise en scène très controversée.

Car pour Lydia Steier, la défloration symbolisée par la danse des sept voiles, est l'occasion d'une initiation à toutes les pratiques sexuelles possibles (à deux, à plusieurs, seule) à laquelle Salomé consent (elle prend même parfois l'initiative) dans l'objectif d'obtenir en retour la possibilité d'aimer Jochanaan  dont elle est éperdument et violemment éprise et qui refuse de la regarder.

Ce n'est donc pas le fameux "je veux la tête de Jochanaan " qui apparait comme la clé de son comportement (la vengeance face à l'indifférence et au mépris du prophète à l'égard d'elle-même et de sa lignée de tortionnaires indignes), mais bien son "Si tu m'avais regardée je suis sûre que tu m'aurais aimée" qu'elle répète à l'infini avant d'être à son tour tuée sur les ordres d'Hérode, apeuré par le geste blasphématoire de sa belle-fille.

Et pour illustrer cette lecture de l'amour fou, insensé, prêt à tout pour être satisfait, Lydia Steier nous montre une Salomé agonisante à qui l'on retire la tête du Prophète jouée par une figurante, tandis qu'une Salomé qui "revit", entre dans la prison d'un Jochanaan qui a retrouvé vie et intégrité physique, comme dans un rêve, et qui se relève pour la regarder, l'enlacer, l'embrasser tandis que tout à disparu autour d'eux et que la cage s'élève vers le ciel.

Je voudrais saluer la direction d'acteurs fabuleuse de cette mise en scène, j'ai rarement vu une osmose aussi réussie dans un opéra aussi violent, entre des chanteurs très sollicités vocalement et une scénographie aussi exigeante. Et c'est la raison pour laquelle pour une partie du public, le spectacle marche très bien.

Précisons aussi que j'étais placée au deuxième balcon, ce qui relativise la vision de la "vitrine" juchée très haut,  puisqu'on y voit surtout des ombres bouger dans une lumière rouge, sans s'attarder à y déceler autre chose que la représentation d'une salle d'orgies avec tortures sexuelles.

L'avantage d'un tel positionnement est de bénéficier d'une acoustique exceptionnelle (le "système" Bastille), sauf quand le Prophète est sous terre dans sa citerne où, à l'inverse, et sans doute pour la même raison, on ne l'entend que très peu....

Le plateau est totalement dominé par l'hallucinante prestation d'Elza Van den Heever, qui a manifestement totalement adopté le parti pris de Lydia Steier, se glissant dans la robe blanche d'abord immaculée puis tâchée de sang d'une Salomé ivre de son amour pour le Prophète et dont l'obsession brutale et intransigeante, trouve son assouvissement dans une sorte de rédemption finale où elle se surpasse encore.

Le chant est magnifique, autrement habité que dans les prestations où j'ai pu l'entendre auparavant (même si elle est toujours une soprano exceptionnelle dans le répertoire straussien), elle affronte l'orchestre redoutable sans le moindre effort apparent, les déferlantes instrumentales d'une Simone Young moyennement inspirée et très "décibels" ne la perturbent pas, au contraire, elle semble s'appuyer sur les roulements de timbales et autres sonorités claquantes des cuivres, pour faire émerger avec talent, du grave à l'aigu, un timbre souverain. Elle ne s'interdit ni les "piani" ni les "forte", tout semble couler de source, de la plus belle eau et franchement, rien que pour cette démonstration de talent au service d'une véritable incarnation, il faut voir cette Salomé.

Mais je l'ai trouvée très bien entourée, si l'on exception de l'Herodias de Karita Mattila, qui fut une fabuleuse Salomé elle-même mais qui peine aujourd'hui à nous offrir autre chose que quelques phrases musicales assez pauvres bien qu'émouvantes.

L'Hérode de John Daszak est sonore, autoritaire et chante la plupart du temps en mode "Forte" ce qui correspond à la partition. Mais cela n'empêche nullement une très grande présence scénique et surtout l'expression, dans son chant même (et dans son comportement) de ce mélange odieux entre la lubricité, la veulerie et la cruauté qui caractérise le personnage. Le Jochanaan de Iain Paterson, hélas inaudible depuis le deuxième balcon quand il est sous terre, explose au contraire dès qu'il émerge dans sa cage, et exprime très bien la vision de l'Homme qui se croit l'élu de dieu et ne sort pas de son chemin moral et prophétique, même quand la belle Salomé tente de le pervertir. Très belle surprise et découverte très agréable avec le Narraboth  au timbre clair et à la destinée émouvante de Tansel Akzeybek, que je n'avais jamais entendu et qui m'a semblé parfaitement à l'aise dans le grand vaisseau de Bastille où sa voix sonne bien, de même d'ailleurs pour son charmant page, incarné par Katharina Magiera. Les Juden (Matthäus Schmidlechner, Éric Huchet, Maciej Kwaśnikowski, Mathias Vidal, Sava Vemić) se livrent à cette fameuse parodie du débat talmudique avec beaucoup de talents. Ils semblent tous être des clones tirés du portrait le plus célèbre d'Oscar Wilde (clin d'oeil ?) et lors de la "danse des sept voiles" (donc de la scène de sexualité collective. extrême), ils sont ceux qui tardent le plus à rejoindre la foule excitée. Les autres rôles secondaires sont également très bons (les Nazarener de Luke Stoker et Yiorgo Ioannou).

On regrettera d'autant plus que Simone Young ait un peu cédé à une sorte de fébrilité désordonnée, donnant de cette partition une vision très peu analytique, privilégiant les effets sonores plutôt que soulignant les leitmotiv et la richesse des différentes parties orchestrales de Strauss pour en faire une sorte de continuum sans couture, ce qui est une très mauvaise interprétation du compositeur allemand.

   

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