Le festival de Wexford exhume la superbe "Tempesta" de Fromental Halevy. A voir absolument.

La tempesta | La tempête 

Fromental Halévy

Livret : Eugène Scribe, adapté en italien par Pietro Giannone

Création : 1850

D'après la pièce "The Tempest" de Shakespeare (1610)

 

Un prélude et trois actes.

 

Wexford Opera Festival / National Opera House - 

Retransmission sur Arte de la séance du 29 octobre 2022, à partir du 3 novembre

Photos © Clive Barda | ArenaPAL

 


Le Festival de Wexford en Irlande, a réussi une belle entreprise de résurrection en montant cette "Tempesta" d'Halevy, directement inspirée de la pièce de Shakespeare. 

Fromental Halevy, sur un livret de Scribe traduit en italien, centre son récit, à la veine dramatique très bien menée, autour de la rencontre entre Miranda et Fernando, et du personnage jaloux et maléfique de Calibano qui emprisonne Ariele et enlève Miranda.

C'est une oeuvre d'une très grande richesse musicale et dramatique et l'on ne peut que s'étonner qu'elle se soit faite rarissime depuis sa création à Londres en 1850, au vu de ses immenses qualités. Bien qu'en langue italienne (et en trois actes "seulement"), cette Tempesta s'apparente assez typiquement au luxe du grand opéra français et nous offre, outre de nombreuses péripéties, beaucoup de chœurs, des airs solos superbes avec reprises, ornementations, cabalettes, des duos excitants et quelques ensembles de très grande tenue sans même parler d'une partie orchestrale qui fait un peu plus qu'accompagner le chant ou en tous cas, le fait avec beaucoup de variations dans le style et le choix des instruments.

Les spécialistes du grand opéra expliqueront peut-être pourquoi cet opéra est si peu joué mais j'avoue n'avoir trouvé aucune explication : c'est une oeuvre élégante, jamais ennuyeuse, sans "tunnels" particuliers, elle demande certes des voix virtuoses mais pas davantage que dans la plupart des œuvres de Donizetti comme Lucia ou de Bellini comme les Puritains et sans doute moins que de nombreux opéras de Rossini.

La mise en scène de Roberto Catalano est plutôt astucieuse laissant énormément de place au récit qui caractérise l'oeuvre d'Halevy. Le décor est assez simple, un mur troué, om est gravé "NOSTALGIA" à l'acte 1 et deux berceaux l'un noir l'autre blanc, remplis de livres et de briques, puis le buste d'une immense statue de pierre à l'acte 2 entourée d'échafaudages qui tourne sur elle-même et révèle la cache où Ariel sera emprisonné. Retour au mur à l'acte 3. Sans avoir spécialement cherché d'explications à ce décor, je l'ai trouvé esthétique, avec une dominante de lumières et d'ombres sur le plateau qui sculpte littéralement les visages des personnages, les contrastes entre eux étant accentués par le choix de costumes blancs, noirs ou gris. Le tout permet une très belle scénographie et finalement comme l'essentiel est dans le jeu d'acteur et le chant, l'ensemble est très satisfaisant et permet une valorisation de la trame dramatique d'une oeuvre jamais entendue auparavant.

Vocalement nous sommes très bien servis et j'ai été tout simplement ravie de découvrir l'oeuvre dans d'aussi bonnes conditions.

Jade Phoenix est un Ariele délicieux (se), à la voix fruitée, agile, gracieuse de soprano colorature (suraigus compris), avec ce charme qui sied à son personnage et sa légèreté offre un contraste saisissant avec le rustre Giorgi Manoshvili, basse géorgienne à la voix puissante et souple tout à la fois, qui campe un Calibano aussi inquiétant que touchant, magnifique prestation vocale également. Magnifique Fernando de Giulio Pelligra, très beau ténor, réussit parfaitement bien ses solos et notamment les ornementations et vocalises de ses airs les plus belcantistes (dans un rôle est exigeant vocalement) que je ne connaissais pas plus que Hila Baggio (Miranda). Ils forment tous les deux un très beau couple de chanteurs, très éclatant dont la présence vocale est impressionnante. Le baryton Rory Musgrave (Alsonso) est un peu plus en retrait mais s'en sort globalement très bien.

Sans oublier les rôles secondaires comme le baryton Nikolay Zemlianskikh (Prospero), le ténor Richard Shaffrey (Antonio), les chœurs et l'orchestre, globalement de très bonne tenue. Mes réserves viendront essentiellement de la voix à fort vibrato du personnage invisible de la mezzo Emma Jüngling mais c'est très secondaire (sa voix « vient » de haut-parleurs qui descendent des cintres à chacune de ses interventions)

Mais c'est vraiment l'oeuvre qui retient l'attention dans le cadre de cette belle interprétation et l'on regrette qu'elle ne soit pas davantage reprise par les grandes scènes. Espérons qu'à l'instar du superbe enregistrement récent de la Reine de Chypre du même Halevy, le label Palazetto Bru Zane, spécialiste des oeuvres "oubliées", n'oubliera pas cette magnifique "tempesta".

 

A voir absolument :

https://www.arte.tv/fr/videos/110139-000-A/fromental-halevy-la-tempesta/



Avec :

Jade Phoenix (Ariele)

Hila Baggio (Miranda)

Rory Musgrave (Alsonso)

Giulio Pelligra (Fernando)

Nikolay Zemlianskikh (Prospero)

Richard Shaffrey (Antonio)

Giorgi Manoshvili (Calibano)

 

Mise en scène :

Roberto Catalano

Direction musicale :

Francesco Cilluffo

Chorégraphie :

Luisa Baldinetti

Scénographie :

Emanuele Sinisi

 

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