Une belle mise en scène un peu mystérieuse pour le "nouveau" Lohengrin à Munich, servie par un plateau vocal et un chef passionnants

Lohengrin

Richard Wagner (musique et livret) (1850)

 

Représentation du 14 décembre 2022, Staatsoper de Munich

 

Crédit photographique © Wilfried Hösl

 

Cette nouvelle mise en scène de Lohengrin par le cinéaste hongrois Kornél Mundruczó, était très attendue à l’Opéra de Munich en ce début de saison un peu hésitant succédant à une première saison controversée sous le nouveau mandat de Serge Dorny.

Cette fois la direction de l’opéra jouait sur du velours : Wagner valeur sûre de l’opéra, Lohengrin la plus méridionale de ses œuvres dans la capitale de la Bavière que les Italiens appellent « Monaco di Baviera », sous la direction du célèbre chef d’orchestre français François-Xavier Roth (qui travaille beaucoup en Allemagne puisqu’il est le directeur musical de l’opéra de Cologne) et avec une distribution nouvelle et excitante pour l’essentiel des rôles.

Le propos de Kornél Mundruczó est (volontairement ?) presque aussi mystérieux que le récit qu’il illustre fidèlement si on s’en tient à ce qui se chante et aux didascalies de l’œuvre.

Les autres nombreux critiques se sont livrés à toute sorte d’interprétations sans parvenir à en offrir une seule qui soit cohérente. Et pourtant, paradoxalement, on se laisse entrainer par les images fortes d’une scénographie très bien rodée, où costumes, décors, figurants, chœurs, solistes, sont soigneusement guidés dans une sorte de chorégraphie esthétiquement très réussie et qui nous fascine durant les trois heures de l’opéra.

Lohengrin surgit du sein même de la foule des Brabançons tous vêtus de costumes uniformes dans toutes les nuances de blancs cassés, lui-même plus blanc que blanc, il est immédiatement le chef, le modèle, le leader charismatique dont ils ont besoin et ils se rallient à son panache, à ses ordres, imitent ses gestes (dont un bras tendu assez tristement explicite), telle une armée de bons petits soldats ou les fanatiques supporter d’un club sportif quelconque, ou les adeptes d’une secte aux règles strictes, ou les membres endoctrinés d’un parti politique totalitaire ou…

Dans la mise en scène de Jones, créée dans ces murs en 2011, avec le couple désormais mythique formé par Jonas Kaufmann et Anja Harteros, alors à leurs débuts dans le rôle, la notion de secte futuriste était déjà largement présente (T-shirts bleus pour tout le monde), dans celle de Guth à la Scala l’année suivante, Lohengrin apparaissait aussi soudainement au milieu de la foule qui s’écartaient devant son corps en position fœtale entonnant « Nun sei bedankt, mein liebe Schwann ». Il y a donc quelques emprunts aux grandes mises en scène récentes ou quelques parallèles qui sont peut-être d’ailleurs des clins d’œil volontaires au spectateur « habitué » des Lohengrin de ces dix dernières années. 

Là où la rupture est totale, c’est dans le traitement du personnage d’Elsa. Avant son mariage avec Lohengrin, Elsa est une sorte d’elfe mystérieux tout en noir, rejeté par la foule des hommes et femmes en blanc, qui subit les accusations contre elle en se recroquevillant sur elle-même, une lumière bleutée la suit d’ailleurs tandis qu’elle sautille, ressemblant davantage à un adolescent exclu du cercle des adultes qu’à une jeune femme qui peut prétendre au règne sur le duché de Brabant. Silhouette androgyne, menue et souple, notre Elsa fixe immédiatement l’attention du spectateur et ce sont ses évolutions, ses métamorphoses, cette chenille qui devient papillon (aux belles ailes dorées sur son costumes devenu blanc), mais qui se cogne aux parois qui enserrent la scène en permanence quand elle veut franchir l’interdit, savoir quel est le nom de son beau chevalier.

En regard Lohengrin est un chef plutôt frustre qui semble prendre beaucoup de plaisir à donner des ordres muets mais autoritaires à la foule qui le tient en dévotion pure, et n’a de regards réellement amoureux pour Elsa que lorsqu’il sait qu’il doit la perdre.

Les autres personnages sont fort bien traités par la mise en scène qui valorise notamment les magnifiques apparitions du Héraut du roi, les ambiguïtés du duc de Telramund, moins caricatural qu’il ne l’est parfois, les rencontres entre Elsa et Otrud, qui sont loin de se résumer à des joutes oratoires de femmes concurrentes, ou l’autorité du roi de Germanie, Henri L’oiseleur, qui ne quitte guère ses lunettes de soleil dans ce monde qui parait en permanence aussi ensoleillé que s’il résultait d’une période futuriste où un îlot de verdure a été préservé avec deux arbres, deux collines, et plus tard des brins d’herbe.

Tout ceci est fort bien mené avec quelques actions spectaculaires comme les jetés de rubans rouges lors du mariage, la pluie d’étincelles qui s’abat sur la foule en fête, le combat entre Lohengrin et Telramund avec des épées magiques, et enfin, l’énorme météorite en forme de nuage qui s’abat sur les protagonistes quand Lohengrin donne enfin son nom.

Mais cette mise en scène ne serait pas aussi séduisante si elle ne réunissait pas une équipe de chanteurs/acteurs tout à fait exceptionnels pour la plupart d’entre eux.

Et saluons d’abord celle qui a reçu la plus belle ovation de la soirée, Johanni van Oostrum. Quand on le regarde évoluer sur la scène avec une aisance fascinante, quand on l’entend chanter avec une facilité déconcertante, la difficile partie d’Elsa von Brabant, offrant toutes les nuances de ce personnage particulièrement valorisée dans la mise en scène, colorant sans cesse son chant de manière différentes pour exprimer sa peur, son indécision, ses envies, ses interrogations, son désespoir final, quand elle nous darde de ses suraigus parfaitement lancés avec force, justesse et beauté, on se dit que la « chanteuse wagnérienne » type a beaucoup évolué et que nous avons désormais des gabarits vocaux impressionnants dans des silhouettes androgynes touchantes et offrant d’autres perspectives à certaines visions wagnériennes désormais dépassées. Jeune et déjà pourvue d’une technique vocale impressionnante qui lui permet à peu près toutes les audaces (crescendo, diminuendo, aigus « forte » ou « pianos » et surtout gestion admirable du souffle), Johanni van Oostrum, déjà remarquée récemment dans le dernier Tannhäuser produit à l’opéra de Lyon (en Elisabeth) est en passe de s’imposer dans une incarnation originale, très personnelle et très séduisantes des héroïnes de Wagner, allant bien au-delà de la traditionnelle « blonde » tout en gardant jeunesse et fraicheur qui sied au rôle.

Ce qui est plaisant généralement à Munich, c’est qu’aucun rôle n’est laissé au hasard : ainsi a-t-on le grand plaisir de pouvoir apprécier le jeune baryton, roi du Liederabend, Andrè Schuen, dans le petit rôle du Héraut, qu’il valorise par sa simple présence et son chant, lui aussi très expressif et très riche en nuances, couleurs, accélérations, crescendos et autres techniques au service du beau chant comme on l’aime sur cette scène.

C’est d’ailleurs sur cette scène que l’on a découvert Mika Kares, basse impressionnante par la qualité de son interprétation et la profondeur de son timbre (et sa haute silhouette !). C’était en 2018 dans la Favorite. Depuis il a interprété beaucoup de rôles importants (dans Fidelio, dans Tristan notamment), dans les productions-phare de la maison et le public le connait bien qui l’ovationne comme un ami de la famille. Son Henri l'oiseleur en impose et la voix est tout à la fois belle et percutante.

Anja Kampe est peut-être plus à l’aise dans les rôles de sopranos (Sieglinde et surtout Brünnhilde) que dans les rôles de mezzo (Kundry et là, Ortrud) mais elle reste une interprète d’exception malgré quelques aigus un peu stridents. La longue scène entre elle et Elsa est le plus beau duo de la soirée tant les deux femmes, voix et technique très contrastée, s’affrontent clairement comme venant de deux mondes différents, de deux histoires et de deux destins divergents, avec deux caractères contradictoires. Elle a l’énorme qualité d’être capable d’incarner son personnage de manière ambiguë, sans tomber dans la caricature machiavélique parfois donnée à Ortrud.

C’est encore une fois la qualité Munich, tout comme d’ailleurs le complexe Telramund de John Reuter que certains trouveront trop sophistiqué -il l’est bien plus que Lohengrin mais le choix des interprètes et l’orientation de la mise en scène, lui donnent cette configuration dont il s’acquitte là aussi de manière curieuse et passionnante.

Le temps ne semble avoir aucune prise sur Klaus Florian Vogt qui chante son Lohengrin avec la même voix, le même style, les mêmes accents, qu’il y a onze ans à ses débuts à Bayreuth. Il a chanté Lohengrin à peu près partout et dans presque toutes les mises en scènes importantes de ces dix dernières années. Ceux qui ne l’ont jamais entendu seront sans doute surpris par l’uniformité de son timbre très blanc (très peu coloré) et par son incarnation d’un personnage d’une grande naïveté d’expression, et d’une grande uniformité de ton. La voix est restée elle aussi intacte et le timbre très beau dans son style très particulier. Ceux qui l’ont vu déjà plusieurs fois (ceux qui aiment Lohengrin, l’œuvre, ont forcément déjà vu son principal interprète sur les scènes internationales, y compris ici même à Munich dans la précédente mise en scène), ne noteront pas d’évolution importante de cette incarnation unique qui s’est imposée au point de représenter "le" Lohengrin d’aujourd’hui.

Son final est, comme toujours, impressionnant, le chanteur est très en voix et sa projection reste directe et puissante, malgré quelques reprises de souffle.

Et comme à Munich, aucun détail n’est laissé au hasard, on se félicite également de la beauté des timbres des quatre garçons Liam Bonthrone, Granit Musliu, Gabriel Rollinson, Roman Chabaranok, jeunes gens très prometteurs, et de leur aisance sur scène.

Les chœurs sont également très sollicités dans Lohengrin et leur chef Tilman Michael a fait un beau travail de mise en place (sur scène et dans les coulisses d’où une partie des chœurs chante parfois) d’autant plus qu’il avait, dans le même temps, à mettre en place les chœurs de L’enchanteresse de Tchaïkovski, donné à l’opéra de Francfort en décembre.

François-Xavier Roth est l’un de ces chefs qui ne laisse jamais indifférent tant il marque de son empreinte toutes les partitions qu’il dirige. Ce Lohengrin ne fait pas exception et si tout dans son travail n’est pas uniformément convainquant, dans l’ensemble on remarque une grande attention aux solistes et aux chœurs dans l’équilibre instruments/voix, un peu à la manière de Kiril Petrenko dans cette même salle et dans Wagner, il sait étroitement lier le Wagner du texte et celui de la musique, donner des accents étourdissants de musicalité dans les moments les plus romantiques, forcer un peu les cuivres et les percussions pour les effets climax et varier énormément volume et effets de contraste. Il réussit une spatialisation étourdissante des cuivres à quatre reprises, avec placement des instrumentistes dans les loges de côté en hauteur et même dans la grande loge royale derrière les spectateurs du parterre (et au-dessus). La brillante acoustique du théâtre permet toutes les audaces et Roth maitrise tout ceci très bien à la tête d’un orchestre d’opéra presque idéal et avec des voix d’exception.

Parfois, les effets sont un peu moins réussis, notamment lors de l’ouverture, un peu monotone, où dans quelques passages insuffisamment héroïques, question de goût ou d’habitude mais le plaisir de tous à jouer si bien cette soirée se communique de manière infaillible à chaque note de musique.

Le public a très chaleureusement accueilli cette nouvelle production et fêté tout particulièrement le chef et les chanteurs leur offrant une standing ovation émue et reconnaissante. Le détour par Munich (où il neige abondamment) vaut vraiment le coup pour admirer son superbe marché de noël juste avant de se régaler avec ce beau Lohengrin ! Il existe une retransmission vidéo de la Première pour ceux qui ne pourront pas venir sur place mais rien ne vaut… le direct ! 


Distribution

Direction musicale François-Xavier Roth

Mise en scène Kornél Mundruczó

Collaboration à la mise en scène Marcos Darbyshire

Décors Monika Pormale

Costumes Anna Axer Fijalkowska

Lumière Felice Ross

Dramaturgie Kata Wéber et Malte Krasting

Chœur Tilman Michael

Henri l'oiseleur Mika Kares

Lohengrin Klaus Florian Vogt

Elsa de Brabant Johanni van Oostrum

Friedrich de Telramund Johan Reuter

Ortrud Anja Kampe

Héraut du roi Andrè Schuen

Nobles brabançons Liam Bonthrone, Granit Musliu, Gabriel Rollinson, Roman Chabaranok

4 nobles garçons Soliste(s) du Tölzer Knabenchor

Orchestre de l'État de Bavière

Chœur de l'Opéra d'État de Bavière et chœur supplémentaire de l'Opéra d'État de Bavière


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