Jonas Kaufmann et Ludovic Tézier à Baden Baden, fièvre musicale et entente parfaite

Concert Jonas Kaufmann et Ludovic Tézier à Baden Baden

Salle comble des grands soirs, ce 8 janvier, au Festspielhaus de Baden Baden, ville assez déserte un pluvieux dimanche de janvier, au creux de la saison touristique. Mais dans l’ancienne gare transformée en salle de concert, les foules sont au rendez-vous pour une soirée de luxe, l’ouverture des festivités du 25ème anniversaire du festival de la ville d’eau, avec Jonas Kaufmann et Ludovic Tézier en superstars de la soirée.

Les deux artistes, amis à la ville et complices sur scène, ont sorti en octobre dernier un CD très remarqué « Insieme » (Ensemble), salué par la critique pour l’extrême qualité des duos proposés, véritables petites scénettes données en entier dans un face à face impressionnant d’engagement réciproque.

J’avais déjà eu l’occasion de les entendre lors d’un concert à deux à Munich il y a quelques années déjà mais leur répertoire commun a eu l’occasion depuis, de s’étoffer, et leur qualité première à tous deux, est de savoir transmettre au public une émotion partagée dans le cadre de rôles réellement incarnés, joués, même pour quelques minutes.

La Forza del destino fut leur première vraie rencontre à Munich fin 2013 dans le cadre d’une nouvelle mise en scène -de Martin Kuzej- qu’ils inauguraient en quelque sorte, avec la Léonora d’Anja Harteros dont on ne dira jamais assez combien elle nous manque depuis plus d’un an à présent. J’avais la chance d’y être également et, bien que connaissant parfaitement l’œuvre de Verdi déjà souvent vue, je dois reconnaitre que j’avais découvert (comme beaucoup d’autres dans une salle manifestement scotchée) combien les duos Alvaro/Don Carlo peuvent être littéralement sublimes quand ils sont bien interprétés. Je n’ai pas rencontré d’ailleurs de duettistes aussi performants depuis ce soir d’hiver à Munich.

Pour beaucoup d’entre nous dès lors, nous avions l’espoir de revoir Kaufmann et Tézier et leur entente exceptionnelle, nous proposer de nouvelles expériences et, pourquoi pas un CD. C’est chose fait malgré quelques obstacles comme le projet d’un Otello commun pour la prise de rôle respective des deux artistes à Londres en 2017, pour lequel il nous manqua finalement Tézier (que nous avons beaucoup regretté). Les deux complices ont illustré Verdi malgré tout, la Forza del destino, une deuxième fois, Aida à deux reprises différentes également, Don Carlo dans les deux versions, mais aussi Wagner, avec Parsifal, ou Giordano avec Andrea Chénier et chanteront finalement, si tout va bien, Otello cet été à Aix, puis la Gioconda en Australie.

Si je reviens sur toutes ces informations, c’est parce qu’elles donnent tout son sens à l’entreprise commune du ténor et du baryton, dont la rencontre en 2010 dans Werther à Paris Bastille, a scellé une profonde entente et l’envie d’un vrai projet musical. Les concerts ténor/baryton sont un genre assez rare malheureusement, malgré le nombre de duos fascinants qui oppose ou lie ces deux tessitures masculines dans l’opéra.

Et si le programme proposait également quelques airs « solos » pour chacun des deux artistes, sa colonne vertébrale était bien la somme de duos complets proposés, et si rarement donnés dans un tel cadre de concert.

La première partie centrée sur la Forza del destino, est sans doute ce qu’on connait le mieux dans les exploits des deux artistes ensemble : deux des trois duos Solenne in quest’ora et Invano Alvaro ti celasti al mondo, ce dernier duo voyant l’agressivité ouverte de Don Carlo freinée sans cesse par un Alvaro qui ne veut pas que l’enfer triomphe…le jeu des deux interprètes reproduit quelque peu leur célèbre affrontement à Munich où Kaufmann glissait sur une longue table pour s’attaquer à Tézier. C’est évidemment plus mesuré à Baden Baden mais l’évocation est claire et suffisante pour permettre à ce superbe morceau de bravoure de vivre devant nos yeux. 

Très beau solo de Tézier assez impressionnant de puissance dans « Morir! Tremenda cosa » et magnifique (mais habituel) solo de Kaufmann avec « La vita è inferno all‘infelice » et son trésor de nuances. 

Comparaison un peu cruelle cependant pour ceux qui ont pu entendre le même air interprété à Berlin quelques jours plus tôt, mais cette fois avec l’orchestre des Berliner sous la direction de Petrenko, avec une tout autre richesse de la palette sonore.

Les limites de l'orchestre de la Deutsche Radio Philharmonie Saarbrücken Kaiserslautern sont encore plus évidentes d’ailleurs dans les deux (très belles mais archi connues) ouvertures de Verdi proposées, celle de la Forza et celle des Vêpres. Qui dit « connu », dit très souvent entendu et donc, évidemment, très souvent dans des conditions de qualité musicale d’interprétation autrement intéressantes.

Mais Jochen Rieder reste un fidèle accompagnateur de Jonas Kaufmann dans ses galas avec orchestre et il a quelques belles réalisations à son actif avec le ténor bavarois.

La deuxième partie souffre cependant un peu de cet excès orchestral de moyenne qualité avec ce ballet des heures insuffisamment dynamique. Elle est heureusement sauvée (et même davantage, elle est sublimée) par l’impressionnant duo d’Otello dont la dynamique re-chauffe immédiatement la salle galvanisée ce qui amène des ovations et des rappels immédiats. Auparavant le duo de la Gioconda et le Cielo e mar de Kaufmann terminé, comme à l’habitude, par un superbe crescendo parfaitement bien tenu, ont donné quelques aperçus du futur challenge de l’été prochain.

Deux « bis » dont le célèbre duos Posa/Don Carlo (en italien) donné sur un rythme très rapide qui décontenance même un poil de seconde le chef d’orchestre comme si Kaufmann et Tézier avaient si souvent chanté ensemble cet air, fort symbole de l’amitié entre deux hommes, qu’ils n’avaient besoin d’aucun accompagnement pour l’entonner et entrainer la salle dans une standing ovation fort méritée.

Espérons que Kaufmann et Tézier n'arrêteront pas là leur collaboration, et iront plus loin encore que ces duos ténor/baryton les plus connus, pour nous offrir d'autres pépites de la qualité de ce qui fait les grands soirs.


Fotocredits: Michael Bode/manolopress


Programme

Giuseppe Verdi

La forza del destino

 

Ouverture 

Solenne in quest’ora (Duo) 

Morir! Tremenda cosa 

La vita è inferno all‘infelice

Invano Alvaro ti celasti al mondo (Duo)

***

Giuseppe Verdi 

Ouverture des I vespri siciliani


Amilcare Ponchielli

La Gioconda 

Enzo Grimaldi, Principe di Santafior (Duo)

Danza delle ore (Ballet)

Cielo e mar


Giuseppe Verdi 

Otello

Credo in un Dio crudel

Tu? Indietro!

 

 « Bis »

La Bohème : O Mimi, tu piu non torni

Don Carlo : Tu che nell’alma infondere

 

Jonas Kaufmann

Ludovic Tézier

Jochen Rieder

 

Deutsche Radio Philharmonie Saarbrücken Kaiserslautern

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