Quand l'orchestre chante et danse avec le jeune maestro Lorenzo Viotti et quand Marina Viotti se révèle une magnifique interprète de Lieder !

Concert du Netherlands Philharmonic Orchestra

Lorenzo Viotti | direction

Marina Viotti | mezzo-soprano remplaçant Matthias Goerne | baryton, souffrant

 

Théâtre des Champs Elysées, mardi 24 janvier 2023

 

- Anton Webern  Passacaille (1908)

 

-Gustav Mahler  Rückert-Lieder (1905)

Blicke mir nicht in die Lieder (ne regarde pas mes paupières, jeu de mot avec l'autre sens de "Lieder", chansons)

Ich atmet' einen linden Duft (je respirai un si doux parfum de tilleul)

Ich bin der Welt abhanden gekommen (je me suis dérobée au monde)

Um Mitternacht (A minuit)

Liebst du um Schönheit (Aimes-tu pour la beauté ?) 

 

Brahms  Symphonie n° 2 op. 73 (1877)

 

Une soirée sous le signe de l'émotion en même temps que de la perfection, voilà comment on pourrait résumer cet exceptionnel concert si magnifiquement servi.

Lorenzo Viotti a prouvé une fois encore son intelligence musicale et la qualité de son travail tout autant que son aisance à présenter les œuvres proposées par le Netherlands Philharmonie Orchestra dont il est chef principal depuis 2021. Prenant le micro, souriant, décontracté et séduisant, il a tout d'abord excusé le baryton Matthias Goerne souffrant, qui n'a pu honorer sa prestation attendue des Rückert-Lieder, et annoncé la présence de sa sœur prête à le remplacer, avant de donner en quelques mots élégamment choisis, la moderne Passacaille d'Anton Webern, élève de Mahler et de Schoenberg, rappelant l'aspect tragique de cette danse marquée par le tristesse du compositeur marqué à vie par le décès de sa mère et ces Lieder passionnés que Gustav Mahler écrivit à sa femme bien-aimée Alma.


Et l'orchestre déploie dès les premières mesures en pizzicato, ce thème qui va se répéter à l'infini, enfler, exploser dans une sorte de danse effrénée remplie de colère, de ce morceau qui puise encore sa forme dans le romantisme allemand tout en annonçant clairement l'expressionnisme de ses contemporains. Sous la battue précise, presque millimétrée, du jeune chef, la beauté de l'oeuvre sonne à nos oreilles dans cette salle remplie à craquer et où chacun a à coeur de retenir son souffle comme tout bruit intempestif, emporté par cette alchimie si particulière que seuls les grands chefs savent insuffler à leurs formations musicales.

Et comme le talent est très largement partagé dans cette famille, Marina Viotti, remplaçant un baryton rompu au style du Lied et l'un des maîtres actuels du genre au pied levé, impressionne aussitôt par la profondeur de sa voix et la beauté de son timbre. D'une assurance totale, sans la moindre hésitation, elle endosse le costume d'artiste du Lied, avec orchestre, dont il faut bien reconnaitre qu'il est loin d'être aisé. Et pourtant, Marina Viotti maitrise parfaitement l'exercice, lui donnant une interprétation tout à la fois délicate et passionnée, qui sied parfaitement à ces cinq superbes poèmes mis en musique par Gustav Mahler en et dont Kathleen Ferrier avait donné d'inoubliables souvenirs.

Dès le premier chant, Blicke mir nicht in die Lieder, petit jeu de mots sur paupières et chansons (Lieder pour les deux dans l'orthographe de l'époque), Marina Viotti démontre son adéquation au répertoire et au style du Lied, ce, d'autant plus que son frère l'accompagne avec la délicatesse requise pour cette orchestration mahlérienne moins luxuriante que celle d'autres cycles comme celui du Chant de la terre. Jamais la voix n'est couverte, elle peut se libérer totalement sans forcer et Marina Viotti a tout loisir de développer le sens de ce poème prononcé d'une diction irréprochable. Avec Ich atmet' einen linden Duft!, la voix ambrée de Marina Viotti nous enveloppe dans cette évocation des odeurs de tilleul. Puis traduisant l'aspect plus dramatique des deux poèmes suivants, Ich bin der Welt abhanden gekommen (le chant de celui qui est "mort" pour le monde et se moque de savoir ce qu'en pensera sa belle) et surtout Um Mitternacht! (A minuit), Marina Viotti sait donner du corps à son timbre, valoriser les vers autant que la mélodie et nous transmettre l'émotion et la douleur de ces petits récits de quelques minutes. Le journal intime d'Alma raconte que Mahler était si amoureux de la jeune fille, qu'il cacha le dernier poème, Liebst du um Schönheit ? entre les pages de la partition de Siegfried qu'elle consultait régulièrement. Délicieux poème paradoxal - si tu aimes pour la beauté alors ne m'aime pas, aime le soleil- qui se conclue par le triomphal "mais si aimes pour l'amour, alors aime-moi !", en dialogue avec le cor, interprété par une fougueuse jeune chanteuse décidément très séduisante ce soir et qui reçoit une ovation digne des plus grandes et totalement méritée. On ne peut qu'espérer d'autres concerts et d'autres incursions dans ce vaste répertoire du Lied qui lui tend les bras.


Après l'entracte, Lorenzo Viotti et l'orchestre décidément très en forme, aborde la deuxième symphonie de Brahms, restant dans le répertoire germanique mais plongeant plus avant, dans sa période romantique. L'oeuvre de Brahms est pastorale et légère, ensoleillée et réchaufferait le cœur le plus endurci. Et quelle magistrale interprétation là aussi ! Le jeune chef organise orchestre en plaçant toujours ses violoncelles entre deux séries de violons/altos, prenant appui en quelque sorte sur la phalange des clés de fa, ce qui équilibre parfaitement la beauté sonore des cordes. Lorenzo Viotti est de ces jeunes chefs qui ont pu paraitre un peu scolaires à leurs débuts, tant ils décortiquaient chaque mesure de la partition lui donnant tout son sens, mais l'expérience et la qualité de l'orchestre aidant, il est désormais un véritable interprète, de ceux qui enrichissent l'audition du spectateur, le faisant réellement pénétrer l'univers du compositeur.

Le dernier mouvement particulièrement enlevé entraine l'enthousiasme d'un public de connaisseurs, très attentif et servi par la beauté et la qualité de la soirée.


D'autant plus que Lorenzo Viotti comme il l'annonce lui-même, a préparé une surprise : alors que l'orchestre reste debout, il se glisse au premier rang et la plupart des musiciens se mettent à chanter (fort bien d'ailleurs) l'Ave Verum de Mozart accompagnés par quelques instrumentistes. L'émotion est à son comble par ce direct surprenant qui démontre les multiples facettes du talent des musiciens de l'orchestre. Et pour finir par une note endiablée, il fallait bien cette danse hongroise de Brahms, menée à un rythme endiablé, où tout l'orchestre semblait danser cette fois.

Quelle joie, quel bonheur, quel amour de la belle musique !


Hélène Adam, pour le site ODB

https://www.odb-opera.com/viewtopic.php?f=6&t=24844#p432148



Commentaires

Les plus lus....

Magnifique « Turandot » à Vienne : le triomphe d’un couple, Asmik Grigorian et Jonas Kaufmann et d’un metteur en scène, Claus Guth

Salomé - Richard Strauss - Vienne le 20/09/2017

"Aida" mise en scène par Michieletto au festival de Munich : les horreurs de la guerre plutôt que le faste de la victoire