Peter Grimes à l'opéra Garnier dans la formidable mise en scène de Deborah Warner, courez-y !

Peter Grimes

Benjamin Britten

Sur un livret de Montagu Slater, d'après un poème de George Crabbe

1945

 

Direction musicale, Alexander Soddy 

Mise en scène, Deborah Warner


Photos : Vincent Pontet

 

 Séance du 1er février à l'Opéra de Paris (Garnier)

Comme j'en suis à ma quatrième représentations de Peter Grimes en moins d'un an, dans des productions et avec des interprètes et des chefs d'orchestre divers, je me permets de dire sans hésiter le moins du monde, que Paris, après Madrid et Londres, nous ont proposé la plus belle mise en scène avec cette magnifique interprétation de Deborah Warner.

C'est incroyablement intelligent et percutant du début à la fin, structurant et valorisant l'oeuvre en respectant son rythme, sa théâtralité et ses périodes purement musicales, avec le rideau baissé durant les interludes comme pour mieux "respirer" l'orchestration et les thèmes de génie de Benjamin Britten dont c'est probablement le chef d'oeuvre absolu avec son War requiem.

On saluera par exemple la simple idée de ce décor progressivement bouleversé, presque chaotique après la tempête qui coïncide bien sûr avec le début de la fin pour Peter Grimes, l'omniprésence de la mer en fond de plateau et de tous les symboles de ce que peut être un petit port de pêche soumis à ses caprices, la marée, les coups de vent, les dangers de submersion, le risque permanent que prennent les marins, leur rude vie et finalement leurs rêves d'un ailleurs impossible. Le bois compose d'ailleurs l'essentiel des représentations, celle du village, de l'auberge, de la falaise abrupte, du quai où s'embarquent les marins. Et sans décrire l'intégralité de cette fabuleuse mise en lumière d'une oeuvre tout à la fois sombre, tourmentée et formidablement dynamique, sans temps mort, quelques scènes valent vraiment un coup de chapeau spécifique : celle de l'auberge pendant la tempête, avec une porte dans le fond qui s'ouvre à intervalle régulier déversant des groupes de villageois trempés tandis que le plateau s'assombrit un bref instant et que la tempête semble arriver jusqu'aux rangs de l'amphithéâtre, celle de Peter seul sur le plateau dénudé soudain, enveloppant son apprenti mort dans le tricot qu'Ellen lui a confectionné, celle de la foule brandissant un mannequin/épouvantail à l'effigie de Peter Grimes en hurlant leurs imprécations et en abattant au sol la figurine. Et il y a beaucoup de poésie avec cet acrobate descendant des cintres avec les mouvements d'un jeune marin plongeant dans les profondeurs de l'océan ou ce bateau suspendu qui accueille le spectateur durant le prologue. Le tout est scandé et rythmé avec les jeux de lumière, et la musique complexe de Britten.

Et la véritable équipe qui sert cette incontestable réussite -à qui Garnier va très bien - ne fait qu'un autour du Peter Grimes emblématique d'Allan Clayton, qui incarne littéralement le personnage du marin énigmatique, tour à tour sombre, brutal puis lumineux et plein d'espoir avant sa chute finale, pris au piège de la haine qu'il a suscité, proie d'une foule qui en fait la victime expiatoire parfaite et idéale. Vocalement, Allan Clayton ne fait qu'une bouchée des difficultés du rôle qui semble si naturel pour lui, qu'il passe des parties lyriques aux parties plus héroïques et tendues, avec des écarts de notes acrobatiques, comme s'il respirait tout simplement sans qu'on ne perçoive jamais le moindre effort.

Précisons qu'il est incomparablement plus impressionnant en salle qu'en retransmission, pour inciter le maximum d'amoureux de l'opéra à aller l'entendre "en vrai". Personnellement (outre ses Peter Grimes à Madrid et à Londres mais toujours en retransmission), je l'avais remarqué deux fois en David dans Meistersinger à Munich lors d'un festival d'été et à Londres lors de la prise de rôle de Bryn Terfel et alors que nous étions plusieurs à regretter qu'il ne chante pas Walter à la place d'un titulaire très moyen...

L'Ellen Orford de Maria Bengtsson a quelques insuffisances par contre, voix sans doute un peu trop petite pour le rôle et stridences parfois dans les aigus mais sa silhouette blonde, claire, lumineux, sautillante quand elle boite après les brutalités de Peter Grimes, emporte malgré tout l'adhésion.

Plus étonnant, le Captain Balstrode du "so British" Simon Keenlyside, a l'élégance et la classe que l'on n’attend pas forcément dans ce rôle mais comme il appartient à la catégorie des très grands barytons et qu'il chante admirablement bien sa partie, on l'adopte sans problème comme une lecture assez différente du personnage que celle d'un Bryn Terfel par exemple.

J'ai beaucoup aimé le style et le chant de la Auntie de Catherine Wyn-Rogers et de la Mrs. Sedley de Rosie Aldridge dont la courte confrontation est un grand moment. Le Ned Keene de Jacques Imbrailo, baryton qui chante très souvent Britten lui aussi, est parfait tout comme d'ailleurs les deux nièces et les autres "petits" rôles à l'exception peut-être du  Swallow de Clive Bayley, parfois moins sonore que le reste de la troupe. Car il est évident que le choix de ces interprètes britanniques ce répertoire, soudés et habitués à interpréter ensemble cet opus magistral, est un "plus" toujours très appréciable.

Chœur et orchestre très mobilisés également pour la réussite de cette soirée. Le chef Alexander Soddy se tire avec les honneurs de cette difficile partition, pour une fois servi par l'excellence des interprètes et le fait que la mise en scène est totalement en phase avec la partition et le livret ce qui en facilite évidemment la direction musicale.

En bref : courez-y !

 

 

 

Direction musicale, Alexander Soddy 

Mise en scène, Deborah Warner 

Décors, Michael Levine 

Costumes, Luis F. Carvalho 

Lumières, Peter Mumford

Vidéos, Justin Nardella

Cheffe des chœurs Ching-Lien Wu

 

Peter Grimes, Allan Clayton 

Ellen Orford, Maria Bengtsson 

Captain Balstrode, Simon Keenlyside 

Auntie, Catherine Wyn-Rogers 

First Niece, Anna-Sophie Neher 

Bob Boles, John Graham-Hall 

Swallow, Clive Bayley 

Mrs. Sedley, Rosie Aldridge 

Reverend Horace Adams, James Gilchrist 

Ned Keene, Jacques Imbrailo 

Hobson, Stephen Richardson

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