Ariadne auf Naxos à Munich dans la belle mise en scène de Carsen et une très brillante distribution

Ariadne auf Naxos


Opéra en un acte avec un Prologue (1916) 

Livret de Hugo von Hofmannsthal. 

 

Représentation du 30 mars à l’Opéra de Munich

 

L’Opéra de Munich donnait une fois encore la magnifique et intelligente mise en scène de Robert Carsen pour Ariadne auf Naxos du « couple » Strauss/ Hofmannsthal, l’un des joyaux de « l’opéra » dans l’opéra, critique féroce du monde du spectacle et des fastes de la bourgeoisie avide de fêtes tape à l’œil.

L’opéra se déroule en deux parties bien distinctes : le prologue qui voit un compositeur présenter son œuvre, un récit tiré de la mythologie grecque mettant en scène Ariadne abandonnée par Thésée dans l’île de Naxos, et un acte unique représentant directement l’opéra en question. Durant le prologue, le compositeur va devoir en rabattre sérieusement sur ses ambitions, puisque le maitre de lieux désire d’abord jouer aussi une fantaisie façon commedia dell’arte, après son œuvre austère et "sérieuse" puis finalement décide d'entremêler les deux spectacles pour permettre au feu d’artifice d’éclater à l’heure dite.

Les artistes s’affairent dans les coulisses et échangent entre eux. L’acte lui-même voit une succession de tableaux se mélanger, Strauss s’en donnant à cœur joie pour distribuer des rôles très opposés dans les mêmes tessitures, la soprano légère et virtuose qui chante Zerbinetta avec la primadonna qui interprète la grave Ariadne, les ténors légers que sont ses comparses Brighella et Scaramouche et le ténor héroique qu’est Bacchus.

La mise en scène de Robert Carsen adopte résolument ce parti pris du compositeur et du librettiste et commence par une séquence de répétition de danse avec piano, sur scène, tandis que les spectateurs s’installent. L’ensemble de la scène est entouré des miroirs classiques des salles de danse, reflétant de manière très esthétique la superbe salle de l’Opéra de Munich. Entrechats, sautillements, pas de deux, tout y est, exécuté par le ballet qui joue le jeu de la répétition en direct et l’on est en quelque sorte dans l’ambiance dès avant les premières notes de l’orchestre. La salle ne s’éteint pas d’ailleurs tandis qu’elles retentissent, et que les « coulisses » sur scène s’animent avec l’arrivée du compositeur, du majordome qui transmet les desiderata changeants de son maître, puis des différents artistes et professions du spectacle.

Deux passerelles qui relient, à cour et à jardin, la scène à la salle, permettent de démultiplier les séquences parallèles qui se déroulent durant ce prologue, les amours de Zerbinette comme les querelles entre le ténor et la primadonna pour avoir la primeur du rôle principal en nombre de pages réservées sur la partition. C’est très bien mis en place, reflétant admirablement tout à la fois les déceptions et les doutes d’un compositeur malmené, et le petit monde des artistes en effervescence juste avant le « show ». La scène finale du prologue où Zerbinetta va tenter de convaincre le compositeur qu’elle n’est pas qu’une écervelée détruisant son travail, est magnifiquement interprétée d’ailleurs, sur une « scène » devenue vide et où les deux femmes échangent sur les affres de la création dans un recueillement. Le compositeur, résigné, alors que le rideau rouge et or se ferme, et que le théâtre s’éclaire complètement comme pour annoncer un entracte, gagne la salle par la passerelle côté cour, confie sa partition remaniée au chef d’orchestre, et va s’installer sur la passerelle côté jardin où il restera tout le temps de son propre spectacle.

Pour l’acte unique, la salle s’est éteinte, le rideau s’ouvre, la scène est sombre, sol noir de l’ïle de Naxos et tous les personnages, façon tragédie grecque antique, sont revêtus de longue robes noires. Carsen illustre alors les tableaux qui mettent en scène les parties « comedia del arte » de manière très astucieuse, sans rupture de style, par des effeuillages partiels ou complets des jeunes gens qui entourent Zerbinetta et la présence d’un, de deux, de trois pianos droits de bastringue, qui représentent la musique de fête, légère et dansante de Strauss pour ces tableaux.

La gravité revient avec le final de style dramatique, encore plus dépouillé, tandis que Bacchus commence de chanter depuis la coulisse son « Circé » et le fond du plateau tendu de noir se fend d’un rayon lumineux qui s’élargit progressivement pour inonder de lumière les derniers échanges.

L’existence d’une troupe à Munich garantit incontestablement la maitrise parfaite de ces mises en scène du répertoire, si rodées qu’elles semblent se bonifier à chaque fois qu’on les voit à nouveau et dont on ne se lasse pas plus que de l’œuvre magnifique elle-même. 

Si l’on ajoute une distribution tout à fait exceptionnelle, on peut sans hésiter parler du plaisir immense de voir cet opéra dans des conditions absolument idéales que Richard Strauss n’aurait sûrement pas renié, tant l’esprit comme la réalisation lui sont fidèles.

Le compositeur est efficacement incarné par Tara Erraught que j’avais déjà entendue dans ce rôle à Munich il y a quelques années. La voix de la mezzo-soprano n’a rien perdu de son lustre et de sa puissance, et l’on perçoit avec émotion sa déception voire son désespoir de voir sa création si peu respectée. L’écriture musicale n’est pas des plus faciles durant les longues intervention de son personnage lors du Prologue, et elle maitrise parfaitement toutes les difficultés propre à l’écriture straussienne avec une voix d’une grande maturité alliée à un très beau timbre. 

Le rôle de Zerbinetta à l’opposé, est celui d’une soprano colorature dont la partition nécessité envolées pyrotechniques permanentes, vocalises, aigus et suraigus en mode forte, et virtuosité à toute épreuve. Les qualités de Olga Pudova sont à la hauteur des enjeux, sa silhouette mince et fine lui permet d’incarner une sorte de jolie fée mutine sautillant de joie lors du Prologue comme lors de son rôle officiel dans l’Opéra et le caractère charnu et  ample de son timbre d’une grande richesse en harmoniques, nous comble de bonheur durant l’ensemble de sa prestation. En contraste volontairement absolu et voulu par Strauss, on découvre la magnifique Ariadne d’Okka von der Damerau qui en impose sur le plateau de tous les points de vue : timbre opulent, puissance de l’émission, beauté du chant, et finesse du jeu scénique. Membre de la troupe de Munich depuis des années, elle était Dryade en 2017, elle est Ariadne aujourd’hui, progression logique d’une soprano dramatique qui chante désormais sur toutes les scènes internationales. Elle était une magnifique Brangäne à Paris lors du dernier Tristan et Isolde mis en scène par Sellars, elle avait d’ailleurs également tenu avec talent ce rôle à Munich un an auparavant.

Son Bacchus, l'étonnant heldenténor Andreas Schager, lui est parfaitement assorti : la puissance de leurs voix comme la beauté de leurs timbres sans faille de chanteurs dramatiques, valorisent une partition volontairement très tendue, dans des rôles assez sommaires sur le plan théâtral, qui affirment leur présence au travers de leurs monologues puis de leur duo final dont la montée en décibels fait partie de l’excitation très particulière qui nait de ce final grandiose. Rappelons qu'Andreas Schager, venu de l'opérette, est désormais l'un des plus incontournables interprètes de Wagner, de Siegfried à Tannhauser, et l'entendre dans Strauss prouve sa formidable adéquation à ce répertoire également.

Et autour de ces chanteurs de références, nous avons une véritable équipe d’excellents interprètes, parmi lesquels on citera d’abord les trois nymphes, Jasmin Delfs, Emily Sierra et Jessica Niles dont les voix magnifiques et harmonieuses et la grâce de leurs gestes, ont fait merveille hier soir, leur attirant une ovation spécifique durant les saluts au rideau. Des noms à retenir.

Le majodorme est incarné par l’acteur Udo Wachtveitl dont la présence sur scène est intense et particulièrement juste.

Parmi les « italiens » de la commedia dell’arte, on découvre avec plaisir l’excellent Harlekin de Konstantin Krimmel, baryton qui, lui aussi fait de plus en plus parler de lui -chanteur de Lied comme d’opéra- et les Scaramuccio de Joel Williams, Truffaldin de Daniel Noyola et Brighella de Liam Bonthrone, tous des habitués de la scène munichoise. Excellents maître de musique du baryton Jochen Schmeckenbecher, valeur « sûre » et de danse du jeune ténor, Jonas Hacker, particulièrement à l’aise scéniquement et du perruquier du baryton Andrew Hamilton.

L’ensemble est dirigé avec force et efficacité par cet autre habitué de Munich le chef d’orchestre Lothar Koenigs avec un orchestre d’une grande qualité (habituelle) rompu à la musique de Richard Strauss et qui la sert magnifiquement.

Public absolument sous le charme pour une soirée très réussie.

 

 

 

Les artistes :  

Direction musicale :  Lothar Koenigs

Mise en scène :   Robert Carsen

Décors : Peter Pabst

Costume :       Falk Bauer

Lumières :  Manfred Voss

Choreographie            Marco Santi

Dramaturgie   Ingrid Zellner


Der Haushofmeister   Udo Wachtveitl

Ein Musiklehrer         Jochen Schmeckenbecher

Der Komponist           Tara Erraught

Der Tenor / Bacchus  Andreas Schager

Ein Offizier    Granit Musliu

Ein Tanzmeister         Jonas Hacker

Ein Perückenmacher  Andrew Hamilton

Ein Lakai        Christian Rieger

Zerbinetta       Olga Pudova

Primadonna / Ariadne Okka von der Damerau

Harlekin          Konstantin Krimmel

Scaramuccio   Joel Williams

Truffaldin       Daniel Noyola

Brighella         Liam Bonthrone

Najade Jasmin Delfs

Dryade Emily Sierra

Echo   Jessica Niles

 

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