Salomé de Richard Strauss à Munich dans la mise en scène de Warlikowski, un dernier verre avant la mort ?

Salomé


Richard Strauss

 

Drame en un Acte, Op. 54

Livret De Richard Strauss d’après Salome d’Oscar Wilde

Créé le 9 Décembre 1905 À l’Opéra Royal De Dresde


Représentation du 4 mars 2023 à l’Opéra de Munich

Photos Wilfried Hoesl

Salomé est un opéra coup de poing, court, percutant, perturbant, sorte d’hymne à la mort et à la destruction, résultat incandescent de la rencontre entre une pièce sulfureuse qui fit scandale d’Oscar Wilde et le compositeur Richard Strauss alors bien décidé à bousculer la musique et ses règles du jeu.

Depuis que l’art lyrique bénéficie de vrais metteurs en scène de théâtre, réhabilitant l’une de ses dimensions essentielles, tous les grands noms s’y sont frottés et ces deux dernières années notamment, nous avons pu voir se succéder les propositions de Roméo Castelluci à Salzbourg, très dépouillée et minimaliste ou celle de Hans Neuenfels à Berlin, très décadente et peu convaincante, voire celle de Lydia Steier à Paris Bastille, expressionniste et crue ou de Andrea Breth, plus onirique et romantique, au festival d’Aix-en Provence l’été dernier.

Krzysztof Warlikowski a proposé sa lecture en 2019 à Munich, alors que le directeur musical de l’époque, Kiril Petrenko dirigeait pour la première fois cette œuvre.

Les points de vue ont été généralement critiques, reprochant notamment au metteur en scène Polonais, une propension à perdre le spectateur dans de multiples références historiques et culturelles, peu aisées à décrypter, qui conduiraient à un affaiblissement d’un propos suffisamment intéressant à lui tout seul pour ne pas chercher à l’illustrer ou à le recadrer.

Paradoxalement, cette recherche complexe très Warlikowskienne, donne finalement un spectacle haut en couleurs et très attachant. Choisissant d’enfermer l’action dans un lieu superbe mais en perdition, celui d’une magnifique bibliothèque talmudique tout en bois, dominante rouge et claustra pour les portes d’accès, remplie jusqu’aux cintres de livres d’abord bien ordonnés et référencés, puis peu à peu en désordre, voire à moitié détruits, Warlikowski nous livre une sorte de huis-clos qu’on peut imaginer comme une mise en abyme où un groupe de juifs pratiquants regroupés, ghettoïsés, « joueraient » en quelque sorte la pièce de Wilde et son message de mort, comme une horrible vision prémonitoire du sort des Juifs en Europe centrale dans les années 30-40.

Outre la beauté incroyable du décor de Małgorzata Szczęśniak, ainsi réalisé, celle-ci se double d’une projection émouvante pendant la danse des sept voiles, des peintures fantastiques qui ornaient la synagogue en bois de Chodorov, détruite par les nazis en 1941, lesquelles sont transformées en film d’animé, réalisé par Kamil Polak, non sans une touche de légèreté et d’humour, la petite licorne esquissant quelques mouvements grâcieux en renâclant. Le dessin se forme peu à peu puis disparait peu à peu dans le même mouvement.

Détails du plafond de la synagogue en bois à Chodorov, reconstitué.


Il y a tant d’allusions à l’Histoire qu’on ne saurait les citer toutes mais elles convergent toutes vers l’incursion du drame des juifs d’Europe centrale et de leur extermination, qui a abouti à la quasi-disparition de leur culture.

Ainsi pour représenter la citerne où Jochanaan, le prophète, est emprisonné, le décor s’ouvre en deux parties pour laisser apparaitre une piscine en son centre, symbole de celle que les Nazis avaient construit dans la Nouvelle Synagogue de Poznan, réquisitionnée par la Wehrmacht. La scène du banquet devient le temps du repas de la communauté qui installe alors ses grandes tables et s’installe face à la salle, façon « cène ». 

Salomé est vêtue d’une robe de mariée blanche et danse avec la mort dans une superbe chorégraphie, à la manière de la célèbre scène de Portier de Nuit de Liliana Cavani et la scène de caricature autodérisoire des Juifs par eux-mêmes qui ouvre l’opéra, renvoie à de multiples représentations de ce type, jusqu’au Mr Klein de Joseph Losey où les Juifs croient exorciser ces moqueries en les reprenant à leur compte sous forme d’ultime tentative naïve d’éloigner les démons.



Un dernier verre avant la mort ? 

Ce Salomé crépusculaire est marqué avant même de commencer par ce qui semble être un dernier loisir avant le funeste destin. Pendant la scène satirique d’ouverture, on entend en effet l’enregistrement de l’un des Kindertotenlieder de Gustav Mahler chanté par la merveilleuse Kathleen Ferrier, qui excelle à faire ressentir la tristesse infinie du « jamais plus ».

Et à la fin, alors que Salomé exulte de cette joie malsaine et horrible et se vante de sa vengeance ultime, pouvoir enfin embrasser les lèvres de la tête coupée de Jochanaan, la pièce est finie, les morts se relèvent (et notamment Narraboth resté sagement allongé au premier plan depuis qu’il s’est « tué » ou Jochanaan qui a retrouvé sa tête) pour une ultime pirouette de Warlikowski qui donne sens à l’ensemble, ce dernier sinistre loisir avant l’extermination. Les spectateurs comme les acteurs de ce que nous venons de voir, se donnent tous la mort en s’empoisonnant. 

Mais au-delà des appréciations qui resteront sans doute diverses, de la mise en scène, il faut saluer la direction d’acteurs d’une précision millimétrée très efficace, respectant la tension dramatique de l’oeuvre et le très beau jeu scénique de l’ensemble des protagonistes.

Outre ces qualités, le plateau vocal est très équilibré et très bien servi.

Le rôle-titre de Salomé est tenu par la soprano lituanienne, Vida Miknevičiūtė, coiffée de la perruque noire que portait Marlis Petersen lors de la création de la production à Munich, habillée de la même robe rouge, leurs silhouettes similaires pourraient d’ailleurs faire illusion jusqu’au moment où Vida Miknevičiūtė chante. Sa voix est en effet infiniment plus corsée, tout en conservant fraicheur et jeunesse seyant au rôle, plus riche en harmoniques, capables de franchir le mur de l’orchestre lors des déchainements de ce dernier ou d’exprimer la douceur obstinée d’une petite fille têtue qui veut embrasser le Prophète par tous les moyens.

Outre une capacité à incarner jusqu’au bout des ongles le personnage qu’elle interprète, la soprano que nous avons eu l’occasion d’apprécier récemment déjà en Elsa puis Sieglinde à Berlin, et qui fut récemment Giuditta dans cette même salle de Munich, est littéralement incandescente et transmet sa passion à un public totalement conquis. Le rôle est pourtant difficile mais la domination technique évidente de la soprano sur la partition, lui permet toutes les audaces d’interprétations, les aigus flamboyants, les graves soutenus, les nuances infinies, tout ce qui fait les « grandes » Salomé. Une carrière à suivre de très près !

Gerhard Siegel, fabuleux Loge (le meilleur actuellement) de référence, est également un très bon Herodes, rôle qu’il reprend souvent et avec une sorte d’insolence de prince indétrônable, une voix qui projette magnifiquement et toute l’autorité qui sied au personnage. Très bon acteur, il sait aussi faire entendre ses doutes et même son désarroi lors du final, après avoir campé un personnage sûr d’obtenir satisfaction à tous ses désirs même les plus fous.

L’Herodias de Tanja Ariane Baumgartner est également un plaisir des yeux et des oreilles. La mezzo-soprano est une habituée des rôles straussiens et wagnériens et se promène littéralement dans ce répertoire exigeant, dominant les flots de l’orchestre sans avoir l’air d’y toucher, très séduisante dans toutes les ambiguïtés de son rôle.

Même si Iain Paterson n’est sans doute plus aussi brillant qu’il le fut, son Jochanaan garde fière allure et globalement c’est très bien chanté même si cela manque parfois de l’impact solennel que l’on attend du Prophète. On peut regretter que, comme souvent, quand sa voix vient de sa prison, elle perd beaucoup en volume et devient par instant insuffisamment audible. C’était déjà le cas dans le même rôle il y a quelques mois à l’Opéra Bastille à Paris.

Le Narraboth  du jeune ténor Evan LeRoy Johnson qui chante souvent à Munich, de Cassio à Rodolfo en passant par Macduff, se sort fort bien de ce rôle musicalement très beau mais dramatiquement assez insignifiant, d’autant plus qu’il se donne la mort assez rapidement et que la mise en scène, à l’instar de l’indifférence des protagonistes dans l’opéra de Strauss, ignorent son corps abandonné sur l’avant-scène, durant tout le reste de la représentation. Son chant très romantique et très nuancé, offre une très belle incarnation tout comme d’ailleurs celle de son complice le page, interprété par Christina Bock, déguisée en femme.

Comme toujours à Munich (mais on ne se lassera pas de le dire), les habitués de l’équipe de chanteurs, font merveille et notamment les Juifs de Ya-Chung Huang, Brenton Ryan, Dean Power, Kevin Conners et Daniel Noyola, dans leur fameuse querelle que j’ai trouvée moyennement mise en valeur par la mise en scène.

Enfin, l’orchestre de l’Opéra de Munich était en très grande forme, avec des passages d’une exceptionnelle beauté, ne couvrant pas les chanteurs mais ne ménageant pas le recours aux montées excitantes de décibels d’une partition qui ose quelques dissonances impressionnantes et modernes. J’ai déjà vu ici Constantin Trink dans divers opus et il est incontestablement un très bon chef d’opéra.

A la veille de la Première très attendue du rare « Guerre et Paix » de Prokofiev, ce crépusculaire Salomé était là pour rappeler comment sont bruyants les bruits de tambours et de bottes de nos jours.

Le public très nombreux a réservé une ovation très appuyée aux chanteurs, à l’orchestre et à son chef. 


Direction musicale :  Constantin Trinks

Mise en scene : Krzysztof Warlikowski

Assistante mise en scène : Marielle Kahn

Décors et costumes : Małgorzata Szczęśniak

Lumière : Felice Ross

Video : Kamil Polak

Choreographie : Claude Bardouil

Dramaturgie   Miron Hakenbeck, Malte Krasting

 

Herodes          Gerhard Siegel

Herodias         Tanja Ariane Baumgartner

Salome            Vida Miknevičiūtė

Jochanaan       Iain Paterson

Narraboth       Evan LeRoy Johnson

Ein Page der Herodias           Christina Bock

Erster Jude      Ya-Chung Huang

Zweiter Jude   Brenton Ryan

Dritter Jude     Dean Power

Vierter Jude    Kevin Conners

Fünfter Jude    Daniel Noyola

Erster Nazarener        Tilmann Rönnebeck

Zweiter Nazarener     Jonas Hacker

Erster Soldat   Milan Siljanov

Zweiter Soldat            Bálint Szabó

Ein Cappadocier         Gabriel Rollinson

Eine Sklavin   Elmira Karakhanova

Frau des Cappadociers           Sophia Julia Schützinger

Der Tod Peter Jolesch

 

 

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