Très belle entrée de "Nixon in China" de John Adams, au répertoire de l'Opéra de Paris
Nixon in China
John Adams
(livret en anglais de Alice Goodman)
Opéra en 3 actes de John Adams (1987)
Livret d'Alice Goodman
Représentation du 29 mars à l’Opéra de Paris
Mais à l'époque, Nixon rendant visite à Mao Tsé Toung (et rencontrant surtout Chou en Lai), c'était une vraie rupture, qui plus est en pleine guerre du Vietnam, un peu avant que le Watergate ne le conduise à démissionner et que le procès de la "Bande des Quatre" (dont Madame Mao) ne signe la fin officielle de la révolution culturelle.
Valentina Carrasco nous propose une mise en scène assez époustouflante sur la plupart des tableaux mais semble peiner à donner une cohérence à l'ensemble, notamment du fait de l'ajout discutable de cette fameuse Vidéo d'Isaac Stern "De Mao à Mozart" qui est trop longue et casse le rythme pourtant assez relevé jusqu'à cette partie.
Mais cette réserve mise à part, j'ai beaucoup aimé le focus (juste) qu'elle opère sur le choc des civilisations qui est le cœur du propos d'Adams (assez peu intéressé aux questions purement diplomatiques).
Le plus beau des symboles en est sans doute cette très belle scène de la "Belle et la bête" qui introduit ce beau dragon rouge, ondulant de la croupe et draguant littéralement la "Belle", Pat Nixon (ou Renée Fleming), qui lui flatte le museau et entreprend un mouvement fort gracieux avec "l'animal" légendaire qui revient ensuite à plusieurs reprises. La Chine et l'Amérique dans ce qu'elles ont d'attirance réciproque, sorte de révélation du voyage en terre inconnue pour les époux Nixon et vision rêvée pour Pat Nixon durant son long monologue poétique.
Mais il y a des milliers de trouvailles qui suscitent à chaque fois un intérêt perceptible du public : l'atterrissage de l'avion présidentiel représenté par un énorme oiseau, aigle gris, descendu des cintres et qui se pose délicatement au sol, on reverra ses yeux rouges durant la nuit qui précède le départ puis son décollage final, les parties de ping-pong et notamment celle à quatre qui est un véritable ballet juste avant que les "danseurs" ne se figent, une balle restant en l'air, devenant lumineuse et se démultipliant dans un ensemble impressionnant comme des milliers d'étoiles, les visites de Pat Nixon qui ressemblent à un livre d'images pour enfants, le fin voile transparent qui sert de rideau translucide avec vidéos d'actualités tandis qu'on voit les chanteurs, les chœurs, agir sur scène, la bibliothèque impressionnante de Mao lors du dialogue (de sourds) entre le président du PCC et celui des USA, tandis qu'à l'étage en dessous, dans une atmosphère de lumière rouge, on brûle les livres interdits et on tabasse ceux qui les lisent, Madame Mao terminant son show toute drapée de rouge conformément à son surnom d'alors, "l'impératrice rouge" et j'en oublie.
J'ai trouvé l'ensemble porteur de sens, chacune des "civilisations" qui se font face n'ont pas que leur histoire présente, faite de violence des deux côtés, mais aussi leurs traditions sociétales et culturelles qui s'affrontent, avec leurs marges d'incompréhension réciproque.
Musicalement, l'oeuvre est davantage inspirée des musiques américaines dans leur acceptation diversifiée d'alors, que d'une quelconque sonorité asiatique mais elle est originale et son rythme obsessionnel rend parfaitement compte des tensions permanentes de la rencontre historique. Beaucoup d'instruments solistes (ou à deux) sont sollicités, notamment des duos des deux pianos de la fosse, grand moment d'émotion.
Gustavo Dudamel est tout à fait à l'aise avec cette musique-là, il aime ce melting-pot instrumental et sonore, il est comme un poisson dans l'eau (comme dirait le président Mao Tsé Toung) et d'ailleurs il s'offre la facétie de se cacher dans le dragon rouge pour venir saluer.
Le Richard Nixon de Thomas Hampson est sans doute un peu usé dans les aigus mais je craignais bien pire et globalement il se tire très bien du rôle notamment dans son grand show du début, son sens du rythme de la musique qui swingue y est pour beaucoup tout comme d'ailleurs pour la Pat Nixon de Renée Fleming, avec le même problème dans les aigus, mais une pâte crémeuse qui fait rêver avec un respect du rythme de cette musique et puis, tellement de charme. Les deux artistes sont d'évidents habitués de ce genre musical.
Les plus brillants sont cependant le Zhou Enlai de Xiaomeng Zhang et le Henry Kissinger de Joshua Bloom, comme si les seconds couteaux qui font et défont les rencontres diplomatiques, avaient décidé de s'imposer aussi sur scène.
Le Mao-Zedong de John Matthew Myers est assez effacé (le "vieil" homme est souffrant...) mais la Chiang Ch'ing de Kathleen Kim est juste éblouissante : j'ai rarement entendu une prestation vocalement aussi parfaite dans une tessiture complexe avec beaucoup d'aigus dont elle darde crânement l'air, redressant toujours le menton dans une attitude autoritaire parfaitement conforme à la réputation du personnage. Une performance à marquer d'une pierre blanche en ce qui me concerne.
Très bons seconds rôles également (notamment les gardes rouges en pom pom girls pendant les tournois de ping pong), et excellents chœurs très sollicités.
Une soirée électrisante et passionnante pour une oeuvre qui entre ainsi au répertoire de l'Opéra de Paris, et qu'on voit avec un immense plaisir. D'ailleurs la salle était ravie alors que l'essentiel des spectateurs découvrait l'oeuvre.
Les artistes sont :
Mise en scène, Valentina Carrasco
Costumes, Silvia Aymonino
Décors, Carles Berga / Peter van Praet
Création sonore, Mark Grey
Direction musicale, Gustavo Dudamel
Cheffe des chœurs, Ching Lien-Wu
Richard Nixon, Thomas Hampson
Pat Nixon, Renée Fleming
Zhou Enlai, Xiaomeng Zhang
Mao-Zedong, John Matthew Myers
Henry Kissinger, Joshua Bloom
Chiang Ch'ing, Kathleen Kim
Nancy Tang, Yajie Zhang
Deuxième secrétaire de Mao, Ning Liang
Troisième secrétaire de Mao, Emmanuela Pascu
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