Le Tannhäuser de Jonas Kaufmann dans la mise en scène de Castellucci à Salzbourg, une soirée choc !

Tannhäuser

Richard Wagner (1813–1883)

"Tannhäuser und der Sängerkrieg auf Wartburg"

Opéra romantique en trois actes

 

Festival de Pâques de Salzbourg 2023

Séance du 1er avril, ouverture du festival

 

 

Tannhäuser est tout à la fois l'une des plus belles partitions de Wagner et l'un des récits les moins complexes et riches en péripéties, ce qui rend souvent difficile sa mise en scène. Roméo Castellucci a choisi, à son habitude, d'illustrer au sens premier du terme, les tableaux successifs, comme un peintre formidablement inspiré par la musique de Wagner dans laquelle son esthétisme se fond admirablement.

Inutile donc de chercher dans les détails de sa mise en scène, le sens profond des symboles qu'il a choisis, à partir du moment où l'on comprend très vite cette volonté de laisser un cadre qui marquera les mémoires de manière indélébile dès qu'on entendra à nouveau ce Tannhäuser.

Cette mise en scène avait été proposée à Munich sous Nikolaus Bachler, alors directeur du théâtre bavarois, elle est reprise pour l'ouverture du premier festival de Pâques de Salzbourg qu'il dirige à présent.

Même si, comme d'habitude, elle n'a pas fait l'unanimité et a essuyé quelques huées aux saluts, elle a globalement produit un effet de recueillement du public, sidéré par la beauté des images et des scènes, et surtout parfaitement en phase avec l'oeuvre maitresse de Wagner.

L'ouverture de Tannhäuser est le plus célèbre des morceaux orchestraux de Wagner. Castellucci l'illustre avec ses désormais célèbres amazones qui d'un même mouvement lent dressent progressivement leurs archers pour envoyer des flèches dans l'œil dessiné en hauteur puis une oreille. Les dards de Vénus rendent aveugle et sourd. L'harmonie entre ces mouvements qui pourraient constituer un spectacle en tant que tel, et les leitmotivs récurrents et sublimes de l'ouverture, est totale et l'on entre de la plus belle manière dans l'oeuvre de Wagner. On ne souligne pas suffisamment à quel point une mise en scène peut sublimer une musique, Castellucci, plasticien de génie, l'a souvent montré, qu'on se rappelle son illustration magistrale de Résurrection de Gustav Mahler cet été à Aix. 

Avec ses nouveaux interprètes et surtout dans un autre lieu, Castellucci a modifié quelques décors notamment la montagne de chairs formée par des danseuses entrelacées au sommet de laquelle trônait une Vénus elle-même très volumineuse. Nous avions cette fois plutôt un ensemble de jeunes filles dont les longs bras apparaissaient comme autant d'appendices d'une Vénus plus élégante et plus mobile, saisissant Tannhäuser pour l'empêcher de fuir, le faisant tomber, l'enlaçant, un peu à la manière des filles fleurs de Parsifal. Une scène absolument superbe pour introduire en quelque sorte cet opéra, où rien n'est laissé au hasard puisque Castellucci assure non seulement la scénographie mais aussi les costumes (robe rouge pour Vénus, ensemble sombre pour Tannhäuser, vêtements très clairs pour les "filles"). 

Ce procédé qui demande certainement un travail gigantesque en amont, et qui consiste à utiliser abondamment la chorégraphie de très nombreux danseurs, pour figurer nombre d'objets vaguement effrayants ou très romantiques, donne du mouvement à cette série de tableaux vivants et fascine l'œil du spectateur qui en prend plein la vue.

On ne décrira pas toutes les trouvailles de Castellucci, ce serait fastidieux mais la simple beauté des décors successifs est déjà une très grande réussite. Le retour de Tannhäuser parvenant à échapper à Vénus, se fait sur un plateau soudain presque désert, la campagne de Wartburg, où chante seul le petit pâtre avant que n'apparaissent les anciens compagnons Minnesänger de retour de pèlerinage à Rome.

La grande salle d'apparat de la Wartburg où se déroule l'acte 2 est représenté par de longs rideaux blancs très légers qui descendent jusqu'au sol et forment autant de colonnes entourant un centre avec "podium" translucide à l'intérieur duquel on aperçoit des formes noires qui représentent la tentation du mal à laquelle va être soumise Tannhauser. L'ensemble des chanteurs ainsi qu'Elisabeth sont entièrement vêtus de blancs, longues aubes pour les hommes, robe transparente pour elle.

Et l'une des scènes les plus saisissantes est d'ailleurs l'attaque d'une de ces formes noires qu'il va subir à l'issue de sa condamnation, et qui va le couvrir d'une suie salissant sa robe tandis qu'il s'en défait difficilement, le genre de scène qu'on imagine davantage au cinéma avec effets spéciaux qu'en direct sur un plateau de théâtre mais on sait Castellucci très doué pour ce genre de réussite étonnante et impressionnante, la créature ne paraissant jamais vraiment réelle quand elle se roule au sol enserrant Tannhäuser.

Le dernier acte enfin est sombre, plateau dénudé, deux tombes noires, et surtout, ces fameuses inscriptions sur le fond qui placent l'histoire dans l'éternité de l'amour impossible en déroulant le temps qui passe d'une seconde à des milliards d'années. Tannhäuser ne rentrera pas à temps de son pèlerinage, Elisabeth mourra avant, l'entrainant à son tour dans la mort inéluctable.

Ils ne se retrouveront qu'à la toute fin, comme des spectres contemplant les cendres qui restent de leurs corps morts dans une éternité improbable et s'étreignant enfin.

Mise en scène choc et il faut le dire aussitôt, très bien servie par l'ensemble des chanteurs avec lesquels Castellucci a longuement travaillé car rien d'aussi parfait ne saurait exister autrement. 

Mais nous avons là, si on excepte Emma Bell qui a remplacé Elina Garança tombée malade, des chanteurs qui se connaissent bien et ont déjà très souvent travaillé ensemble. Ils se montrent une fois encore très bons acteurs, très à l'aise dans le parti pris de Castellucci comme dans l'oeuvre de Wagner, et nous offre un spectacle comme on n'en voit rarement à ce niveau d'osmose et de perfection surtout pour une Première.

Évidemment une bonne partie de la salle (et des critiques) avait fait le déplacement pour le premier Tannhäuser de Jonas Kaufmann, et à l'instar de son premier Tristan il y a presque deux ans, nous avons été comblés par l'intelligence et la musicalité exceptionnelle dont il a fait preuve tout au long de la soirée pour incarner ce "héros", symbole de la recherche impossible de la rédemption, bousculé par Vénus puis par les "singer", et qui ne parviendra jamais à assouvir son véritable amour pour avoir trop aimé celui des sens.

La partie est particulièrement difficile mais elle ne nécessite pas, et l'on en est convaincu en l'entendant, une voix de stentor, bien au contraire. Comme son Tristan, et ce faisant Kaufmann réouvre la voie en quelque sorte à des chanteurs plus subtils que le heldentenor de "base", son Tannhäuser est tout en nuances de toute beauté et qui font sens. Un sort particulier est fait à chaque phrase musicale, chaque note parfois, les leitmotivs ne sont jamais chantés deux fois de la même manière (ce qui est beaucoup plus difficile à réaliser d'ailleurs qu'un chant monocorde en mode stentor), on entend au travers de son interprétation unique, les hésitations du héros, ses colères, ses supplications, sa résignation. Son récit de Rome" en conclusion est l'un des plus beaux jamais entendus sur scène.

Le ténor, après quelques difficultés vocales récentes, a retrouvé la plénitude de ses moyens pour cette prise de rôle et on ne peut que se féliciter qu'il ait songé à se reposer avant de l'aborder car ce n'est pas une partie de plaisir ! 

A son habitude, mais c'est bien pour cela qu'on va le voir, il offre un portrait original et jamais vu ni entendu, "le" Tannhäuser de Jonas Kaufmann, il aura donc automatiquement ses détracteurs qui rappelleront quelques gloires du passé mais, personnellement, je suis aux anges de pouvoir découvrir une "autre" manière d'incarner le personnage et la personnalité charismatique de Kaufmann irradie incontestablement l'ensemble de la scène. Il a d'ailleurs été très applaudi 

A ses côtés (et dans l'affrontement final en particulier) le Wolfram de Christian Gerhaher est parfaitement rodé, le chanteur l'a incarné maintes fois et notamment d'ailleurs lors des précédentes représentations de cette mise en scène à Munich. En excellent chanteur de Lied, il est parfait pour ce rôle qui nécessite de savoir donner toute la douceur lyrique nécessaire à la romance de l'Etoile avant de monter nettement le volume pour le final, ce qu'il fait très bien sans surprise. 

Dommage que le Landgraf von Thüringen soit un rôle finalement assez court car Georg Zeppenfeld, très applaudi lui aussi, a une autorité et une musicalité magnifiques, très en phase d'ailleurs avec Kaufmann et Gerhaher comme si leur interprétation de Wagner était exactement la même. 

Emma Bell que j'avais déjà entendu sans être convaincue, en Vénus il y a quelques années à Berlin, a bénéficié de l'indulgence des spectateurs vues les conditions courageuses de son remplacement de dernière minute de la superstar Elina Garança très attendue elle aussi dans sa prise de rôle. Mais elle n'est décidément pas une Vénus, la voix est trop rétrécie dans les aigus, l'opulence nécessaire n'est pas au rendez-vous. Disons tout de suite malgré tout, qu'elle n'a pas démérité et qu'elle m'a d'ailleurs paru plus à l'aise qu'à Berlin, peut-être dans un environnement d'interprètes lui convenant mieux (Kaufmann versus Schager...), en tous cas, c'était tout à fait acceptable.

Je suis plus circonspecte concernant Marlis Petersen en Elisabeth. Outre que j'aurais rêvé, comme d'autres, que Kaufmann chante avec Anja Harteros, créatrice du rôle dans cette mise en scène et "sa" partenaire idéale, il est clair que Petersen n'est pas très à l'aise dans Wagner. La voix bouge beaucoup, elle ne parvient pas toujours à produire les longues notes de son "Dich teure Halle grüß ich wieder" sans reprendre son souffle et si, par la suite cela s'arrange, la voix se chauffe et l'actrice est très émouvante, on reste quand même un peu frustré. Ce qui ne justifie nullement les quelques huées qu'elle a essuyées aux saluts, soit dit en passant.

Les seconds rôles où l'on retrouve des membres de la troupe de Munich qui ont eux aussi souvent chanté avec Kaufmann, Petersen et Gerhaher, comme Dean Power (Heinriche der Schreiber), ou des habitués des scènes allemandes comme le très beau ténor Sebastian Kohlhepp (Walther von der Vogelweide), ou l'excellent baryton Edwin Crossley-Mercer (Biterolf), bref on n'est pas dans l'à peu près mais dans le luxe de tous les points de vue !

Concernant la direction musicale de Andris Nelsons, qui semble avoir été diversement appréciée par les critiques, je dirais qu'il n'a certainement pas le génie d'un Petrenko (qui dirigeait la première série à Munich) mais que son travail est intéressant avec de très beaux moments comme la suite Ouverture/Bacchanales de Vénus. Il a un profond respect des chanteurs qu'il accompagne avec soin sans jamais les couvrir ou les forcer à aller au-delà de leurs moyens (dans Wagner, c'est hélas, courant) et son interprétation est finalement assez en phase avec eux. 

A l'heure des saluts on voyait le bonheur des chanteurs ayant participé à cette aventure de toute beauté, et notamment celui de Kaufmann, ayant réalisé un de ses challenges, et qui se rappelait peut-être à cette occasion qu'il avait chanté il y a très longtemps le modeste rôle de Walther. Il faut un début à tout!



Les photos sont de Monika Rittershaus, et se trouvent sur le site du Festspielhaus.

Direction musicale : ANDRIS NELSONS

Mise en scène et tout le reste : ROMEO CASTELLUCCI

Choreographie CINDY VAN ACKER

Lumière BENEDIKT ZEHM, MARCO GIUSTI

Dramaturgie PIERSANDRA DI MATTEO, MALTE KRASTING

 

Hermann, Landgraf von Thüringen GEORG ZEPPENFELD

Tannhäuser JONAS KAUFMANN

Wolfram von Eschenbach CHRISTIAN GERHAHER

Walther von der Vogelweide SEBASTIAN KOHLHEPP

Biterolf EDWIN CROSSLEY-MERCER

Heinrich der Schreiber DEAN POWER

Reinmar von Zweter ALEXANDER KÖPECZI

Elisabeth, Nichte des Landgrafen MARLIS PETERSEN

Venus EMMA BELL

Ein junger Hirt EMILY POGORELC

Commentaires

  1. Après la retransmission d'hier, je relis ce beau compte-rendu
    avec lequel je suis tout a fait d'accord. Une divergence toutefois pour Gerharer qui, hormis la romance a l'etoile finale , ou il est très bien, chante d'une manière épouvantablement maniérée (amha) le reste du temps. Je suppose.que en salle les tempi hyperlents se justifiaient. A l'audio seulement c'est un peu limite ( Gerharer encore...)

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