Revoir la Bohème à Paris avec une belle distribution et une magnifique direction musicale

La Bohème



Giacomo Puccini

Opéra en quatre tableaux (1896)

D’après Henry Murger, Scènes de la vie de bohème

Livret Giuseppe Giacosa et Luigi Illica

 

Séance du 8 mai à l’Opéra Bastille

Photos Guergana Damianova

 

 

Heureux parisiens qui peuvent voir deux Bohèmes successives en mai et juin dans la capitale ! L’opéra de Puccini est de ceux dont on ne se lasse pas, sans doute parce qu’il est extrêmement contrasté musicalement tout en restant simple d’approche, et très précurseur des musiques de films par exemple, mais aussi parce qu’il raconte l’histoire touchante de quatre jeunes gens artistes et bohèmes dans le Montmartre d’autrefois, et de deux jeunes filles, celle "qu’on appelle Mimi" et dont le poète Rodolfo tombe amoureux, et Musette, la fantaisiste au grand cœur qui réchauffe celui des pauvres hères en mal d’argent et parfois d’inspiration.

L’Opéra de Paris propose une reprise de la mise en scène très controversée (mais célèbre) de Claus Guth, le Théâtre des Champs Elysées (TCE) quant à lui, proposera le mois prochain, une Bohème mise en scène par Eric Ruf

Dans les deux cas la direction musicale est enthousiasmante, celle de Michelle Mariotti à Bastille comme celle de Lorenzo Viotti au TCE et dans les deux cas, la distribution des deux rôles principaux (Mimi et Rodolfo) éveille intérêt et curiosité et mérite d’être entendue : Ailyn Perez et Joshua Guerrero pour Bastille, Selene Zanetti et Pene Pati pour le TCE, auxquels il faut d’ailleurs ajouter l’excellent Alexandre Duhamel en Marcello et la belle Amina Edris en Musetta (on y reviendra le mois prochain).

Malgré les multiples controverses, je n’ai pas hésité à aller revoir la Bohème à Bastille et pour ne pas monopoliser l’attention sur la mise en scène, je commencerai par ce qui a été l’incontestable réussite de la soirée et a totalement et sans réserve, conquis le public fort nombreux au parterre : la conduite musicale toute en nuances, tensions sans excès mais réelles dans les parties dramatiques si bien écrites par Puccini, douceur de l’écrin orchestral pour les parties romantiques et lyriques, fantaisie et humour rendus avec légèreté en évitant tout excès vériste, beauté des parties purement instrumentales. L’orchestre de l’Opéra en grand forme nous offre une magnifique prestation sous la direction d’un des chefs les plus inspirés dans l’opéra italien, Michele Mariotti et c’est un très grand plaisir qui domine tout le reste.

Ce, d’autant plus que l’équipe de chanteurs, également excellents acteurs ce qui est indispensable dans la Bohème, est globalement de haut niveau et possède ces fameuses qualités incontournables que sont la présence sur scène, le charisme des personnalités et la faculté d’exprimer les émotions au travers des différentes colorations du chant.

Autant je n’avais pas été vraiment convaincue par sa Manon dans ce même opéra Bastille, autant je trouve Ailyn Perez divine en Mimi : tout son art de la nuance, ses aigus larges et déployés, son timbre fruité et délicieux, trouvent leur bonheur dans cette partition qui lui va comme un gant et à qui elle rend justice en campant une Mimi qui n’est pas une « petite chose victime de son destin » mais une jeune femme qui aspire au bonheur sans savoir saisir sa chance à temps et sans oser vivre son amour avec le poète inconscient des dangers que court la cousette dans le froid hiver sans chauffage. Et le poète en question, Rodolfo, c’est le ténor Joshua Guerrero dont j’avais déjà eu la chance d’apprécier la formidable présence sur scène, à l’Opéra de Francfort, déjà dans Puccini d’ailleurs, le Des Grieux de sa Manon Lescaut. Mais autant à Francfort, il avait parfois montré des difficultés dans les aigus, autant hier soir à Paris, il était en grande forme vocale, même si parfois la voix montre quelques scories dans le medium, vite éliminées. Excellent acteur, il investit littéralement son rôle, lui donnant une dimension qui dépasse là aussi les interprétations trop lisses des ténors surtout occupés à réussir leurs grands airs. La voix est puissante et fort bien projetée, le timbre est de ceux que l’on n’oublie pas, plutôt sombre, riche en harmoniques, un rien de raucité qui accentue son charme très particulier et surtout un engagement phénoménal qui a rallié très rapidement tous les suffrages. A la fin du duo de l’acte 1, avec beaucoup de classe et de maitrise, loin des précipitations parfois entendues sur cette même scène d’ailleurs, les deux amoureux concluent avec le célèbre O Soave fanciulla, sans esbrouffe en respectant strictement la partition de Puccini qui offre un aigu à la soprano tandis que le ténor -qui n’est pas là pour faire de l’effet mais souligner la profondeur de son coup de foudre- redescend et tient longuement son « la » nous arrachant déjà le sentiment d’une fin tragique inscrite dès le départ dans leur rencontre. C’est très beau et chacun devrait en prendre de la graine….

Le Marcello de Andrzej Filończyk, baryton polonais que j’ai déjà entendu -et remarqué- en Fritz dans die Tote Stadt à Munich, a eu quelques difficultés au départ pour placer sa voix dans l’acoustique complexe du grand vaisseau de Bastille mais très rapidement, il a réussi à surmonter cette difficulté pour camper lui aussi, avec beaucoup de talent d’acteur, le troisième personnage de l’œuvre, le plus fantasque des peintres, ami au grand cœur de Rodolfo, confident de Mimi, amoureux de Musetta, la très belle et très élégante Slávka Zámečníková, dont la voix plus menue et moins ronde que celle de Mimi, forme un très beau contraste tout en rendant au rôle toute son humanité par-delà ses frasques et excès.

Les trois autres rôles sont également de très bonne facture, les Schaunard de Simone Del Savio, le Colline de Gianluca Buratto (très applaudi pour son Vecchia zimarra) et l’Alcindoro de Franck Leguérinel, sont parfaitement à leurs places dans un ensemble assez cohérent et uni pour réussir toutes les scènes d’ensembles qui sont particulièrement belles dans la Bohème.

Il ne faut pas oublier les chœurs d’adultes et d’enfants qui nous ont également servi de très belles prestations.



Reste… la mise en scène.

Personnellement j’apprécie en général l’univers de Claus Guth, ses références assez poétiques à diverses périodes et l’esthétisme de ses tableaux. Et de ce point de vue, sa Bohème s’inscrit bien dans la tradition de ses mises en scène. J’ai entendu parler de laideur du fait du choix de transposition qu’il opère, ce n’est pas le cas, c’est au contraire très beau sur le plan purement pictural, les costumes sont parfaitement appareillés pour une esthétique où dominent le noir, le blanc et le rouge, ce dernier formant comme une tâche brillante et fortement symbolique, de la robe de Mimi pour les trois premiers actes, au ballon rouge tenu par un enfant qui revient sans cesse traverser la scène comme le pochoir de Banksy sur les murs de la ville.

Le problème de cette mise en scène est tout autre : elle a sa logique propre et raconte une autre histoire qui embrouille les fils de l’intrigue écrite à l’origine par Henri Murger, pour son livre « Scènes de la vie de Bohème » dont est tiré l’opéra. 

L’idée de partir d’une période de maturité des ex-jeunes bohèmes se remémorant l’épisode tragique du destin de Mimi dans leur prime jeunesse, n’est pas nouvelle et ne pose pas de problème si l’on respecte justement le fait qu’il s’agit d’une plongée douloureuse dans un passé dramatique, qui comporte sa part très forte de poésie qui imprègne tout souvenir romantique. Mais Guth construit un autre présent, qui occupe autant de place que le passé remémoré, celui de cosmonautes perdus dans l’espace et qui savent qu’ils vont mourir. Belle histoire d’ailleurs, elle-même très romantique, mais qui se greffe assez mal sur le livret de l’opéra et oblige à des contorsions qui égarent un public qui ne connait pas forcément l’œuvre, et aboutit à plusieurs reprises à casser l’émotion habituellement omniprésente.

C’est un peu dommage que son incontestable talent de conteur, ait été en partie gâché par ce parti pris de départ, qui n’est pas sa meilleure idée et ne donne pas un résultat très convaincant. Inutile cependant d’exagérer la critique, l’ensemble se regarde malgré tout avec plaisir et rien ne vient vraiment gâcher la beauté de la musique quand elle est si bien interprétée.

 

Direction musicale Michele Mariotti

Mise en scène Claus Guth

Décors Étienne Pluss

Costumes Eva Dessecker

Lumières Fabrice Kebour

Vidéo Arian Andiel

Chorégraphie Teresa Rotemberg

Dramaturgie Yvonne Gebauer

Cheffe des Chœurs Ching-Lien Wu

 

Avec

Mimì Ailyn Pérez

Musetta Slávka Zámečníková

Rodolfo Joshua Guerrero

Marcello Andrzej Filończyk

Schaunard Simone Del Savio

Colline Gianluca Buratto

Alcindoro Franck Leguérinel

Parpignol Luca Sannai

Sergente dei doganari Bernard Arrieta

Un doganiere Pierpaolo Palloni

 

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