Festival de Verbier (Suisse) : un grand Requiem de Verdi sous la baguette de Daniele Gatti

Requiem



Giuseppe Verdi 


Festival de Verbier, le 17 juillet 2023

Daniele Gatti – Lise Davidsen –Julia Matochkina – Freddie de Tommaso – Bryn Terfel


 

C’est en mémoire de son ami, le poète Alessandro Manzoni, mort en 1873, que Giuseppe Verdi compose cette célèbre Messa da Requiem, cette Messe des Morts, bien loin des lamentations traditionnelles du genre, en développant la tension dramatique et la puissance musicale d’un opéra, et en valorisant chœurs et orchestre, thèmes et contrastes collectifs puissants, tout en donnant de véritables rôles personnels à ses quatre solistes, deux femmes, deux hommes, quatre tessitures.

Alessandro Manzoni avait été son compagnon de combat pour la liberté et l’idéal de justice, d’humanité et d’égalité qu’incarnait le Risorgimento, la « renaissance » italienne.

Et l’œuvre loin d’être un appel au recueillement et au silence, est un appel à la lutte malgré un strict respect de la liturgie traditionnelle catholique pour ce qui est des paroles bibliques utilisées par le compositeur qui signait là une œuvre originale et magistrale.

Daniele Gatti, à la tête de l’orchestre du festival de Verbier (Verbier Festival Orchestra) et du Coro dell’Accademia di Santa Cecilia de Rome, en donne une interprétation très nuancée que d’aucuns trouveront  un peu maniérée notamment du fait du choix de tempi assez lents ponctués de silences parfois un peu trop appuyés. Mais l’ensemble donne malgré tout une incarnation originale qui vous saisit à plusieurs reprises et ce, dès le Dies Irae, où l’on écoute les nuances de la magnifique mezzo se lover littéralement dans les piani à peine susurrés des chœurs et des cordes qui lui répondent en écho, ce, juste avant une montée en puissance impressionnante aussitôt suivie d’un diminuendo qui s’éteint littéralement avant le leitmotiv envoûtant du duo basson/mezzo qui précède l’intervention des quatre solistes et la conclusion où les effets sonores sont habilement négociés quand les chœurs scandent leurs paroles en même temps que les solistes, mais sur des registres différents. Le grand art de Verdi très bien servi par l’orchestre et les chœurs.

Mais un grand Requiem de Verdi exige aussi de grands solistes d’opéra, parfaitement à l’aise dans le style du maestro italien. Le Festival de Verbier avait convoqué quelques stars, jeunes ou plus anciennes. Et pourtant c’est la moins médiatisée des quatre artistes, la mezzo russe Yulia Matochkina qui domine de très loin le plateau vocal ce qui est primordial dans cette œuvre puisqu’elle a le « rôle » principal. S’ils sont tous les quatre très investis dans l’interprétation proposée par Daniele Gatti, et donnent à leurs parties tout ce qu’on peut attendre de nuances, de qualités, et de véritable incarnation, force est de constater que les ensemble à quatre, manquent singulièrement de justesse et que, parfois, leurs voix détonnent les unes par rapport aux autres, résultat probable d’un manque de répétition mais aussi d’une petite tendance pour certains d’entre eux à avoir un peu de mal avec le diapason…

La prestation offerte par la sensible et admirable Yulia Matochkina suffira cependant à nous offrir de formidables moments de plénitude absolue, tant elle séduit en arborant cette belle voix ronde et entière, ce timbre subtil et fruité, cette formidable capacité de nuancer et de colorer son chant sans « en avoir l’air » ce qui est le sommet de l’art du bon chanteur. 

Freddie de Tommaso a dompté son instrument qui était parfois un peu rude pour le legato verdien qu’il aborde désormais avec beaucoup plus de sûreté et son Ingemisco a l’allant suffisant pour dominer une partition difficile tout en gardant la rondeur et la douceur nécessaire. Malheureusement le timbre n’est pas toujours aussi beau et il n’est pas le dernier à faire vaciller la tonalité durant les ensembles, ce qui donne un Lacrymosa, l’air final de la longue séquence sans pause du Dies Irae, pas tout à fait parfait par instant. Mais il confirme qu’il est en progrès constants et justifie totalement l’intérêt qu’il faut porter à ce ténor de moins de trente ans qui a déjà par bien des aspects la sûreté et l’audace des plus grands dans les rôles les plus lourds du répertoire. 

Lise Davidsen déçoit par moment comme assez régulièrement dans Verdi qui n’est décidément sa tasse de thé. Celle qui subjugue dans Wagner ne réussit pas à se sortir de ces aigus meurtriers qui sont acides et souvent affligés d’un important vibrato. Il y a évidemment de très beaux passages comme cette note longue tenue dans l’Offertorio  ou son libera me mais nous avons entendu de bien meilleures sopranos dans ce Requiem.

Bryn Terfel, à la voix très usée, de son côté, fait ce qu’il peut, mais il on le sent très précautionneux dans la première partie, la voix ne suivant pas toujours ses efforts pour chanter ces fameux graves du Mors stupebit.  Mais, toujours capable de nombreuses nuances, le baryton gallois se montre à son meilleur dès lors qu’il doit chanter piano ou pianissimo, le vibrato de la fatigue s’installant en revanche dès qu’il enfle la voix.

Mais l’ensemble est de bonne tenue et affiche une joie de chanter très communicative, avec une magnifique dernière partie, à commencer par un Sanctus époustouflant, rythmé, changeant, sous la direction millimétrée et très inspirée de Daniele Gatti.


A revoir sur Medici TV avec de très belles prises de vue (et de son)

https://www.medici.tv/fr/concerts/verbier-festival-2023-verdi-requiem-bryn-terfel-lise-davidsen-yulia-matochkina-freddie-de-tommaso-daniele-gatti

 


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