Opéra rare et méconnu, chef-d'oeuvre du compositeur hongrois Ferenc Erkel, Hunyadi László est à voir sur Operavision !

Hunyadi László


De Ferenc Erkel

Sur un livret de Béni Egressy

Opéra en quatre actes en langue hongroise

Création en 1844 à l’opéra de Budapest.

 

Hungarian State Opera

Séance du 27 mars 2022, retransmise sur Operavision depuis le 21 juillet 2023

 

 

Véritable épopée racontant la vie et la mort du héros Hunyadi László (nom et prénom sont inversés en hongrois), la deuxième œuvre lyrique du compositeur Ferenc Erkel est tout à la fois un opéra de bel canto et un « grand opéra » historique, qui gagne à être vu et entendu, surtout dans la magistrale interprétation que nous propose l’Opéra d’Etat de Hongrie dans cette représentation de 2023, que diffuse la plateforme Operavision. Cette somptueuse mise en scène a été créée par Szilveszter Ókovács pour la réouverture du bel opéra de Budapest en 2022. 

Et dès le début on est captivé par cette redécouverte incontournable.

Étonnante ouverture qui commence par un solo de trompette auquel répondent les cordes en pizzicato, peu à peu les différents cuivres un par un, puis ensemble, avec un écho des hautbois et des clarinettes reprennent ce leitmotiv tout à la fois langoureux et un rien tragique qui annonce l’histoire. La reprise par les cordes prend une allure de romance très lyrique avant qu’un solo de hautbois annonce cette fois une véritable danse très rythmée où chaque pupitre développe sa partition. La suite est en montées et descentes chromatiques évoquant la tempête, l’orage, avant un retour des flûtes et de l’apaisement, lesquelles introduisent par de charmants trilles, une nouvelle danse enjouée. Et ainsi de suite, en alternances continues, où l’on songe à plusieurs reprises aux rhapsodies de Liszt, l’ouverture dure près d’un quart d’heure annonçant l’ampleur de l’œuvre d’Erkel, que l’on nomme parfois « grand Opéra » du fait des similitudes de son thème historique et de sa structure avec le genre illustré à l’époque par Meyerbeer et Halévy en France. Inspiré pourtant essentiellement du bel canto italien des Donizetti, Bellini, Rossini, dont il suit les canons de l’époque, l’opéra offre une dimension supplémentaire par la longueur du récit, sa tension dramatique permanente et son caractère de récit historique, très bien construit, dont on suit l’intrigue avec intérêt.

Dès l’acte 1, les chœurs y jouent également leur rôle traditionnel, celui de la foule se livrant au récit des récents événements qui ont vu la mort de János Hunyadi, le héros de la Hongrie du 15ème siècle, qui l’a défendue contre les attaques des Ottomans. Les deux frères Hunyadi arrivent successivement, le plus jeune, Matyas, encore enfant, dont le chant est interprété par une soprano à la voix particulièrement gracile (Cavatine et cabalette), et l’ainé le fameux László, le héros de l’opéra, qui l’un et l’autre jurent qu’ils sont au service du peuple hongrois et expriment leur défiance à l’égard du nouveau gouverneur, Ulrik Cillei, qui a succédé à leur père et intrigue à son tour contre les Hunyadi, auprès du roi, personnage falot et souffreteux en manifeste mauvaise santé.  Le héros vient lui rendre hommage et le roi l’assure de son entière confiance lequel jure qu’il donnera sa vie pour la cause de la Hongrie. Et tandis que de la fosse, s’élèvent des fanions de diverses origines sous le son unique des roulements de timbale, deux chœurs vont s’affronter : celui des « étrangers » au service de Cillei, soldats en rouge, mercenaires allemands et celui des amis de Hunyadi, les gardes Hongrois, qui leur interdisent l’entrée du palais du roi. L’un d’eux vient exécuter une danse moqueuse devant les proscrits. L’ensemble dénote une grande virtuosité du compositeur capable de mêler des pages à la musicalité folkloriques à des moments beaucoup plus classiques où le dialogue vindicatif entre les chœurs fait merveille.

Mais Cillei effraye le roi, craintif et veule, et l’influence, se sentant à deux doigts du pouvoir. Quand Hunyadi revient espérant un peu de quiétude en pensant à la femme qu’il aime, Mária, à qui le ténor adresse l’un des plus beaux airs de l’œuvre, Ó, szállj hozzám, ég angyala (Vole vers moi cher ange du ciel). Mais le chef de son armée, Rozgonyi, arrive pour lui conseiller de redescendre sur terre, car un complot se prépare contre lui et toute sa famille, pour les éliminer. Hunyadi László prépare sa revanche et retourne la situation en sa faveur, faisant assassiner le gouverneur félon par ses amis. Le roi arrivé sur les lieux, décide de soutenir les vainqueurs qui chantent « longue vie au roi ».

L’acte 2 est ouvert par les scènes (et les superbes airs) qui présentent la mère du héros, Erzsébet Szilágyi, qui offre alors un magnifique aria orné d’une cabalette finale époustouflante de virtuosité (Térdhajtva kérem õt). Inquiète pour l’avenir de son fils ainé, à la suite d’un songe qui l’obsède, annonçant sa mort sous la main du bourreau, elle les met en garde en leur rappelant son amour et sa protection. La scène donne lieu à un très beau trio au style changeant entre le début plutôt romantique et la fin, très animée et décidée puis à une nouvelle aria virtuose tout en vocalises, trilles, notes piquées, avec cabalette de Erzsébet (Ah! rebegés, ami vadul). La scène suivante est celle de l’aria enjouée, ironique et cruelle de Gara (Örömre fel, Gara!), qui prépare la machination qui conduira le héros à l’échafaud, puisque sachant que le roi est tombé amoureux de sa fille Maria, il va laisser croire à Hunyadi László qu’il peut l’épouser, ce qui provoquera sa perte. Ecrite pour une soprano coloratura, la partition de Maria est elle aussi de toute beauté et le duo qui suit entre les amants, allie échanges enflammés, déclarations d’amour et projets de mariage, dans un très bel ensemble au legato impeccable (Szép vagy, édesem, örömben, búban stb).

Et l’acte 2 s’achève par cette belle cérémonie au Palais de Buda où le roi remet de somptueux manteaux à Erzsébet Szilágyi et à ses deux fils, affirmant son pardon et sa renonciation à toute vengeance, tandis qu’un doux chœur d’enfants avec reprise par le chœur adulte, chante la clémence du roi.

L’acte 3 commence par l’aria avec cabalette (Tündér, te bájos, szép Máriám!) du roi, qui annonce clairement son amour pour Maria. Son conseiller le père de Maria, Miklós Gara lui promet la main de sa fille, tout en lui recommandant de condamner à mort le traitre Hunyadi.

Le rôle comporte un redoutable écart de notes avec une descente abyssale suivie d’un aigu claironné. Cet acte est également ornementé d’un ballet durant les noces, illustré dans cette mise en scène par une danse qui possède tout le charme de ce folklore d’europe centrale à mi-chemin entre l’orient et l’occident, exécuté avec grâce par les danseurs du Hungarian National Ballet. Et c’est au tour de Maria de nous livrer sa superbe cabalette joyeuse Mi égi báj ez, mi pillanat, et ses magnifiques vocalises dont la pyrotechnie éblouit l’oreille.

Le drame se noue sur les dernières notes sinistres de l’orchestre avec l’intervention de Gara et de ses gardes.

L’acte 4 s’ouvre sur une partie orchestrale solennelle tandis que Hunyadi László, blessé, est entravé et aveuglé par un bandeau. L’aria Sötét börtön est celle d’un homme désespéré, trahi, qui ne peut que rappeler son amour et sa fidélité à sa patrie tandis qu’arrive Maria, qui espère encore le sauver mais supplie son père en vain.

Et jusqu’au bout Huniadi clame son innocence. Le bourreau le frappe trois fois en vain avant que Gara ne s’empare lui-même de son épée pour réussir son ouvrage au quatrième coup…Cruauté et acharnement puisqu'à l'époque un condamné avait droit à trois essais en quelque sorte puis, était gracié.

La mise en scène respecte scrupuleusement le livret d’origine, puisque l’Opéra d’Etat de Hongrie a décidé de reprendre l’original de la partition, telle qu’elle a été créée en 1844 à Budapest et non la version de 1935, tronquée de plusieurs passages, notamment sans l’air d’ouverture de Mátyás, retiré par Miklós Radnai, le directeur de l'Opéra, Kálmán Nádasdy, le metteur en scène et Gusztáv Oláh, le scénographe, lors de la reprise de l’opéra au siècle dernier.

Les didascalies prévoient de nombreux changements de lieux durant chaque acte. Entre l’utilisation d’une astucieuse machinerie de scène et celle de quelques vidéos, le metteur en scène parvient parfaitement à faire vivre un décor spécifique pour le palais du roi (et son trône au milieu d’une sorte de désert), la demeure chaleureuse de Erzsébet Szilágyi (et son bon feu de bois), les extérieurs face aux hauts murs de Belgrade, ou dans les coursives où se tiennent les soldats Hongrois, la grande salle où se tiennent les retrouvailles du début avec l’arrivée du héros, le somptueux lieu de la cérémonie de mariage et tant d’autres encore). Le tout est agrémenté de constantes parmi les accessoires, qui suivent toutes les scènes, à commencer par un grand coffre bleu, qui détient tous les secrets.

Les costumes d’époque sont soignés et luxueusement brodés, chacun apparait très richement habillé, le jeu des lumières créant les atmosphères adéquates. La direction d’acteurs est soigné et quelques fantaisies de mises en scène agrémentent le tout comme le fait que Gara chante son aria brillante et drôle, dans la salle, devant le premier rang du public.

Le tout se regarde avec beaucoup de plaisir.

L’ensemble de la distribution est hongrois et nous offre de très grands chanteurs, excellents acteurs également, perfection qui favorise l’accès à cette œuvre généralement peu connue même des mélomanes. Cette œuvre regorge en effet de morceaux de bravoures, y compris pour les chœurs, et nécessite de trouver six solistes de grande qualité, chanteurs de bel canto dramatisant ou héroïques à la manière des interprètes recherchés pour le grand opéra français. Il faut en plus qu’ils maitrisent la langue hongroise dans laquelle l’opéra est volontairement écrit, alors qu’Erkel maitrisait parfaitement l’allemand, pour faciliter l’intérêt de son peuple pour l’art lyrique. Erkel avait d’ailleurs largement contribué à cet accès en dirigeant en tant que chef d’orchestre, les opéras italiens alors en vogue. Le sentiment patriotique de l’époque où la Hongrie résiste à la domination autrichienne, contribue aussi au succès de cette œuvre dont certains airs seront repris comme hymnes nationaux.

 Les deux seuls chanteurs connus dans le reste de l’Europe sont Klara Kolonits, soprano coloratura dramatique, époustouflante mère du héros, dont le timbre est riche en harmoniques, qui a l’aisance tout à la fois des exercices complexes du bel canto tout en ayant une voix suffisamment puissante pour franchir le cap du chant dramatique, et qu’on regrette de ne pas entendre plus souvent dans nos contrées. Sa silhouette et son beau visage sont restés particulièrement jeunes mais elle incarne néanmoins très bien cette femme courageuse, digne jusqu’au bout malgré l’atroce exécution de son fils chéri sous ses yeux. La noblesse de son port le dispute à celle de son chant et l’ovation qui l’accueille après ses deux arias comme au rideau montre à quel point ses compatriotes sont fiers d’elle et de ses talents. Elle chante Norma (Bellini), Lucia (Donizetti) et Marguerite de Valois (Meyerbeer, les Huguenots) mais le plus souvent à Budapest. Ceux qui l’aiment prendront le train, y compris pour la troisième reprise de ce Hunyadi László en mars 2024 !

L’autre chanteur que nous avons eu le plaisir d’entendre à Paris (Don Pizzaro dans Fidelio à l’Opéra-Comique), est la basse Gábor Bretz qui incarne le "méchant", Gara, de sa très belle voix qu’aucun écart de note meurtrier n’arrête et qui sait donner un nombre impressionnant de couleurs et de variations à son timbre pour tromper son ennemi et gagner finalement la redoutable bataille qu’il a engagée.

Le ténor Szabolcs Brickner, qui a la tâche ardue d’interpréter le rôle-titre, commence assez prudemment une prestation qui va littéralement monter en charge pour se hisser à un niveau fabuleux lors de son aria finale, capable tout à la fois de montre la dignité intacte de ce héros déchu et de nous transmettre de très fortes émotions. Le timbre est superbe, le sanglot dans la voix discret mais réel, la douceur dans la voix s’exprimant au nom de Maria, la colère dans les souvenirs de ce bonheur perdu, l’art de colorer et de nuancer atteint son paroxysme. Il croit à ce personnage courageux et positif et nous y fait croire nous entraînant à sa suite dans cette véritable épopée lyrique.

Celle qu’il aime, Mária Gara, est une soprano colorature beaucoup plus « légère » que sa propre mère et son interprète Erika Miklósa possède une virtuosité éblouissante et sa présence sur scène est très attachante. 

Le jeune Mátyás Hunyadi est très bien doublé vocalement par la mezzo-soprano Melinda Heiter, et le tout semble très naturel. 

Le veule et souffreteux Roi László V, interprété par le ténor, Dániel Pataky, a également l’abattage nécessaire au rôle, suscitant tout à la fois amusement et consternation quand il se fait sans cesse manipuler pour finir avec la cruauté née de toute suffisance personnelle auto proclamée. Très belle voix pour ce deuxième ténor et il est plaisant finalement de voir l’affrontement entre le timbre mâle, presque barytonnant du ténor héroïque de Szabolcs Brickner, tout en virilité romantique, face à ce personnage au timbre hésitant, à la vis comica involontaire, qui possède le pouvoir et la couronne mais se montre incapable d’en faire bon usage, un peu à la manière de Siegfried et Loge...

L’autre méchant, l’autre basse est l’Ulrik Cillei de András Palerdi qui brille à l’acte 1 dans quelques airs très bien menés, où l’on sent la tradition des clés de fa puissantes et sûres des pays de l’est. Le bon Rozgonyi du baryton Attila Erdős complète une distribution épatante valorisée par la direction musicale de Balázs Kocsár, parfaitement à l’aise pour diriger l’un des opéras hongrois les plus célèbres.

En attendant une tournée hors les murs de cette exceptionnelle équipe dans diverses grandes maisons européennes, pour faire découvrir ce chef d’œuvre méconnu dans les meilleures conditions, on peut, heureusement, le voir en retransmission sur Operavision.

 

  

Le spectacle complet est disponible sur OperaVision du 21 juillet 2023 à 19h00 CET au 21 janvier 2024 à 12h00 CET:

https://operavision.eu/fr/performance...

 

Distribution 

Roi László V (ténor)

Dániel Pataky

 

Ulrik Cillei, le régent (Basse)

András Palerdi

 

Erzsébet Szilágyi (soprano)

Klára Kolonits

 

László Hunyadi (ténor)

Szabolcs Brickner

 

Mátyás Hunyadi (mezzo soprano)

Melinda Heiter

 

Miklós Gara (basse)

Gábor Bretz

 

Mária Gara (soprano coloratura)

Erika Miklósa

 

Rozgonyi (baryton)

Attila Erdős

 

Danseurs

Dancers of the Hungarian National Ballet

Students of the Hungarian National Ballet Institute

 

Orchestre

Hungarian State Opera Orchestra

 

Chœurs

Hungarian State Opera Chorus

 

Direction musicale

Balázs Kocsár

 

Mise en scène

Szilveszter Ókovács

  

Décors et costumes

Krisztina Lisztopád

 

Lumières

Tamás Pillinger

 

Conception vidéo

Zsombor Czeglédi

 

Chorégraphie

Tamás Solymosi

 

Chef des Chœurs

Gábor Csiki

 

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