Parsifal à Bayreuth : à voir et à écouter pour les chanteurs, tous admirables, et pour la direction musicale de Heras-Casado

Parsifal


Richard Wagner

Créé en 1882 au Palais des festivals de Bayreuth

 

Retransmission en direct en vidéo par BR Klassik de la Première du 25 juillet 2023 à Bayreuth

Nouvelle mise en scène de Jay Scheib

 

Le « festival scénique sacré » (en allemand : Bühnenweihfestspiel) comme Wagner lui-même appelait son chef d’œuvre, est donné régulièrement à Bayreuth – la Colline a même eu l’exclusivité durant plus de vingt ans- et l’année 2023 présentait une nouvelle mise en scène, de l’américain Jay Scheib, laquelle restera à l’affiche cinq années durant comme la tradition l’exige.

La direction du festival de Bayreuth a déjà communiqué sur le metteur en scène des Meistersinger qui ouvriront la prochaine édition (2024) surtout pour faire le buzz sur la présence de Michael Spyres en Walter von Stolzing, un emploi wagnérien dont on espère qu’il lui conviendra mieux que Parsifal à Joseph Calleja, lui aussi annoncé en fanfare l'an dernier et renonçant au rôle quelques semaines avant la Première. 

Curieusement, alors que Bayreuth est l’une des salles qui, avec des prix astronomiques, remplit finalement toujours toutes ses représentations, la direction actuelle de Katharina Wagner a la préoccupation régulière d’annoncer des chanteurs « surprenants » au sens, n’ayant jamais chanté Wagner auparavant alors que leur carrière n’en est pas à ses débuts, et se plante régulièrement puisqu’ils renoncent finalement à cette marche trop haute.

Pour ce Parsifal, outre la présence de Calleja, finalement remplacé par le heldentenor le plus complet actuellement, Andreas Schager qui n’avait d’ailleurs pas encore eu les honneurs d’une Première à Bayreuth (on est ravi de cet honneur qui lui est fortuitement rendu alors qu’il le méritait depuis fort longtemps), le buzz portait aussi sur les lunettes à réalité augmentée qui semblent être une belle escroquerie. Non que l’idée ne soit pas séduisante (fournir au spectateur des images supplémentaires qui lui permettent une totale immersion), mais elle n'a, de fait, permis qu’à moins d’un tiers des spectateurs d’en profiter dans la salle et n’était pas reproduite par la retransmission vue, elle, par des milliers de spectateurs en streaming ou au cinéma, de par le monde.

Des restrictions techniques fort nombreuses (ne pas être myope, hypermétrope, presbyte) et le coût prohibitif de la location (qui s’ajoute au coût prohibitif des places) excluaient de nombreux habitués de Bayreuth du procédé.

N’ayant vu « que » la retransmission, je n’ai idée qu’au travers des premiers articles des journalistes présents sur place, des effets proposés qui semblent donc être surtout un afflux d’images (par exemple des dizaines de cygnes morts s’abattant au moment où Parsifal tue le sien).

Sans préjuger, donc, de l’ajout positif ou négatif de cette « première », j’ai trouvé la mise en scène sans grand intérêt et surtout, sans grande imagination. La seule originalité est ce double de Kundry dont Gurnemanz est amoureux, d’où leurs ébats durant le Prologue et qui l’emméne à l’extrême fin lors des derniers accords. Dans les deux cas, cet ajout semble avoir pour unique but de « casser » précisément le caractère sacré de l’ouverture de l’opéra comme celui de la rédemption finale qui devrait voir la mort de Kundry et l’extase générale des chevaliers du Graal. Parsifal a, de surcroit, cassé le saint Graal (une sorte de statue) en le jetant au sol un peu auparavant…

Pour le reste, la succession de tableaux se voit avec ennui tant ils sont souvent peu esthétiques et simplistes, les personnages étant volontairement enlaidis par des peintures de guerre, des tatouages, des perruques et des costumes invraisemblables, dont la volonté semble, là encore, être de briser la spiritualité du récit.

De tous les Parsifal vus depuis une vingtaine d’années, c’est celui qui, sans aucun doute, est passé le plus à côté du caractère mystique de l’ouvrage, alors que livret et musique reflètent si bien ce que Wagner souhaitait exprimer alors et qu’un Serebrennikov à Vienne il y a deux ans, avait su si bien illustrer jusqu’aux images émouvantes introduites durant le prologue et lors de l’interlude entre l’acte 2 et l’acte 3.

Les plus malmenés sont Parsifal, le pauvre Andreas Schager étant affublé d’une sorte de chasuble rouge plus mi-camisole, mi-gilet, quand il n’est pas en survêtement rouge, ou pieds nus en caleçon avec un T-shirt immonde, taché de sang et Kundry, Elina Garança étant presque méconnaissable avec cette perruque en noir et blanc et ces hauts en plastique. Gurnemanz ne parait non plus tel qu’on peut imaginer la noblesse du chef des chevaliers du Graal, les reins ceints d’une sorte de tablier de boucher en plastique jaune, le roi Titurel est un vieillard en chemise sale, tandis que celle d’Amfortas est trouée laissant apparaitre sa blessure, enfin Klingsor est un diable rouge à casque à cornes.

Rien de subtil dans tout cela, beaucoup d’efforts pour casser tout romantisme, malgré un décor beaucoup plus réussi et plus esthétique, notamment l’acte 2 où le jardin luxuriant de Klingsor est de toute beauté. Volonté de contraste sans doute, non-sens pour l’essentiel…

Heureusement, la distribution -et c’est devenu plus rare à Bayreuth- est phénoménale ce qui sauve le spectacle sans le moindre doute, et il faut le voir (et pas seulement l’écouter) car les chanteurs incarnent tous leurs personnages avec beaucoup de talent et d’expressivité, il faut absolument saluer leur présence intense sur scène au-delà même de la beauté de leur chant.

La vedette a été sans conteste possible, la Kundry d’Elina Garança que nous avions déjà découvert à Vienne dans la mise en scène de Serebrennikov. Son interprétation s’est affermie, les contrastes du personnage sont admirablement exprimés, force et faiblesse de la magicienne s’incarnent dans la belle voix de la mezzo remplie de couleurs et de nuances. Elle est celle qui tente d’apporter le remède au malheureux Amfortas, puis la chose de Klingsor chargée de séduire Parsifal, puis le symbole de la rédemption finale après le long voyage de Parsifal qui ramène la lance. On aura juste la réserve habituelle la concernant, sur un certain laisser aller concernant la diction.

J’avais déjà entendu plusieurs fois le Parsifal d’Andreas Schager notamment à l’Opéra de Paris en 2018 dans la mise en scène de Jones. Je le trouve également en grand progrès, au sens où il parvient désormais à bien différencier le Parsifal benêt de la première partie, du Parsifal héros qui se révèle après le fameux « Amfortas die Wunde », et surtout parce que son final est d’une douceur et une délicatesse qu’il ne parvenait pas à rendre il y a quelques années, jouant davantage sur son registre de Heldentenor. Il a donc rendu plus subtile son interprétation, la différenciant nettement de ce qui reste son meilleur rôle, le Siegfried de Siegfried, et devenant par là même l’un des meilleurs Parsifal de l’heure, capable d'utiliser tous ses registres, du plus lyrique au plus héroïque avec beaucoup de bonheur.

Le Gurnemanz de Georg Zeppenfeld (également présent à Vienne), est un modèle du genre. Il faut pour ce rôle un chanteur capable de rendre vivant un long récit et il excelle dans ce style du chanté-parler, pesant chaque syllabe, valorisant les longues phrases musicales typiquement wagnériennes et rendant chacune de ses interventions parfaitement captivantes.

Saluons aussi l’émouvant Amfortas de Derek Welton, belle voix forte et douloureuse, efficace et noble présence sur scène, rendant obsessionnelle cette souffrance due à son échec et à sa blessure qui ne guérit pas.

Je ne connaissais pas du tout Jordan Shanahan et c’est une très belle surprise pour le cruel Klingsor, magnifiquement chanté et incarné sur scène par le baryton Hawaïen. Un nom à retenir assurément.

Les rôles dits secondaires des Gralritters (chevaliers du Graal),  Knappen (écuyers) et des Zaubermädchen (filles-fleurs) sont tous de très haut niveau, ce qui donne un ensemble vocalement parfait. Citons en particulier pour leur grande présence scénique et leur chant, Siyabonga Maqungo et Jorge Rodríguez-Norton mais ils sont tous excellents.

La retransmission permettait, ce qui est impossible depuis la salle, de voir le chef d’orchestre Pablo Heras-Casado dans la fosse fermé de Bayreuth, et ses mimiques au moment de commencer comme son soulagement manifestement satisfait à la fin de chaque acte. Bonne idée car il est évidemment difficile d’imaginer l’effet que produit le fait de diriger l’orchestre sans voir la scène.

On peut dire que le chef espagnol qui faisait son double début dans Wagner et à Bayreuth, a réussi son difficile challenge, s’adaptant très bien aux spécificités de l’un et de l’autre.

Il a choisi un rythme plutôt rapide mais sans excès (4 heures de musique en tout), des tempi relevés et sans temps mort, qui donnent une unité presque continue à la partition tout en valorisant chaque pupitre. C’est une approche qui comporte moins de reliefs que celle d’un Kiril Petrenko par exemple, mais qui s’écoute agréablement avec les moments d’émotion attendus, sans surprise donc, mais avec talent. Et bien sûr on saluera les chœurs et l’orchestre de Bayreuth, toujours excellents. Wagner est dans leur ADN, et c’est parfaitement clair.

En résumé, une distribution excellente, une mise en scène médiocre mais finalement un beau Parsifal grâce au chef, aux musiciens et aux chanteurs. Et un succès à l’applaudimètre qui rend hommage aux deux « remplaçants » non prévus au départ donc… (Garança remplaçait Semenchuk qui a déclaré forfait), véritables piliers de la réussite, alors que les nouveautés bling bling de la mise en scène ont été copieusement huées. En revenir à l’essentiel…et merci aux artistes.

 

 

Amfortas, Derek Welton

Titurel, Tobias Kehrer

Gurnemanz, Georg Zeppenfeld

Parsifal, Andreas Schager

Klingsor, Jordan Shanahan

Kundry, Elīna Garanča

1. Gralsritter, Siyabonga Maqungo

2. Gralsritter, Jens-Erik Aasbø

1. Knappe, Betsy Horne

2. Knappe, Margaret Plummer

3. Knappe, Jorge Rodríguez-Norton

4. Knappe, Garrie Davislim

Klingsors Zaubermädchen 

Evelin Novak, Camille Schnoor, Margaret Plummer, Julia Grüter, Betsy Horne

Klingsors Zaubermädchen, Marie Henriette Reinhold

Altsolo, Marie Henriette Reinhold

 

Dirigent: Pablo Heras-Casado. 

Chor und Orchester der Bayreuther Festspiele

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