Picture a day like this, la nouvelle création de George Benjamin, un opéra court et incisif, une quête saisissante du bonheur impossible

Picture a day like this



Musique de George Benjamin 

Texte original de Martin Crimp


Festival d’Aix-en-Provence, Théâtre du Jeu de Paume, Création mondiale

23 juillet 2023

 

Entre le festival d’Aix-en-Provence et le compositeur britannique George Benjamin, c’est une histoire d’amour qui dure ! Pour le soixante-quinzième anniversaire du festival, Benjamin propose en effet un nouvel opéra, une œuvre courte et incisive, une quête initiatique d’une petite heure qui vous saisit et vous emmène aux tréfonds de l’âme humaine, du malheur absolu à la recherche du bonheur pour effacer la douleur.

Le compositeur tout à la fois moderne et facile d’accès, démontre une nouvelle fois que la musique dite classique, est vivante et se renouvelle sans cesse, singulièrement le genre « opéra » qui nous offre régulièrement de nouvelles réalisations, dont ce petit joyau brut aux mille facettes, sombre et lumineux en même temps. Un jour, un seul, comme celui-ci...et quelques dernières minutes de bonheur dans un océan de malheurs. 

Car le récit commence mal. Une femme anonyme en robe à fleurs bleues, incarnée par la magnifique mezzo Marianne Crebassa (dont nous avions salué la prestation déjà l’an dernier à Aix dans l’inoubliable Resurrection mise en scène par Roméo Castellucci), nous apprend la mort de son enfant, « avant même qu’il ne sache faire des phrases entières ». Son fils. La douleur à fleur de peau, la jeune femme découvre alors sur la page d’un livre, un mystérieux écrit, façon conte oriental des mille et une nuits. Elle doit partir en quête de gens heureux et leur prendre un bouton de vêtement pour voir renaitre son fils.


Nous suivons alors son parcours sur un chemin tout droit mais semé de bien curieuses découvertes où l’on songe à l’inventaire d’un Petit Prince parcourant les planètes : d’abord un couple d’amoureux, qui proclament leur bonheur avant d’en révéler l’hypocrisie absolue et le mensonge et la jalousie qui enserrent leurs relations, puis un artisan enfermé dans une cage de verre, les vêtements couverts de boutons, qui s’automutile de désespoir après avoir lui aussi proclamé son bonheur absolu. Un peu plus loin, nouveau couple, tout en noir cette fois, elle est compositrice et lui est son manager. Faux bonheur là aussi, fait d’angoisses et d’envies. Le collectionneur d’œuvres d’art, croisé plus loin, possède tous les tableaux les plus prestigieux mais n’a qu’un seul désir, qu’on l’aime à tout prix…

La jeune femme rencontre enfin dans un décor de rêve, un jardin merveilleux dont la gardienne Zabelle, semble ne connaitre ni la mort, ni le malheur et vit dans une sorte de paradis, magnifiquement représenté par les vidéos de l’artiste plasticien Hicham Berrada.

Une fin heureuse pour ce court récit poétique et délicat.

George Benjamin choisit l’option minimaliste à l’inverse de ses deux opéras précédents, Written on skin et Lessons in Love and Violence, et l’ensemble est servi par la mise en scène de Daniel Jeanneteau et Marie-Christine Soma qui respecte le style musical simple, sans emphase, sans effet trop démonstratif ou artificiel. Dans ce cadre scénographique intelligent, l’émotion nait du chant, des instruments qui l’accompagnent avec la discrétion bienvenue d’une partition aux multiples couleurs et du jeu théâtral parfait des artistes.

Le Mahler Chamber Orchestra, fondé par Claudio Abbado (et qui fête son vingt-cinquième anniversaire) est dirigé à Aix par le compositeur lui-même en étroite collaboration. C'est une merveilleuse phalange qui confirme qu’elle s’adapte aussi aux musiques contemporaines avec autant de précisions et de perfection qu’à son répertoire plus traditionnel. 

Marianne Crebassa irradie le plateau de sa présence intense, comme perdue dans le labyrinthe de la scène, obsédée par cet irrépressible désir de voir son enfant renaitre, déconcertée par ses rencontres improbables et sa découverte du malheur humain, et illuminée de la tête au pied face à l’étrange et sensuelle Zabelle d’Anna Prohaska. Les deux femmes offrent un final de rêve qui reste longtemps imprimée dans la mémoire du spectateur, leurs deux voix se répondant, celle de Crebassa volontairement plus anxieuse, plus pressante, celle de Prohaska totalement onctueuse, ondulante, traduisant le bonheur hédonique de son royaume.

Mais l’ensemble de la distribution, minutieusement choisie par le compositeur pour illustrer sa création, est de très haut niveau.

Le contre-ténor Cameron Shahbazi et la soprano Beate Mordal interprètent successivement le couple d’amoureux déçu et la compositrice et son manager, lui avec sa voix haut perchée, elle avec son timbre cristallin, pour un effet musical et sonore où affleurent la superficialité des protagonistes, qui n’apporteront rien à la quête de Crebassa.

Le baryton John Brancy est l’artisan et le collectionneur. Très à l’aise sur le plan musical comme théâtral, il offre une double prestation remarquable de justesse et nous touche profondément par son incarnation du malheur existentiel de ceux qui possèdent trop. L’ensemble est dirigé de main de maître par George Benjamin lui-même et l’on imagine son immense satisfaction à voir à nouveau l’une de ses œuvres ovationnés par le public d’Aix avant de faire le tour de quelques autres maisons d’opéra qui ont participé à la commande de ce petit bijou.

Une heure pour un jour à la recherche du bonheur qu’il faut voir absolument ! 

 

Photos : Jean-Louis Fernandez (site du Festival) 

Retransmission par Arte concert de la séance du 14 juillet

https://www.arte.tv/fr/videos/115597-000-A/george-benjamin-picture-a-day-like-this/



Co-commande et co-production Festival d’Aix-en-Provence, Royal Opera House – Covent Garden, Opéra National du Rhin, Opéra-Comique, Les Théâtres de la Ville de Luxembourg, Oper Köln, Teatro Di San Carlo.

 

Direction musicale : Sir George Benjamin

Mise en scène, scénographie, dramaturgie, lumière : Daniel Jeanneteau, Marie-Christine Soma

Costumes : Marie La Rocca

Vidéo : Hicham Berrada

 

Woman : Marianne Crebassa

Zabelle : Anna Prohaska

Lover 1 / Composer : Beate Mordal

Lover 2 / Composer’s Assistant : Cameron Shahbazi

Artisan / Collector : John Brancy

 

Comédiennes et comédien : Lisa Grandmottet, Eulalie Rambaud, Matthieu Baquey

Mahler Chamber Orchestra

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