Roméo et Juliette à l'Opéra de Paris, l'amour toujours et un spectacle magnifique, fort bien interprété et fêté par le public !

Roméo et Juliette



Opéra de Charles Gounod (en cinq actes, création à Paris en 1867)

 

Opéra de Paris Bastille

Séance du 29 juin 2023

 

Thomas Jolly nous offre un très beau spectacle complet qui a manifestement comblé le public, plutôt jeune voire très jeune, de la soirée. En témoignent les manifestations de joie à la fin, mais aussi en cours de route, lors des ballets particulièrement esthétiques et réussis par exemple. Et puis les sourires dans le grand escalier qui mène à la sortie, les échanges enthousiastes, je le répète de très jeunes gens.

Et je crois que c'est davantage la réussite d'ensemble qui est saluée, le travail de tous ayant permis de rajeunir singulièrement l'interprétation collective de cette oeuvre, dont je ne suis pas fan et qui m'a vraiment plu hier soir dans cet attelage en quelque sorte.

Comme la plupart des spectacles vivants celui-ci recèle évidemment quelques imperfections, notamment ces projecteurs qui tournent et sont de temps à autre dirigés dans l'œil du malheureux spectateur mais je chipote (même si j'ai failli sortir mes lunettes de soleil), car dans l'ensemble c'est intelligent et visuellement très agréable, très adapté à l'immense plateau de Bastille qui est ramené par l'astuce du décor, progressivement à une dimension intime un peu comme Benoit Jacquot avait su le faire pour son Werther d’anthologie lors de la mort du poète.

Là c'est essentiellement le jeu des éclairages autour de ce grand escalier (celui de Garnier avec ses lustres luxueux) qu'on voit de tous les côtés grâce à une tournette, qui rend compte des différents lieux, du bal au tombeau, en passant par la scène du combat magnifiquement orchestrée. Capable de donner une dimension presque fantasmagorique à son décor, Thomas Jolly a le sens du "tableau" et rarement un écrin aura donné autant de sens à chaque scène, aux sentiments des personnages, en tissant une montée dramatique où peu à peu, tout ce qui était lumière et faste s'éteint pour ne laisser place qu'à la mort.


Formidable directeur d'acteur il ne laisse rien au hasard et on ne peut que s'incliner devant la beauté des mouvements des uns et des autres sur la scène, danseurs se mêlant aux chanteurs, mouvements de foule au millimètre et synchronisation parfaite entre la musique, le chant et les mouvements.

Car le deuxième grand gagnant de la soirée est l'orchestre de l'Opéra de Paris qui ne commence pourtant pas très bien avant de donner une de ses plus belles prestations entendues ces derniers temps, sous la baguette de Carlo Rizzi, qui évoque le génie de Michel Plasson. J'aime cette façon de diriger l'opéra français, en lui redonnant ses couleurs, en accentuant les aspects dramatiques, les coups de théâtre, en adoucissant les moments lyriques. Belle maitrise des chœurs qui sont fort nombreux sur cette scène qui le permet, et nous donnent également une belle prestation.

Contrairement à quelques critiques des premières séances, j'ai été absolument et sans réserve, séduite (au sens premier du terme) par la Juliette d'Elsa Dreisig. Elsa Dreisig n'est certes pas la reine du bel canto mais il ne faut pas être injuste non plus : hier soir le trille du premier air était parfaitement exécuté, les aigus sont d'une beauté à vous couper le souffle, larges et aisés (quels progrès elle a accomplis depuis quelques années), les vocalises sont moins serrées que celles des reines du bel canto, mais elles sont assurées et stables, elle a également un beau legato et quelques appoggiatures très en place, bref, elle maitrise sa partition davantage à la manière dont le faisaient Sonya Yoncheva et Anna Netrebko plutôt que ne le font aujourd’hui Nadine Sierra ou sans doute Pretty Yende. Et on lui reprochera à juste titre de ne pas assurer les trilles de l’air du poison, qu’elle exécute cependant avec tant de sensibilité, tristesse, colère, résignation, tout y passe, que l’on se doit de saluer les émotions intenses qu’elle distille.

Car la voix et le timbre surtout, sont tout simplement superbes, la projection impressionnante, la pureté et la largeur de l'émission franchement séduisants, elle impressionne, elle touche surtout, sa Juliette croit tellement en cet amour, elle est incroyablement audacieuse, courageuse, décidée, moderne en un mot, qu'elle "parlait" à tous les spectateurs ce langage des artistes qui savent "séduire" en touchant la fibre de l'émotion avec une justesse désarmante.

A l'inverse si je puis dire, Benjamin Bernheim est stylistiquement parfait, mais manque un peu d’interactivité. Il campe un Roméo en retrait sur sa Juliette surtout au début, qui semble parfois même débordé par une partenaire trop "vitaminée" pour lui. Il est possible que à vouloir tutoyer la perfection musicale, il apparaisse parfois trop scolaire, trop sage, trop prévisible, pas suffisamment naturel. Mais ne soyons pas injuste, la prestation est très belle, son "Soleil lève-toi" sans faute (même transposé), et le final très émouvant, l'artiste joue bien (et même très bien), son aisance sur scène a beaucoup progressé (magnifiques duos d'amour, très naturels et scène de combat formidable) et il est parfaitement crédible mais c'est parfois un peu la glace aux côtés du feu bouillant qu'exprime Dreisig en permanence. L'anti- Pene Pati en quelque sorte, le ténor samoan ayant ébloui la scène parisienne dans ce même Roméo et Juliette à l’Opéra-Comique récemment.

En l'écoutant je me disais qu'il était probablement le ténor que j'avais le plus souvent vu sur les scènes de l'Opéra de Paris ces dernières années, de Capriccio et Alfredo à Garnier, en passant par Rodolfo, Des Grieux, Faust et Roméo à Bastille, et qu'il avait toujours cette précision horlogère dans sa diction parfaite et sa lecture de la partition, mais que la "flamme" tardait souvent à venir malgré tout. Le public lui a réservé une ovation exceptionnelle, très chaleureuse et admirative, ce qui prouve qu’il a été incontestablement « touché » par cette qualité exceptionnelle dans la beauté du chant. Et ils ont tous deux l'avantage de la jeunesse, qualité indispensable aux rôles de ce duo.

Concernant les rôles dits secondaires, je saluerai les prestations très réussies qui permettent de relâcher un peu la pression du drame au profit du rire ou du sourire de Marina Viotti (pour ses débuts sur la scène de la Bastille) en Stéphano et de la toujours étonnante par son incroyable présence scénique et sa voix de contralto, de Sylvie Brunet-Grupposo en nourrice. 



Excellent Frère Laurent de Jean Teitgen (mais il est toujours parfait pour moi), bon Tybalt de Maciej Kwaśnikowski et je n'ai pas compris les réserves lues çà et là, à l'encontre de Laurent Naouri, que j'ai trouvé également excellent. Jérôme Boutillier campe aussi un très beau duc de Vérone (seul habillé en rouge pour représenter la Justice), solennel et émouvant, offrant une belle leçon de chant,  j’ai été un peu moins convaincue par la prestation de Florian Sempey en Mercutio dont voix était parfois instable et qui ne semblait pas très à l'aise pour cette « première » le concernant puisqu’il succédait à Huw Montague Rendall.

Ce spectacle a été capté le 26 juin pour une retransmission TV, toujours disponible sur Culture Box, avec une distribution presque identique à l’exception de Mercutio et du page de Juliette (Lea Desandre).

Mais il gagne à être vu en salle où le déploiement harmonieux des scènes dans l’espace Bastille est particulièrement bien étudié et séduisant.

A voir en salle jusqu'au 15 juillet.

 

Direction d'orchestre : Carlo Rizzi

Mise en scène : Thomas Jolly

Direction de choeur : Chin-Lien Wu

Costumes : Sylvette Dequest

Lumières : Antoine Travert

Décors : Bruno de Lavenère

Chorégraphie : Josépha Madoki

~

Roméo : Benjamin Bernheim / Francesco Demuro (27, 30 juin, 4, 7, 11, 15 juillet)

Juliette : Elsa Dreisig / Amina Edris (30 juin),  Pretty Yende (27 juin, 4, 7, 11, 15 juillet)

Frère Laurent : Jean Teitgen

Mercutio : Huw Montague Rendall / Florian Sempey (29 juin au 15 juillet)

Tybalt : Maciej Kwaśnikowski

Benvolio : Thomas Ricart

Comte Capulet : Laurent Naouri

Pâris : Sergio Villegas-Galvain

Le duc de Vérone : Jérôme Boutillier

Grégorio : Yiorgo Ioannou

Stéphano : Léa Desandre / Marina Viotti (29 juin au 15 juillet)

Gertrude : Sylvie Brunet-Grupposo

 

Orchestre de l´Opéra national de Paris

Choeurs de l´Opéra national de Paris

Commentaires

Les plus lus....

Magnifique « Turandot » à Vienne : le triomphe d’un couple, Asmik Grigorian et Jonas Kaufmann et d’un metteur en scène, Claus Guth

Salomé - Richard Strauss - Vienne le 20/09/2017

Aida (Verdi) à l'Opéra de Munich, soirée exceptionnelle, Kaufmann, Guseva, Semenchuk, trio fantastique !