Macbeth (Verdi) à Salzbourg, la mise en scène dérangeante mais percutante de Warlikowski, servie par de magnifiques interprètes

Macbeth



Opéra en quatre actes de Verdi

D’Après la pièce de Shakespeare

Première en 1847.

 

Retransmission par ARTE concert de la Première au festival de Salzbourg, 29 juillet 2023

 

Macbeth est le premier opéra que Verdi compose en adaptant Shakespeare et ses intrigues complexes et tortueuses toujours profondément empreintes de nombreux questionnements sur le destin, le sens de la vie, l’honneur, la vengeance, la cupidité, les tromperies et mensonges, les assassinats.

Macbeth a son lot de cruautés, le sang y coule beaucoup et même d’innocents enfants sont allègrement massacrés tandis que la folie qui s’empare du couple Macbeth est l’une des plus impressionnantes que l’opéra ait mis en scène avec de nombreux airs et duos en témoignant avec une sorte de furie vengeresse, composée de frustrations et d’envies irrésistibles de posséder la couronne suprême et pour ce faire, d’éliminer tous les obstacles sur le chemin de la royauté. Le tout est assaisonné en quelques sortes de scènes de chœurs absolument magnifiques, qui représentent généralement des groupes de sorcières, ourdissant un complot pour faire croire à Macbeth que son destin est écrit d’avance et qu’il est immortel.

Warlikowski qui met en scène cette œuvre pour la deuxième fois après la Monnaie de Bruxelles en 2010, tire quelques fils issus de l’intrigue à son habitude et brosse un portrait personnel, costumes et décors compris, né de sa propre interprétation de la tragédie. Le couple des Macbeth ressemble ainsi furieusement à l’un des couples les plus sinistrement célèbres par sa cruauté conjointe et sa soif de pouvoir absolu teinté d’une idéologique totalitaire, le couple Ceaucescu de sinistre mémoire. Mais il invoque aussi bien d’autres références comme cet Edipo Re, le film de Pasolini que Macbeth regarde à la fin de l’acte 2, et utilise à plusieurs reprises des images extraites, telles que le bébé nouveau-né, sa mère l’emmenant, ou même l’étrange couronne de l’une des « apparitions » de l’acte 3. Ce faisant, il fait coup double en quelque sorte. 

En effet dès l’ouverture, tandis que le prélude se joue, qui évoque quant à lui déjà les thèmes des actes 3 et surtout de la scène de somnambulisme de l’acte 4, lui et elle, sont installés chacun à l’une des extrémités d’un gigantesque banc en bois verni, l’air triste et résigné, sous l’image projetée sur écran du bébé heureux. L’on comprend rapidement qu’elle ne peut pas avoir d’enfant (scène du médecin lui remettant le diagnostic), et que ce « berceau vide » est une raison de leur malheur et de cet amour maudit qui leur fait commettre tant de crimes. Mais cette référence est aussi celle du destin implacable contre lequel on ne peut pas lutter, de la prédiction maudite dont sont « victimes » les Macbeth, comme l’enfant Œdipe abandonné dans le désert à qui l’Oracle annonce qu’il tuera son père et épousera sa mère.

Les images auxquelles Warlikowski pense quand il met en scène une pièce de théâtre ou un opéra sont toujours éternel sujet de discussion, et c’est bien l’objectif qu’il recherche comme il l’a souvent déclaré dans les multiples entretiens qu’il a donné durant sa très brillante carrière. Le spectateur est soit émoustillé par la volontaire confusion des scènes, soit agacé car il n’y retrouve pas « son » opéra. Mais autant j’avais été très déçue par son Hamlet récent à l’Opéra de Paris, donnant dans la facilité de ses habituels fantasmes, autant ce Macbeth renoue pour moi avec son très brillant Don Carlos, qu’il évoque maintes fois, avec d’autant plus de raisons que les deux opéras ont bien des points communs, dont leur compositeur.

Warlikowski, on ne le dira jamais assez, est par ailleurs (ou par conséquence) un formidable directeur d’acteurs. Tout simplement parce qu’il s’est réellement approprié l’intrigue à laquelle il donne des couleurs modernes et même actuelles, soulignant par là même son caractère universel, et qu’il sait donner un sens à chaque phrase chantée par les protagonistes. Chaque geste, chaque accessoire utilisé, trouve sa place dans le texte, les caractères de chacun sont vigoureusement brossés, donnant une formidable possibilité aux chanteurs d’incarner de véritables personnages de chair et de sang. 

Et c’est cela qui fait de ce Macbeth quelque chose d’inoubliable qui marquera les esprits bien davantage que le Macbeth brouillon que nous avait proposé David Livermore et sa dystopie futuriste pour l’ouverture de la saison de la Scala en décembre 2021. Dominique Meyer directeur de la Scala, l’évoque d’ailleurs, interviewé par Annette Gerlach à son entrée à Salzbourg. La comparaison sera plutôt cruelle pour lui, à mon sens. Warlikowski, outre son talent d’homme de théâtre, s’appuie sur une distribution infiniment plus crédible sur le plan scénique et le mot n’est pas faible.

D’aucuns se sont sentis obligés de se sentir horrifiés des aiguilles plantées dans les corps de poupons de celluloïd quand les sorcières chantent « petits doigts d’enfants étranglés à la naissance, venez grossir ce gruau » tout en tournant dans leur chaudron leurs breuvages maléfiques. Ou se sont étonnés de la mort des beaux enfants installés dans les gradins, quand Macduff chante « Oh mes fils, mes filles, massacrés ». Pourtant ce sont autant d’illustrations en phase parfaite avec le texte, tout comme la forêt envahissante en vidéo du dernier acte, ou le lavabo où Lady Macbeth tente en vain de se laver les mains souillées de sang, avant de sombrer dans la folie en tenant sa lampe contre elle. Ou l’apparition de gnomes à tête de Banco quand Macbeth voit apparaitre un fantôme, puis deux, puis trois…jusqu’au spectre qui rend Macbeth fou lors de son banquet représenté par un ballon blanc peinturluré de traits noirs.

La seule vraie trahison de Warlikowski (assez classique le concernant) est de représenter lors de la dernière scène, les époux Macbeth attachés ensemble, lui sur un fauteuil roulant, elle sur une chaise, avec un Macduff, patibulaire mais presque, qui renonce finalement à les exécuter tandis que Malcolm est couronné. On laissera au metteur en scène polonais le soin d’expliquer ce final étrange…

Mais on conviendra que ce n’est pas cela qui condamne une mise en scène par ailleurs fort inventive et où les enfants, très nombreux sur la scène, jouent un rôle fascinant de « contre-pouvoir » face aux forces maléfiques.

A la tête de l’un des plus beaux orchestres du monde, le philharmonique de Vienne, Philippe Jordan, qui n’est pas un chef « verdien », bien plus à son affaire dans Wagner ou Strauss, s’en tire mieux que lors du Don Carlos qu’il avait dirigé à Paris. Il a des chanteurs qui ne sont pas d’immenses voix mais des voix fines, stylées et intelligentes et il s’adapte très bien à leur style tout en donnant de belles couleurs à l’accompagnement orchestral de qualité de Verdi. 

On regrettera parfois un style trop convenu, quasi scolaire, qui manque de souffle et d’élan.

Les chœurs, très sollicités dans Verdi, sont excellents autant dans leurs nombreux airs que dans leur jeu -sorcières, invités du banquet ou proscris écossais- et il faut saluer également les chœurs d’enfants et d’une manière générale la présence de ces derniers.

Dans Macbeth comme dans Simon Boccanegra ou Falstaff, le rôle-titre n’est pas réservé à un ténor mais à un baryton. Pour le baryton belarusse Vladislav Sulimsky, c’est une vraie consécration dans le cours de sa carrière internationale, que de pouvoir jouer et chanter ce personnage fascinant par ses contradictions, sa soif de pouvoir alliée à une veulerie impressionnante, sans cesse poussé par sa femme sur le chemin des crimes et que la mise en scène de Warlikowski valorise totalement en lui donnant la possibiltié de déployer maints aspects psychologiques contradictoires. Excellent acteur, qui ne force jamais son naturel et interagit magnifiquement bien avec ses partenaires, Sulimsky est également un très bon chanteur, nous offrants quelques scène d’anthologie lors de son Perchè mi sfuggi (acte 2), et surtout lors de ses Di voi chi ciò fece ? et Va, spirto d'abisso !, exprimant sa peur, ses craintes, ses faiblesses face aux fantômes qui lui apparaissent durant le banquet. Saluons aussi son admirable La vita... che importa ? final. J’aime beaucoup ce timbre et ce style très émouvant et d’une grande richesse de couleurs et d’harmoniques, capable d’énormément de nuances et d’expressivité dans son chant. Je l’avais déjà beaucoup apprécié en Tomski dans La Dame de Pique du festival de Baden Baden l’an dernier (sous la direction admirable de Kiril Petrenko).

Le rôle de Lady Macbeth est particulièrement difficile à tenir et donc complexe à distribuer puisque l’interprète doit avoir des qualités de soprano dramatique colorature, ce qui est assez rare, tout en sachant donner une véritable interprétation de l’évolution de ce personnage complexe. Asmik Grigorian , que j'ai beaucoup apprécié en salle dans de multiples rôles, n’est pas a priori tout à fait taillée pour le rôle sur le plan du chant, manquant sans doute de « colorature », et plus généralement de la largeur de voix attendue dans les aigus notamment, pour les parties les plus dramatiques. Mais elle compense ces petites imperfections par une formidable prestation qui arrache l’adhésion totale et sans réserve du public et on le comprend… Elle « est » cette Lady malheureuse et cruelle tout à la fois, donnant à son personnage cette dimension phénoménale, véritable actrice sur scène, brûlant les planches tout en nous offrants de très beaux arias, notamment un La luce langue, de très belle tenue, et surtout un inoubliable air de la scène de somnambulisme, Una macchia è qui tuttora, de l’acte 4, juste hallucinant. Elle n’a plus besoin d’y risquer des vocalises un peu pauvres comme dans son air d’ouverture, et donne toute la mesure de son talent dans cette scène qui est bien plus qu’un « aria », l’expression d’une femme qui s’est littéralement autodétruite, consumée dans sa haine et sa vengeance. Magistral.

Peut-être un peu trop sobre mais élégant, le Banco de Tareq Nazmi nous livre un Come dal ciel precipita, dont j’ai beaucoup apprécié la profondeur mais qui a été peu applaudi en salle (signe d’un problème pas forcément perceptible dans la retransmission). 

Le role de ténor, celui de Macduff, ne contient qu’un seul aria digne de ce nom, le fameux « A la Paterna Mano » que tout ténor lyrique propose dans un recueil d’airs pour un enregistrement ou à l’occasion d’un récital. Le seigneur de Fiff était incarné par le ténor qui monte (comme on dit), Jonathan Tetelman, qui possède de très beaux moyens qu’il a mis au service du personnage sombre, façon chef de gang, que la mise en scène lui a proposé. On peut regretter du coup le côté assez peu lyrique de l’air, traditionnellement conçu comme un instant de « beau chant » pur mais constater en même temps que cette interprétation convient fort bien aux paroles que le ténor chante et saluer finalement une prestation originale qui marque le rôle autrement qu’à l’habitude. Et Tetelman a de magnifiques atouts, dont un très beau timbre, et un sens de la colère exprimée sur scène par le chant, qui ne le rend jamais ridicule mais au contraire très convaincant. 



J’avais beaucoup aimé Evan LeRoy Johnson en Narraboth dans le Salomé mis en scène par Warlikowski à Munich, que j’ai vu en mars dernier (voir ma chronique), et je le retrouve là en Malcolm de très belle facture également avec une présence scénique intense lui aussi. Deux beaux ténors dont les duos du final sont très réussis.

Saluons aussi les beaux rôles très secondaires de Caterina Piva, magnifique suivante de Lady,  du discret docteur d’Aleksei Kulagin de l’intéressant serviteur de Macbeth incarné par le baryton arménien de 24 ans seulement,  Grisha Martirosyan, très juste et très remarqué d’ailleurs.

Globalement, ce Macbeth est une très grande réussite du festival de Salzbourg de cet été 2023, malgré quelques réserves de ci de là et on peut le revoir sur Arte concert, qui s’est livré à une captation tout à fait satisfaisante, durant tout l’été. N’hésitez pas !


https://www.arte.tv/fr/videos/115046-001-A/giuseppe-verdi-macbeth/  



Distribution

Philippe Jordan Chef d’orchestre

Krzysztof Warlikowski Mise en scène 

Małgorzata Szczęśniak décors et costumes 

 

Vladislav Sulimsky Macbeth 

Tareq Nazmi Banco 

Asmik Grigorian Lady Macbeth 

Caterina Piva Suivante de Lady Macbeth

Jonathan Tetelman Macduff 

Evan LeRoy Johnson Malcom

Aleksei Kulagin Docteur 

Grisha Martirosyan Serviteur de Macbeth 

Hovhannes Karapetyan Assassin, apparition

Solistes du Choeur du  St Florian Boys 


Angelika Prokopp Summer Academy of the Vienna Philharmonic

Concert Association of the Vienna State Opera Chorus 

Jörn Hinnerk Andresen Chorus Master

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