Au cœur de la mémoire : Immersion réussie dans Mnemosyne de James Dillon par l'EIC sous la direction de Pierre Bleuse

Polyptych: Mnemosyne 


James Dillon

Création mondiale par l’Ensemble intercontemporain (EIC)

Direction Pierre Bleuse

Philharmonie de Paris, salle des concerts, le 14 septembre 2023

Photo EIC

 

Pour l’ouverture de sa nouvelle saison, l’Ensemble intercontemporain désormais dirigé par le brillant chef d’orchestre français Pierre Bleuse, frappe fort avec cette création mondiale fascinante qu'il a commandé au compositeur écossais James Dillon. Succédant à Matthias Pintscher, Pierre Bleuse nous propose une œuvre puissante dans une scénographie en phase avec cette plongée en apnée dans les souvenirs enfouis, expérience immersive originale et réussie.

James Dillon est un compositeur du temps long, de la mémoire, qui plonge les racines de son imagination créatrice dans les profondeurs de la mythologie des anciens. Mnemosyne, c’est la déesse de la mémoire, fille de la Terre (Gaia) et du Ciel (Uranos) dans l’Antiquité grecque. La légende la dote également de la faculté d’avoir nommé chaque chose, rendant la parole possible. 

James Dillon a composé cette partition pour formation de chambre, en février 2022, alors que sa pensée était profondément attristée par la perte de sa mère. Il en explicite le choix du titre ainsi : « Le titre « Mnemosyne » s’est presque imposé à moi car il revenait sans cesse dans mes pensées, alors que je commençais à méditer sur cette chose que nous appelons la mémoire. ». Le sous-titre est évocateur « Acts of Memory and Mourning » (Actes de mémoire et de deuil).

Présent dans la salle, barbe blanche et chapeau de paille, James Dillon évoque irrésistiblement l’image du peintre Claude Monet. Compositeur prolifique et subtil, il en possède l’art de la petite touche (de musique), celui de la variété impressionnante des couleurs, celui de l’apparente simplicité qui dissimule une complexité orchestrale fascinante qui devient rapidement obsessionnelle.

Rituel sacré, magie, mystère, roue inexorable du temps sont autant de thèmes évoqués dans ce Polyptych musical, composé comme les tableaux de la Renaissance du même nom, de cinq éléments reliés entre eux. Chacun a son originalité mais l’ensemble fait sens.

La salle des concerts de la Philharmonie dispose de nombreux mécanismes modulables qui permettent d’accompagner une composition originale en créant un « lieu » spécifique à la création musicale. « In Between Mnemosyne » est l’intitulé de ce concert qui plonge le spectateur au cœur même de cette spirale de musique, de sons et de lumières, où la scène est au centre d’un plateau rond pivotant lentement sur lui-même pour réussir une révolution complète durant les soixante-quinze minutes de la réalisation. Lumières blanches et mauves projetées en long faisceaux laser depuis les cintres, lente évolution de notre vision des instruments se présentant tour à tour de face, de profil, de dos, plus près puis plus loin, dans une pénombre propice à la pénétration dans l’univers musical du compositeur.

Pierre Bleuse est à l’origine de ce projet extrêmement séduisant. Il dirige l’Ensemble intercontemporain, brillante formation créée par Pierre Boulez en 1976, avec une passion perceptible dans ses gestes, donnant l’impulsion à chacun des instrumentistes, véritables solistes de très grande qualité, jouant eux aussi à la fois ensemble et séparément, nous livrant une telle belle interprétation. Les cordes, cuivres, bois, la harpe, sont tous pris dans le manège tournant avec le chef d’orchestre, qu’on verra donc sous plusieurs angles, expérience passionnante, tandis que les pianos et multiples instruments de percussion, restent en dehors du cercle imposant leur rythme de l’extérieur. 

Et tandis que la douce ou percutante sonorité des multiples cuivres évolue elle-même selon les tableaux par le jeu complexe des sourdines placées dans le pavillon, la harpe égrène des notes éthérées renforçant régulièrement l’atmosphère irréelle et mystique, et claviers et impressionnantes percussions donne un de ces rythmes obsessionnel, véritable pulsation de l’ensemble.

Enveloppante, sensuelle, la musique ainsi interprétée, transporte le spectateur bien loin de ce temps court actuel. Pierre Bleuse parle ainsi de « explorer le temps long, à rebours de notre époque dominée par l’instant et les petites formes. ». 

Mission brillamment réussie devant un public conquis et envoûté qui applaudit longuement et très chaleureusement les musiciens, le chef, le compositeur.

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